Comment lutter contre la détresse qui frappe les peuples autochtones du grand nord canadien ? Le Canada est sous le choc après l'annonce d'une série de tentatives de suicides sans précédent dans la communauté d'Attawapiskat. Près d'une centaine au total depuis le mois de septembre, onze au cours de ces dix derniers jours. Pour tenter d'enrayer le phénomène, le chef de la communauté a décrété l'état d'urgence.
C’est une histoire qui donne froid dans le dos, une histoire qui semble impossible dans un pays comme le Canada… et pourtant, la réalité est là, impitoyable : 39 habitants de la réserve autochtone d’Attawapiskat, dans le nord de l’Ontario, ont tenté de se suicider depuis mars dernier… Rien que ces derniers jours, on a rapporté 11 tentatives. Au total depuis septembre dernier, 86 personnes, âgées de 11 à 71 ans, ont voulu mettre fin à leur jour. Un cri de détresse profond de cette communauté de Cris qui vit au bord de la Baie James, une région éloignée de la plus grande province du Canada.
Un avenir sombre
La réserve d’Attawapiskat compte 2000 habitants. Il y a 5 ans environ, les feux des projecteurs médiatiques s’étaient déjà allumés sur la communauté pour des problèmes de logements insalubres qui avaient indigné jusque dans l’hémicycle de l’ONU, plusieurs témoins avaient alors parlé de situation similaire au Tiers-monde. Pressé d’intervenir, le gouvernement conservateur de Stephen Harper avait placé la réserve sous tutelle en réclamant des comptes aux chefs de la communauté, notamment pour savoir comment avaient été dépensés les 90 millions de dollars envoyés à la réserve au cours des dernières années. Cinq ans plus tard, visiblement, le problème n’a pas été réglé, loin de là… on parle toujours de surpopulation dans les logements, de problèmes récurrents de drogue, d’alcool, de dépendances diverses, surtout chez les jeunes, confrontés à un avenir sans futur, à un futur sans avenir…
État d’urgence
Devant la gravité de la situation, le chef du Conseil de Bande a décrété l’état d’urgence, souhaitant ainsi que la sonnette d’alarme résonne jusqu’à Ottawa.
« Je le demande à des amis, au gouvernement, nous avons besoin d’aide dans notre communauté. J’ai des proches qui ont tenté de se suicider, des cousins, des amis » a déclaré Bruce Shisheesh, le chef d’Attawapiskat.
Nous avons des gens qui prennent des médicaments sur ordonnance. Nous avons des gens qui revendent des pilules. Et je crois que c’est de cette façon que certains ont des problèmes de manque et se sentent exclus, ou ils ne savent pas comment exprimer leurs sentiments et se droguent pour oublier leurs problèmes ou leur douleur. Et quand vous n’avez pas d’argent pour acheter de la drogue, c’est à ce moment-là que vous envisagez le suicide ».
Le message de détresse a été entendu : les gouvernements canadien et ontarien ont envoyé à Attawapiskat infirmières, psychologues, travailleurs sociaux et conseillers en santé mentale pour apporter un soutien immédiat aux membres de la communauté. Les professionnels sur place étaient littéralement dépassés par l’ampleur de la tâche et réclamaient des renforts. Le ministre ontarien de la Santé doit aussi se rendre dans la réserve cette semaine.
Mais ces renforts ne seront qu’un pansement sur une plaie purulente qui suinte dans cette réserve et dans d’autres réserves autochtones du Canada, aux prises avec les mêmes problématiques désastreuses. A Kuujjuaq par exemple, dans le grand nord québécois, cinq jeunes de 15 à 20 ans de la communauté inuit se sont suicidés ces derniers mois. Là-bas aussi, on manque cruellement de ressources en santé mentale.
Venir en aide aux communautés autochtones
Sur Twitter dimanche soir, le premier ministre Trudeau a déclaré :
« Les nouvelles d’Attawapiskat me brisent le cœur. Nous continuerons de chercher à améliorer les conditions de vie de tous les Autochtones ».
C’est une des priorités du nouveau gouvernement canadien, qui vient de débloquer une enveloppe budgétaire de 8,4 milliards de dollars pour les cinq prochaines années afin de venir en aide à ces communautés. Tout un changement de discours par rapport au gouvernement précédent. Reste à voir maintenant quelles seront les solutions concrètes qui seront mises en œuvre pour améliorer réellement les conditions de vie misérables des Autochtones au Canada. Aucune solution miracle n’existe : l’intervention doit être multisectorielle (investissements en éducation, construction de nouveaux logements, déploiement de ressources professionnelles), elle doit se planifier sur plusieurs années et réclame la participation active des chefs des réserves et de chaque membre des communautés.
Le Canada ne peut plus se permettre de réagir uniquement quand il survient des crises comme celle qui sévit actuellement à Attawapiskat : une véritable politique doit être mise en place pour redonner une vie aux communautés autochtones et il y a, indubitablement, obligation de résultats.