Canada : quels défis pour Erin O'Toole, le nouveau chef conservateur ?

Le Parti conservateur du Canada a un nouveau chef : il s’appelle Erin O’Toole, et a remporté contre toute attente cette course à la direction provoquée par la démission du chef précédent, Andrew Scheer, vaincu par Justin Trudeau aux élections de l’automne 2019. Une belle victoire donc, mais Erin O’Toole ne pourra pas s’endormir sur ses lauriers car il a de nombreux défis devant lui.
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Erin O'Toole, le nouveau chef du parti conservateur en compagnie de son épouse et de ses enfants après son élection à la tête du parti. Ottawa, Canada, 24 août 2020.
Sean Kilpatrick/Pool via REUTERS
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Erin O’Toole a été élu avec 57% des voix aux petites heures du matin le 24 août dernier après trois tours de scrutin et au terme d’une longue soirée ponctuée d’incidents techniques pour dévoiler les résultats du vote. C’était sa deuxième course à la direction du parti conservateur ; il avait dû s’incliner en 2017 devant Andrew Scheer.
 

Erin O’Toole est né à Montréal en 1973, mais il vit en Ontario. C’est un avocat qui a aussi eu une carrière militaire. Élu député pour la première fois en 2012 dans une circonscription proche de Toronto, en Ontario, il a été ministre sous l’un des gouvernements de Stephan Harper (ministre des Anciens Combattants). Erin O’Toole a battu sur le fil d’arrivée Peter MacKay qui partait favori dans cette course, il a réussi à faire le plein de vote auprès des membres du parti dans l’ouest du pays mais aussi au Québec.

Premier défi : se faire connaître

Contrairement à Peter MacKay, que les Canadiens connaissent bien car il a occupé plusieurs ministères importants sous l’ère de Stephen Harper, le nom d’Erin O’Toole reste inconnu pour Monsieur et Madame tout le monde ici. Un récent sondage indiquait que plus d’un Canadien sur deux (52%) ne le connaît pas et 9% n’ont jamais entendu parler de lui. Même dans sa circonscription de Dunham, en Ontario, peu d’électeurs disent le connaître, si l’on se fie à la petite enquête menée sur place par une journaliste de Radio-Canada. Le nouveau chef conservateur va donc avoir, en tête de liste de ses priorités, de se donner une visibilité pour que les électeurs canadiens apprennent son nom et sachent à quoi il ressemble au cours des prochains mois.

C'est peut-être pourquoi Erin O’Toole, dès son élection, a déclaré qu’il ne voulait pas précipiter le pays dans des élections cet automne, invoquant la nécessité de protéger les intérêts du pays et des Canadiens avant tout intérêt partisan. Le scénario d’un scrutin cet automne semble donc s’éloigner – rappelons que les libéraux de Justin Trudeau sont minoritaires au Parlement et que le gouvernement peut donc être défait par un vote rassemblant au moins deux partis d’opposition. Mais justement, Erin O’Toole sera-t-il la carte gagnante pour les conservateurs ? Pourra-t-il battre Justin Trudeau et ramener son parti au pouvoir, réussir là où son prédécesseur a échoué ?

Bonnet blanc, blanc bonnet ?

Erin O’Toole ne fait pas partie du courant des conservateurs progressistes, et si cela le favorise auprès de l’électorat de l’ouest canadien, c’est un sacré handicap pour séduire les Québécois et une partie de l’électorat ontarien. En matière de contenu et de programme, il est difficile de dire ce qui distingue le nouveau chef de l’ancien. Est-ce bonnet blanc, blanc bonnet ?

  • L’industrie pétrolière et gazière :

Tout d’abord, tout comme Andrew Scheer, Erin O’Toole défend l’industrie pétrolière et gazière et donc les projets d’oléoducs dans l’ouest et dans l’est du Canada. On l’a vu porter fièrement un tee-shirt sur lequel était écrit « I love oil and gas » (J'aime le pétrole et le gaz) et il a déjà déclaré qu’il était prêt à imposer aux provinces des oléoducs sur leur territoire s’il devenait premier ministre. Or, si ce discours pro-pétrole trouve un large écho dans l’ouest canadien, il est beaucoup moins populaire dans l’est, notamment au Québec.

