Fil d'Ariane
La raffinerie exploitée par TotalEnergies à Donges (nord-ouest) est l'un des sites en grève en ce mois d'octobre 2022.
“Une mascarade !”, “des propositions largement insuffisantes !”. Au petit jour, ce vendredi 14 octobre, ce représentant syndical de la CGT en Normandie (nord-ouest) n’a pas de mots assez durs pour justifier la poursuite de la grève.
Au beau milieu de la nuit, son syndicat a claqué la porte des négociations amorcées chez TotalEnergies autour des hausses de salaires.
Certes, deux syndicats majoritaires (CFDT et CFE-CGC) ont dit oui aux propositions de leur direction, mais pour la CGT, c’est inacceptable et le mouvement doit continuer. La Confédération générale du travail réclame toujours 10% d’augmentation pour tous, alors que la direction propose –pour l’instant- 7% dès novembre et de 3.000 à 6.000 euros de primes.
Au terme de ces premiers échanges depuis le début de la grève fin septembre, la situation est bloquée et les difficultés d’approvisionnement des stations-essence persistent.
L’expression “chaîne d’approvisionnement” résume parfaitement le problème.
Avec la grève des raffineries, c’est l’un des maillons de cette chaîne qui est brisé (ou en tout cas nettement endommagé), et ce qui se situe en aval ne peut que tourner au ralenti.
Cette chaîne débute majoritairement hors de France.
“En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées”, disait un slogan du milieu des années 70 pour inciter aux économies d’énergie (l'ancêtre de la "sobriété énergétique") alors que le monde faisait face à une importante crise pétrolière.
Ne pas avoir de pétrole signifie donc en acheter à d’autres par des importations.
La quasi-totalité (99%) des besoins pétroliers de la France provient de l’étranger. Arabie saoudite essentiellement, mais aussi Nigeria, Kazakhstan ou encore Algérie. Quant au robinet russe, pour cause de sanctions, il est en train de se refermer peu à peu.
Ce brut (la France achète aussi des produits déjà raffinés, mais ils sont minoritaires) est accueilli dans des terminaux pétroliers. Il y en a trois : Fos-sur-Mer près de Marseille (sud-est), Donges près de St Nazaire et Antifer près du Havre, tous deux dans le nord-ouest.
La deuxième étape sur le sol français est au cœur de la crise actuelle : ce sont les raffineries.
En France, il y en a huit. Sept se trouvent en métropole. TotalEnergies en exploite quatre (Gonfreville, Donges, Grandpuits et Feyzin), Esso-ExxonMobil en exploite deux (Gravenchon et Fos-sur-Mer). La septième (à Lavera dans le sud) est gérée par un consortium britannico-chinois, Petroineos.
D'une matière brute, les raffineries produisent les carburants qui seront ensuite utilisés par les automobilistes mais aussi, par exemple, dans les avions.
► Ce vendredi 14 octobre, les quatre raffineries TotalEnergies sont toujours à l’arrêt. Les deux exploitées par Esso ont voté la fin de la grève.
► Un 8e site exploité par TotalEnergies est également à l’arrêt. Il se situe à la Mède, près de Marseille mais ne produit que des biocarburants depuis quatre ans.
► Hors métropole, la France compte une raffinerie. Appartenant à la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (Sara), elle se trouve en Martinique.
Lors des précédents mouvements sociaux ayant touché le secteur, le maillon suivant de la chaîne a, lui aussi, été impacté. Il s'agit des dépôts de carburants. Ils sont environ 200 à travers la France et, les grèves de 2010, de 2000 ou encore de 1997 l'ont montré : leur blocage provoque lui aussi la panique chez les automobilistes.
Entre les raffineries et les dépôts, les carburants sont transportés par la route, par bateau sur les fleuves, ou encore via les 6 000 kilomètres d'oléoducs.
Il y a au moins un dépôt par région, mais -comme le montre ce graphique du ministère de la Transition énergétique- deux régions représentent à elles seules près de la moitié du stockage, la Normandie et la Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA).
La dernière étape de cette chaîne pétrolière se fait principalement par camion :
des dépôts, le carburant est transporté vers les stations-service.
Fin 2021, la France en comptait 11 151. Le site connaissance-des-énergies rapporte que ce nombre a été "quasiment divisé par quatre entre 1980 et 2010" et rappelle qu'en 1975, il y avait sur le territoire 47500 stations. Dans le même temps, le nombre de véhicules, lui, a presque doublé. Près de la moitié des pompes à essences sont aujourd'hui tenues par des chaînes de grande distribution (Leclerc, Intermarché, Super U...).
La France en fait régulièrement l'expérience : il suffit d'un maillon endommagé pour que toute la chaîne soit à l'arrêt.
Le transport entre chaque maillon a lui aussi son importance. Ainsi, en 1996 puis 1997, c'est la grève des transporteurs routiers qui a asséché un tiers des stations-service.
En ces temps de transition énergétique, le recours aux produits pétroliers reste néanmoins incontournable. Et les périodes de pénurie rendent cette dépendance d'autant plus criante. Les sondages le montrent, plus les pompes sont vides, plus le mouvement est impopulaire.
La principale réponse des autorités jusque là, outre l'appel au dialogue, a été de réquisitionner des personnels chez Esso-ExxonMobil pour faire tourner les raffineries.
D'autres mesures existent. Les autorités peuvent ainsi débloquer des stocks stratégiques. Ce levier aurait déjà été activé, mais on ne sait pas à quelle hauteur.
De quoi s'agit-il ? Le quotidien économique Les Echos explique que ces réserves "ont été constituées par une loi de 1925, mais ce n'est réellement qu'à partir des années 1950 que la France a développé une politique stratégique en la matière, avec la crise du canal de Suez puis avec les différents chocs pétroliers (...) Lors de son adhésion à l'Agence internationale de l'énergie (AIE) en 1992, la France s'est engagée à conserver l'équivalent de 90 jours au moins d'importations nettes de la précédente année" Et le journal précise : "L'appel à ces stocks est extrêmement rare et réservé aux crises les plus dures".
Un autre levier a également été mis en oeuvre. Il consiste à, ni plus ni moins, sauter l'étape de la raffinerie en achetant des produits finis.
Toujours selon Les Echos, "les opérateurs français auraient ainsi importé près de 50 % de carburants en plus par rapport à leur niveau habituel (dont 25 % à 30 % de gazole en plus)".
Ces achats s'effectuent essentiellement aux Pays-Bas et en Belgique. Mais ils ont un coût qui se répercute au bout de la chaîne.
Certains consommateurs ravis de trouver du carburant ont ainsi pu rapidement déchanter. Le prix du litre tourne aujourd'hui, dans certaines stations, autour de trois euros.