Pour l'ensemble de la guerre, une cinquantaine des exécutions sont motivées par des allégations d'espionnage ; une cinquantaine également par des crimes ou délits de droit commun.
Pour les 640 autres, les motifs sont militaires et variés : désertion, tentative de reddition ou retraite sans autorisation. Ils sont aussi souvent véniels : insulte à officier, mutilation. Lever sa main au dessus des tranchées (et ainsi l'exposer aux balles) peut valoir condamnation à mort.
Certaines deviendront célèbres : ainsi, le Sous-Lieutenant Chapelan, coupable de s'être rendu après une semaine de combats et blessé est fusillé attaché à son brancard contre un pommier le 11 octobre 1914 près des Loges.
Ou le fantassin Lucien Bersot passé par les armes pour « désobéissance » car il avait refusé de porter le pantalon souillé de sang et de matières fécales qu'on lui attribuait. Ou encore Eugène Bouret, artilleur sonné par l’explosion d’un obus allemand, errant sous le choc vers l'arrière du front et fusillé pour désertion. Verdict et, le cas échéant, exécution sont affaires d'opportunité du commandement, « pour l'exemple » selon la formule consacrée. La procédure laisse peu de place à la défense. «
La justice militaire est à la Justice ce que la musique militaire est à la musique », ironisera Clémenceau.
Malgré la guerre, le pouvoir de l’état-major n'est pas sans borne et la République, vaille que vaille, continue dans la forme. Devant les scandales révélés par la presse et les associations, le Parlement obtient l'adoucissement de cette justice expéditive qui souligne trop le profond mépris de la caste des officiers pour la démocratie et leurs propres hommes.
Fin 1915, les conseils de guerre spéciaux sont supprimés. En avril 1916, une loi permet d’atténuer et de contrôler l'arbitraire militaire. Le Général Pétain la fera suspendre en 1917 pour réprimer les mutineries mais celles-ci ne se traduiront « que » par une trentaine d'exécutions (500 condamnations à mort sont commuées) et la sévérité des Conseils de guerre décroit en 1918 (14 exécutions).
Le débat, pourtant, s'enflamme après la guerre, et c'est à tort qu'on a parfois parlé, en la matière de « tabou » ou de « silence » même s'il a fallu, en effet, du courage aux familles des exécutés pour réclamer justice dans la douleur et la honte. Dans les années 20, un mouvement populaire se dessine pour la réhabilitation des fusillés « par erreur», voire de tous les fusillés. Leurs bourreaux sont qualifiés de «
bouchers galonnés » et des voix réclament, sans succès, leur condamnation.
Une Cour spéciale chargée d’examiner les requêtes en révision (sous réserve qu’elles aient été déposées dans les dix ans suivant l’armistice…) est finalement créée en 1932 et procède à un certain nombre de réhabilitations officielles.
Un peu tard, car l’opinion publique voit son attention attirée par les conflits sociaux et aussi ... la perspective d’une nouvelle guerre. Une quarantaine de réhabilitations, seulement, seront prononcées, et surtout pour abus caractérisé de la justice militaire.