Lors de la dernière campagne électorale, les conservateurs ont soutenu ce projet de l’oléoduc Transcanada – un oléoduc qui traverserait tout l’est du Canada pour offrir au pétrole canadien un débouché d’exportations vers l’Atlantique – et ce soutien leur a coûté cher au Québec. André Lamoureux, politologue à Université du Québec à Montréal, voit mal comment ces positions pro-pétrole qui vont continuer à être défendues par les conservateurs pourraient trouver un écho dans l’est du pays : « La rupture entre l’est et l’ouest risque de se confirmer à nouveau, l’opposition au Québec contre le projet Transcanada était tellement forte. Même si Erin O’Toole dans son discours tend la main aux Québécois en disant notamment qu’il soutient la nation québécoise, sa position pro-pétrole ne va pas lui faire gagner des points dans la province ».

André Lamoureux fait également remarquer qu’Erin O’Toole est un ardent défenseur des armes à feu : « Il a été l’un des plus farouches artisans de la bataille pour faire abolir le registre des armes à feu au Canada, il est contre le contrôle des armes à feu, et ça, ça ne passe par la rampe au Québec ». « Cette question des armes à feu est aussi un gros enjeu actuellement dans les banlieues de Toronto et à Toronto, aux prises avec une multiplication de fusillades et de violences liées aux gangs de rue » ajoute Philippe Vincent-Foisy, le journaliste de Radio-Canada qui a suivi de très près cette course à la succession.

  • Le droit à l'avortement :

Sans oublier toute la problématique du conservatisme social, où les écueils sont nombreux. Parmi eux, celui qui a fait déraper le chef conservateur précédent : le droit à l’avortement. Erin O’Toole, qui se dit catholique, a rapidement essayé après son élection de régler la délicate question en se disant « pro-choix » et en promettant de ne pas rouvrir le dossier du droit à l’avortement si jamais il était élu. Mais il a précisé qu’advenant le dépôt d’un projet de loi indépendant par un député conservateur sur ce droit à l’avortement, les membres de son caucus pourront voter librement en leur âme et conscience. Et c’est bien là tout le problème.

« Pour moi son revirement en faveur de l’avortement, c’est un positionnement tactique et stratégique, déclare André Lamoureux, il l’a fait à la dernière minute pour contrer les appuis de Peter MacKay. Il a déjà déclaré qu’il n’était pas à l’aise avec ces questions sur l’avortement. S’il défendait vraiment le droit à l’avortement, il l’exigerait aussi de tous ses députés et il leur interdirait la présentation de projets de loi pour en limiter l’accès ».

Toute cette question de l’avortement a vraiment été une épine au flanc de l’ex-chef conservateur Andrew Scheer lors de la dernière campagne électorale. Le flou artistique que les conservateurs laissent planer dans ce dossier, sous la pression des membres de leur parti les plus conservateurs, a clairement un impact auprès d’un électoral plus progressiste.

« Oui, le programme qu’avait Andrew Scheer et celui d’Erin O’Toole se ressemblent mais cela va être intéressant de voir comment le nouveau chef va l’adapter, car là, il l’a présenté pour la base, pour cette course à la chefferie, mais son discours a changé depuis, il s’est recentré, il essaie d’être plus rassembleur, alors est-ce que sa plateforme va changer aussi au cours des prochains mois et lors de la prochaine campagne électorale, c’est à voir », fait remarquer Philippe-Vincent Foisy.

Le journaliste croit que la principale force actuellement du nouveau chef conservateur, c’est son image d’un homme facile d’accès, sympathique, une certaine bonhommie : « Je ne peux pas dire que c’est bonnet blanc, bonnet blanc entre Andrew Scheer et Erin O’Toole, notamment à cause des enjeux sociaux et à cause de la personnalité : Mr O’Toole est plus chaleureux, plus sympathique qu’Andrew Scheer, c’est un ancien militaire qui n’est pas un politicien de carrière. Certains ont même comparé Erin O’Toole à l’ancien chef néo-démocrate Jack Layton de par son côté sympathique ».

