Malgré la répression et les menaces de Madrid, le camp nationaliste s'efforce d'imposer son "referendum" ce 1er octobre, avec pour perspective une indépendance effective immédiate. L'aboutissement d'une longue histoire et de sept années de surenchères de part et d'autre, aux conséquences désormais imprévisibles. Récapitulation.
Sur quoi porte le scrutin du 1er octobre et qui vote ?
Posée dans les trois langues officielles de la Catalogne - catalan, espagnol et occitan -, la question parait limpide : «
Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d'une république ? ».
Sont appelées aux urnes «
les personnes qui ont le droit de vote aux élections parlementaires catalanes ». Ceci inclut les citoyens espagnols, catalans ou non, qui résident en Catalogne mais non les ressortissants étrangers. Les nombreux français installés dans la région ne pourront pas voter … fussent-ils catalans.
En théorie, le scrutin concerne près de six millions d'électeurs.
S'agit-il réellement d'un référendum ?
Oui, du point de vue des organisateurs qui sont … les indépendantistes. Non, du point de vue de la légalité espagnole, qui s'impose en droit à la Catalogne.
La tenue du « référendum » a bien été adoptée par une loi du Parlement catalan (le 6 septembre dernier, par 71 voix sur 135) mais celle-ci a été suspendue dès le lendemain par le Tribunal constitutionnel, la plus haute juridiction du royaume, interdisant aux maires et fonctionnaires de prêter leur concours.
Optant pour le passage en force, le Parlement catalan répliquait aussitôt par la « loi de transition » qui prévoit l'organisation juridique immédiate de la Catalogne si le « oui » l'emporte, ne serait ce que d'une voix et sans minimum de participation nécessaire.
La surenchère suscite un certain malaise au sein du camp nationaliste qui compte une frange modérée ou tout au moins légaliste. Mais symétriquement, la réponse martiale et répressive de Madrid - saisie de matériel électoral, menace contre les maires - a eu pour effet de rassembler ce camp et de lui apporter le soutien de la gauche non-indépendantiste.
►Lire :Référendum interdit: des milliers de Catalans dans la rue après des arrestationsAprès avoir tenté en vain de jouer un rôle de modératrice, la maire de Barcelone Ada Colau a finalement accepté de faciliter la tenue du référendum. Cependant, la moitié des dix grandes villes catalanes continuent de refuser leur concours.
D’où vient cette montée de l’indépendantisme ?
De la nuit des temps, mais elle connaît un sursaut inattendu à partir de 2010.
Longue marcheProvince romaine conquise par les Wisigoths (Vème siècle) puis par les Arabes (732), ce qui deviendra lla Catalogne est reprise par Charlemagne qui en fait une marche de son empire. A la désagrégation de celui-ci, le « Comté de Barcelone » bénéficie, jusqu'au XIIème siècle d’une relative liberté.
Il est rattaché par mariage à la Provence (1113) puis à la couronne d'Aragon (1137), sous laquelle la Catalogne jouit d'une réelle autonomie, œuvrant à la conquête des Baléares, de Valence, de la Sicile et de la Sardaigne. Les XIIIème et XIVème siècles sont pour elle une période de prospérité et d'épanouissement.
Après l'union au XVème siècle des couronnes d'Aragon et Castille, l'Espagne qui en naît s’intéresse d’avantage aux Amériques. C'est pour la Catalogne le début d'un repli, qui n'empêche pas la France et l'Espagne de se la disputer.
En conflit avec Madrid, les révoltés catalans forment au XVIIème siècle une éphémère « république catalane » avant de faire appel au roi de France Louis XIII qui prend le titre de Comte de Barcelone.
Par le Traité des Pyrénées son fils Louis XIV conclut avec le roi d'Espagne une partition de la Catalogne. Dans la longue guerre de succession d'Espagne (début du XVIIème siècle), les Catalans choisissent les Habsbourg contre les Bourbon. Ce sont les seconds qui l'emportent et Barcelone est prise le 11 septembre 1714 (défaite à l'origine de la "Diada", fête nationale catalane remise à l'honneur ces dernières années). Un nouveau déclin s'ensuit.
Précocement industrialisée la région connaît un réveil au XIXème siècle qui se manifeste par le "catalanisme". Après une victoire de partis indépendantistes, une brève république est proclamée qui débouche en 1932 sur un statut d'autonomie, ressuscitant le terme médiéval de "generalitat".
La guerre civile et la défaite républicaine y met un terme en 1939, jusqu'à la mort de Franco en 1975.
A l’inverse d’autres entités espagnoles telles l’Aragon ou la Castille, la Catalogne n’a guère formé dans son histoire de véritable et durable État souverain (
voir encadré ci-contre).
