Fil d'Ariane
Dans la grande salle d’un bureau de Vancouver, six hommes et six femmes écoutent avec attention Adolfo Gonzalez, formateur et cofondateur de CannaReps. Il leur explique tout d’abord quelles sont les origines du cannabis et donne des détails sur la culture ancestrale liée à cette plante qui provient du Moyen-Orient, de l’Afghanistan et des pays limitrophes. "Le but premier de ce cours, c’est de faire découvrir aux gens cette culture du cannabis qui existe depuis des siècles et qui n’a jamais été reconnue et comprise par nos sociétés occidentales. Nous voulons ici réhabiliter cette culture", explique Adolfo.
Ce Mexicain d’origine la connaît bien, cette culture : il a émigré au Canada dans la foulée de la légalisation du cannabis à des fins médicinales, en 2001, parce qu’il en consommait à cause de ses crises d’anxiété chronique. Quelques années plus tard, après un grave accident de ski, il a réussi à vaincre sa dépendance aux opioïdes grâce au cannabis que lui prescrivait un médecin.
Depuis, il a développé une expertise, à des fins médicinales tout d'abord, qu’il veut partager avec le plus de monde possible. Il est persuadé que cette plante peut avoir des effets bénéfiques sur la vie de nombreuses personnes. C’est dans cette perspective qu’il a fondé CannaReps avec Enid Chen et commencé à proposer cette formation de sommelier en cannabis.
La formation comprend un volet théorique pour que l’étudiant apprenne les bases du cannabis : les régions d’origine de la plante, son anatomie, donc les différences entre les espèces de Sativa (plante plus élancée et aux feuilles plus minces), Indica, (touffue, et feuilles plus denses), et les Hybrides. On apprend aussi quelle est la composition biochimique de chaque espèce, sa teneur en THC, en CBD - "le yin et le yang du cannabis", selon Adolfo.
Adolfo explique aussi en quoi ce que l'on appelle l’Afghan, le Haze et le Kush diffèrent dans leurs odeurs, leurs formes, leur teneur en humidité, leurs coupes, etc... Il prend aussi le temps de préciser les différentes méthodes d’extraction et de filtration, quels sont les divers produits de cannabis maintenant vendus sur le marché canadien, tout en insistant sur la nécessité d’avoir les bons dosages et les dangers liés à des surdoses et de la surconsommation.
La formation n’est pas que théorique : elle est aussi pratique. Les étudiants se mettent donc régulièrement le nez dans des cocottes (plantes de cannabis) de "death buddha", de "Wifi OG", de "Sweet Skunk" pour apprendre à en reconnaître les odeurs, la forme, etc...
Ils vont aussi apprendre à disséquer une plante pour en connaître l’anatomie et les spécificités, et les passer sous un microscope afin d’en mesurer le degré de maturité.
Pour obtenir son diplôme du niveau 1, il faut réussir un examen théorique et un examen pratique. "Au niveau 1, vous êtes capables d’identifier des groupes génétiques de cannabis ; au niveau 2, vous pouvez identifier des différents types d’Afghan, de Haze, de Kush ; et au niveau 3, vous pouvez savoir quels sont les terpènes et analyser des hybrides complexes, ainsi que les saveurs qui sont populaires sur le marché en ce moment", précise Adolfo.
Tout comme le vin, le cannabis a ses "terroirs" et ses "cépages", ses "appellations", ses "saveurs", son "nez ". Tout comme l’amateur de vin, qui va définir s’il préfère le chardonnay au sauvignon ou le pinot noir au cabernet sauvignon, le consommateur de marijuana va réaliser que c'est cette sorte de cannabis ou cette sorte de produits qu’il préfère. Et c’est ainsi qu’un sommelier en cannabis peut donner de précieux conseils.
Un bon sommelier doit savoir rester modeste, ouvrir son esprit sur d’autres cultures que celles de nos sociétés occidentales.
Adolfo Gonzalez
"C’est comme un maître d’hôtel : il peut offrir ses conseils dans un magasin de distribution de produits de cannabis, mais aussi dans des départements de marketing, chez des producteurs.", affirme Adolfo. Il ajoute : "un bon sommelier doit savoir rester modeste, ouvrir son esprit sur d’autres cultures que celles de nos sociétés occidentales et acquérir des compétences sensorielles qu’il va partager avec plaisir, d’une façon efficace et responsable". Adolfo estime que ces compétences sont la base à développer pour quiconque veut devenir spécialiste dans l’industrie du cannabis.
Cette industrie est en plein essor. "On la surnomme la « ruée verte » et ce n’est pas pour rien", déclare Mary Julkowski. Cette consultante en éducation est venue suivre cette formation, car elle veut développer une nouvelle expertise en matière de cannabis.
Nous sommes en train de cueillir les premiers fruits de cette industrie.
Stephen Crichton, participan à la formation.
" Il y a encore beaucoup de travail à faire, nous devons nous sensibiliser aux goûts des consommateurs, mais aussi nous distinguer des produits de consommation comme les aliments, l'alcool, le café", ajoute Stephen Crichton, un autre participant à la formation, venu lui aussi se perfectionner. Il travaille chez GreenHedge, qui offre des services d'éducation et de marketing aux producteurs, détaillants et consommateurs de cannabis. "Nous sommes chanceux : nous sommes en train de cueillir les premiers fruits de cette industrie. Notre gouvernement nous a donné la chance de mettre en place un système légal et cela nous permet de prendre beaucoup d'avance sur le reste du monde dans ce domaine".
Adolfo estime, de son côté, que les demandes des consommateurs pour des produits de qualité obligent les producteurs à constamment s'améliorer : "C’est un marché en pleine évolution, et pour faire une comparaison, il y a des décennies le marché du vin au Canada n'était pas si bon, il s'est amélioré avec la demande de qualité des consommateurs, ce sera la même chose avec le cannabis".