Au Québec, un proverbe dit : « échanger 4 X 25 sous pour une piastre, soit un dollar ». Autrement dit, les conservateurs viennent de se choisir un nouveau chef qui ressemble beaucoup au précédent. « Pour moi, on est vraiment dans l’héritage de Stephen Harper, Erin O’Toole a des positions assez campées : le conservatisme social, la défense de la loi et l’ordre. Cela prouve que les progressistes conservateurs, majoritaires sous l’ère de Brian Mulroney, viennent encore de perdre une bataille ». Peter MacKay est de cette mouvance beaucoup plus progressiste et il vient en effet de perdre cette course à la chefferie.

Quel impact auprès de l’électorat canadien ?

Dans cette perspective, comment est-ce que Mr O’Toole peut espérer battre Justin Trudeau et les libéraux lors des prochaines élections s’il maintient le cap que le parti conservateur suit depuis que les libéraux ont pris le pouvoir ? La stratégie n’a pas été payante l’automne dernier, le sera-t-elle davantage quand les Canadiens retourneront aux urnes ? Si Erin O’Toole n’apporte pas d’idées plus progressistes pour aller chercher des électeurs lassés des libéraux, en particulier au Québec et en Ontario là où se gagnent les élections au Canada, comment peut-il espérer devenir premier ministre ?

« Il va jouer la carte de l’ouest en promouvant le pétrole, ça c’est sûr : Il a des appuis en Ontario, puisqu’il y vit et y est député, il a aussi l’appui d’une majorité des Québécois conservateurs, mais de là à séduire de nouveaux électeurs et remporter les prochaines élections ? Le défi est immense pour Erin O’Toole », conclut André Lamoureux.

« Il a beau être gentil, on a beau avoir envie d’aller prendre une bière avec, le fait qu’il ne soit pas connu, si les libéraux réussissent à mettre dans la tête des gens qu’il est pro-armes, pro-pétrole et pas très clair sur l’avortement et autres questions sociales, ça va être difficile pour Mr O’Toole de séduire les Québécois », estime Philippe Vincent-Foisy.

« Le fait qu’il soit sympathique, qu’il ait une personnalité moins rigide, plus attrayante, moins dogmatique qu’Andrew Scheer, c’est sa plus grande force pour l’instant, poursuit le journaliste. Je pense qu’avoir une page blanche devant soi peut être une grande force aussi, dans le sens de « Ecris ton histoire, personne ne la connaît », mais c’est une arme à double tranchant parce que si tu ne l’écris pas assez vite et comme il faut, les autres vont le faire pour toi et là, tu es cuit ». 

Pour l’instant, l’arrivée de Erin O’Toole à la tête des conservateurs n’a pas eu d’impact notable sur les électeurs canadiens : un sondage de la firme Léger mené fin août donne 35% d’intentions de vote aux libéraux contre 29% pour le parti conservateur.

Les adieux d'Andrew Scheer

Le chef sortant Andrew Scheer a livré un discours d’adieu qui a laissé pantois non seulement beaucoup de membres de son parti mais aussi de nombreux Canadiens. Sur un ton amer et aigri, il a dénoncé l’interventionnisme de l’État, les médias de masse qui ont, trop souvent selon lui, un parti pris en faveur de la gauche, et, bien sûr, les libéraux. « On a nourri nos enfants de propagande gauchiste. Il y a quelque chose de vicié dans les marchés libres et les libertés individuelles » a-t-il déclaré.

L’ex-chef conservateur conseille aux Canadiens d’arrêter de s’informer auprès des médias traditionnels et de se tourner vers les médias plus favorables aux courants conservateurs : « Il y a d’autres endroits pour s’informer. Cessons d’être la majorité silencieuse ». Ce discours anti-média, on le connaît bien au sud de la frontière canadienne : il semble aussi trouver un certain écho ici…