Elle n’en est pas moins pourvue d’une forte identité – la langue catalane est très parlée - , renforcée par son rôle historique et sa supériorité économique sur d’autres régions. Elle en tire une position particulière.
Le «
statut d’autonomie de la Catalogne » régit son organisation institutionnelle. Adopté pour la première fois en 1932, il est abrogé durant la dictature de Franco. Un nouveau statut est mis en place en 1979 lors de la transition démocratique.
Modifié en 2006, il reconnaît la « nation » catalane, accorde une large autonomie à la Catalogne et fixe les compétences du gouvernement régional, la Generalitat.
En 2010, ce principe est remis en cause par le Tribunal constitutionnel, saisi par le
Parti Populaire (PP, conservateur, alors dans l'opposition). La décision provoque un vif émoi de l'opinion catalane et une radicalisation nationaliste.
Le 10 juillet 2010, plus d’un million de personnes manifestent à Barcelone au cri de «
nous sommes une nation, nous décidons ». Le retour au pouvoir du
Parti populaire de Mariano Rajoy en 2011 avive les tensions, aggravées par des propos de son ministre de l'éducation appelant à « espagnoliser » les jeunes Catalans.
Le thème de la spoliation
Autant que la défense identitaire, une question triviale pousse à la révolte la province traditionnellement turbulente : la répartition de la manne fiscale. Les Catalans s'estiment en effet lésés par le système espagnol en tant que contributeurs nets.
Comme dans nombre d’États-nations (dont la France) les régions riches donnent d'avantage au budget central que ce qu'elles reçoivent. Locomotive industrielle et touristique de l'Espagne (21 % du PIB) la Catalogne, « perd » ainsi chaque année, selon ses dirigeants, 16 milliards d'euros (8% de son PIB), différentiel non rétrocédé par Madrid du fait de règles de répartition.
Comme en Lombardie italienne ou dans les Flandres belges cette redistribution, présentée comme une spoliation, alimente un ressentiment croissant, aiguisé par la crise économique.
Il est exploité par les nationalistes, en tête desquels navigue alors Artur Mas, président de droite de la Generalitat. Initialement prudent sur la sécession, il s’en fait progressivement le champion, et ce d’autant plus qu’il a besoin pour gouverner de l’appoint d’alliés indépendantistes.
Le durcissement
A partir de 2010, chaque « diada » (« fête nationale », le 11 septembre;
voir encadré) se transforme en
manifestation géante pour l’indépendance, dont l’idée se précise.
Un scrutin est organisé en
novembre 2014. La fermeté menaçante de Madrid et du Tribunal constitutionnel contraignent Mas à lui retirer le nom de « référendum » pour celui de « consultation ». 80 % des votants s’y prononcent pour l’indépendance.
Triomphe apparent, brocardé par l'autre camp : un peu plus de 2 millions de Catalans sur près de six millions d’électeurs potentiels se sont déplacés pour un scrutin douteux,
sans effet décisif.Contesté sur sa gauche et
poursuivi en justice pour cette « consultation » – il sera condamné à deux ans d'inéligibilité - , Mas doit céder sa place à Carles Puigdemont, plus décidé encore à l'affrontement avec Madrid.
Une aspiration de gauche ? Socialement marquée ?
Non, en dépit des idées reçues. L’indépendantisme catalan est bien d’abord un nationalisme, nullement gauchisant dans son essence et éclectique dans sa composition.
La principale formation nationaliste catalane,
Convergence démocratique de Catalogne (CDC) se classe à droite, dans une sensibilité économique libérale mais il s'est allié à la gauche indépendantiste.
Opposés entre eux, le
PSOE (socialiste) et le
Parti Populaire (conservateur) sont farouchement hostiles à l’indépendance, tout comme le parti de centre droit
Ciudadanos devenu lors des dernières élections générales un pôle important du paysage politique espagnol.
Issu du mouvement des
Indignés et également nouveau venu au premier plan national,
Podemos refuse l’alternative, renvoyant dos à dos la droite catalane et Madrid, mais défend le principe d'un referendum.
Dans l'ensemble, le nationalisme est plus fort dans les villages de l'intérieur
que dans les villes. Les dernières élections municipales ont porté à Barcelone - où la population non catalane est nombreuse - une coalition de la gauche radicale soutenue par
Podemos, pas précisément favorable à l’indépendance, tout comme sa maire Ada Colau, issue des luttes sociales, qui s'abstient de participer aux "diadas".
Que prédisent les sondages ?
