Fil d'Ariane
Au Canada, la loi sur les mesures d’urgence a remplacé en 1988 la loi sur les mesures de guerre. Elle donne au gouvernement canadien les pouvoirs nécessaires pour gérer une crise nationale, comme coordonner les forces de l’ordre, interdire les déplacements d’individus, imposer des amendes et des peines de prison aux contrevenants. Le gouvernement fédéral s’arroge ainsi des pouvoirs qui, en temps normal, reviennent aux provinces parce que des circonstances exceptionnelles mettent en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et qu’elles ne sont pas contrôlées par les provinces dans lesquelles elles surviennent.
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Et c’est exactement ce qu’a expliqué Justin Trudeau ce lundi après-midi : ces manifestations et « blocages illégaux » perturbent la vie des Canadiens, ont un impact sur leur sécurité et font du mal à l’économie canadienne a dit le premier ministre canadien. Alors après consultations avec les membres de son gouvernement, le caucus des députés libéraux, les partis d’opposition et les premiers ministres des provinces, Justin Trudeau a décidé de recourir à cette loi. « Je veux être très clair : ces mesures vont être limitées dans le temps, ciblées géographiquement et utilisées raisonnablement » a-t-il précisé.
Ce qu’on veut, c’est assurer la sécurité des Canadiens, protéger leurs emplois et rétablir la confiance dans nos institutions. Il faut ramener la sécurité et la règle de droit Justin Trudeau, premier ministre du Canada
Les policiers auront ainsi plus d’outils à leur disposition pour imposer des amendes ou incarcérer des contrevenants. Ils pourront, par exemple, forcer les compagnies de remorquage à aller déplacer les camions qui sont stationnés devant le Parlement canadien depuis plus de deux semaines – pour l’instant, aucune de ces compagnies n’a voulu procéder à ces remorquages car elles auraient subi diverses pressions de la part de manifestants. Le premier ministre canadien ajoute qu’aucun droit fondamental n’est suspendu, que la liberté de parole est maintenue ainsi que le droit de manifester. « Ce qu’on veut, c’est assurer la sécurité des Canadiens, protéger leurs emplois et rétablir la confiance dans nos institutions. Il faut ramener la sécurité et la règle de droit » a conclu Justin Trudeau qui continue à écarter tout appel à l’armée pour rétablir l’ordre.
« Le monde nous regarde » a ajouté la vice-première ministre Chrystia Freeland aux côtés du premier ministre. Elle a notamment expliqué que le gouvernement canadien allait demander la collaboration d’institutions financières pour geler les comptes et les assurances des camionneurs impliqués dans ces blocages. Les comptes bancaires utilisés pour soutenir financièrement ceux qui font ces blocages pourront être gelés ou suspendus. Le gouvernement canadien va aussi passer sous la loupe les sources de financement de ce mouvement de contestation car plusieurs pistes semblent conduire à des pays étrangers et des mouvements d’extrême droite aux États-Unis.
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Déjà, le chef du Nouveau Parti Démocratique, Jagmeet Singh, a fait savoir que son parti allait appuyer la proposition du gouvernement canadien, tout en précisant qu’y avoir recours est un signe de la « faillite du premier ministre » et de son « manque de leadership » dans cette crise : Depuis des semaines, le gouvernement fédéral, le premier ministre a laissé le convoi s’installer [dans] la capitale, bloquer les frontières, et à cause de ça, on est maintenant dans cette crise » a-t-il déclaré.
Le Bloc Québécois, un autre parti d’opposition qui défend principalement les intérêts du Québec à Ottawa, ne cache pas ses inquiétudes : « Le Bloc québécois est réfractaire à l’extrême à l’idée que des soldats armés foulent le sol québécois, surtout dans la mesure où le Québec semble mieux contrôler la situation. Si le gouvernement avait soutenu la police d’Ottawa plus tôt, la question des mesures d’urgence ne se poserait pas » a expliqué le chef bloquiste Yves-François Blanchet. Le Bloc n’a pas précisé s’il allait appuyer la motion du gouvernement Trudeau ou pas.
Au Québec, on n’a pas ces problèmes-là, pis deuxièmement faut être prudent, ce n’est pas le temps de mettre de l’huile sur le feuFrançois Legault, premier ministre du Québec
Quant au Parti conservateur, dont plusieurs députés ont ouvertement appuyé les camionneurs venus manifester à Ottawa, il faudra voir quelle position il va adopter lors des prochains débats aux Communes. Une majorité de députés conservateurs a montré la porte aux chef Erin O’Toole, défait aux élections de septembre dernier, et mis à sa place Candice Bergen, une députée de l’ouest canadien connu pour ses positions ultra conservatrices et son radicalisme. On l’a notamment vue poser fièrement devant les caméras avec des camionneurs lorsque leur convoi est arrivé à Ottawa. Elle a depuis modéré son discours par rapport à ces manifestations en appelant notamment tous ceux qui occupent le centre-ville d’Ottawa de rentrer chez eux. Les Conservateurs font pression sur le gouvernement Trudeau pour qu’il mette en place un plan qui abandonne les mesures sanitaires mises en place pour lutter contre la pandémie.
Du côté des provinces canadiennes, plusieurs s’inquiètent, surtout dans l’ouest du pays : le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, dit ne pas voir l’utilité de recourir à cette loi qui pourrait accentuer les divisions au sein de la société canadienne. Le premier ministre du Québec, François Legault, refuse que cette loi soit appliquée sur le territoire québécois car il dit ne pas en avoir besoin : « Au Québec, on n’a pas ces problèmes-là, pis deuxièmement faut être prudent, ce n’est pas le temps de mettre de l’huile sur le feu » a déclaré François Legault. En revanche, Doug Ford, le premier ministre de l’Ontario, le principal intéressé parce qu’Ottawa, c’est en Ontario, se montre beaucoup plus ouvert : « Je vais soutenir le gouvernement fédéral et toutes ses propositions pour ramener la loi et l’ordre dans notre province, pour stabiliser nos entreprises et nos liens commerciaux avec le monde ».
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Ces mesures d’urgence entrent en vigueur immédiatement même si elles vont être débattues au Parlement canadien au cours des prochains jours. C’est la première fois que cette loi sur les mesures d’urgence est appliquée au Canada depuis son adoption en 1988 et c’est la quatrième fois que l’on a recours à ce genre de loi, car son ancêtre, la loi sur les mesures de guerre, a été appliquée en octobre 1970 au Québec et lors des deux dernières guerres mondiales.
Quant aux camionneurs et manifestants campés à Ottawa, ils disent ne pas être intimidés par ces mesures d’urgence et ils n’ont pas l’intention de partir, même si plusieurs d’entre eux ont accepté lundi de déplacer leurs camions des rues résidentielles de la ville pour les stationner directement devant le Parlement canadien. Il faudra voir quelles seront leurs réactions quand on va venir remorquer leurs camions au cours des prochains jours…