Ils ne sont que des sondages et peuvent traduire d'avantage l'exaspération du moment qu'un choix politique final mais la plupart traduisent une avancée de la logique indépendantiste à travers, en particulier et à l'inverse de 2014, une acceptation croissante du référendum « interdit ».
Sur le fond, le seul indicateur d'opinion irréfutable est … indécis : les
élections régionales de 2015 ont donné aux indépendantistes une majorité absolue de sièges au Parlement catalan, mais non de voix (47%).
Jusqu'à cet été, la plupart des enquêtes d'opinion fiables exprimaient une majorité pour le maintien dans l'Espagne.
Depuis quelques semaines, elles indiquent encore une opinion générale très partagée mais avec une progression en faveur l'indépendance. Surtout, elles prédisent cette fois
jusqu'à 60 % de participation. Parmi les participants décidés, une écrasante majorité se prononce sans surprise pour la sécession, les anti-indépendantiste refusant le scrutin.
L’Espagne actuelle peut donc disparaître après ce scrutin ?
On n'en est pas là mais ce qui semblait farfelu il y a encore un an l'est un peu moins aujourd'hui, tant les positions se sont durcies de part et d'autre à la faveur des maladresses du gouvernement conservateur.
Cauchemar politique, la perte de la Catalogne priverait le royaume d’une de ses composantes essentielles : plus importante, par comparaison, que pour la France la région Auvergne-Rhône-Alpes. «
Si la Catalogne sort de l'Espagne, l'Espagne n'est plus l'Espagne », a résumé le responsable socialiste Pedro Sanchez.
Des lendemains qui chantent ?
Dans cette hypothèse, le sort de la Catalogne pourrait se révéler a court terme moins idyllique que ce que promet l'emphase de ses dirigeants.
Grande comme le tiers du Portugal, enclavée dans une Espagne rejetée sinon ennemie, celle-ci se retrouverait de facto en dehors de l’Union européenne, a fortiori de l'euro mais aussi de bien d'autres structures qui lui sont chères. Son adhésion à tous les traités et organisations internationales, de l'OTAN aux emblématiques ... ligues de football, prendra du temps et Madrid sera peu portée à favoriser son ascension.
L'appauvrissement général de la société serait brutal. Le PIB pourrait chuter de 25 à 30% et le chômage doublerLe ministre de l'économie Luis de Guindos
Argument de son indépendance, sa prospérité même pourrait pâlir. La Catalogne n'est pas seulement la région la plus riche d'Espagne, elle est aussi la plus endettée. Ses dépenses croîtront nécessairement : les charges d'un État souverain devant entretenir une armée et lesté de contraintes internationales ne sont pas les mêmes que celles d'une région, fut-elle pourvue d'une grande autonomie.
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L'appauvrissement général de la société serait brutal. Le PIB pourrait chuter de 25 à 30% et le chômage doubler», assure le ministre de l'économie Luis de Guindos dans une interview à
radio Cope. Propos alarmiste d'un membre du gouvernement Rajoy, mais il est vrai que la Catalogne pourrait aussi perdre, en cas d'isolement, certains de ses attraits économiques.
Inquiètes des incertitudes, plusieurs entreprises ont déjà quitté Barcelone pour Madrid, tels le groupe alimentaire NaturHouse. «
Si on nous demande, à nous les entrepreneurs catalans si nous voulons un marché de 550 millions d'habitants ou de 7,5 millions de Catalans, la réponse est claire », explique au
quotidien El Mundo son président Felix Revuelta.
Vivre ensemble
La cohésion même du nouvel Etat serait alors bien fragile en dépit de l'image d'euphorie unanime régulièrement véhiculée par les spectaculaires photos de diadas.
Une indépendance acquise dans l'émotion, avec une faible avance, dans un referendum juridiquement bancal serait difficilement acceptée par ceux, même catalans, qui se sentent d'abord des Espagnols. Or, ils constitueraient la moitié du nouveau pays.
Mi-ironique, mi-sérieux, un courant s'est
déjà manifesté pour exiger, le cas échéant, le détachement de la Catalogne des zones et localités refusant la sécession, ce qui inclurait la plupart des villes, dont sans doute ... Barcelone.
La question, à ce stade, relève de la polémique plaisante ou de la guerre des nerfs. Elle vient aussi rappeler que l'indépendance, comme l'a durement montré l'histoire récente de l'Est européen, n'est pas une fête dénuée de risque.
Surexcités par leur fuite en avant et leurs propres cris de guerre, les adversaires semblent ignorer le caractère très inflammable du nationalisme, comme de sa répression. Au vu des vaines tentatives de conciliation, le réacteur qu'ils ont mis en route paraît déjà difficile à refroidir.