Ces "collabos" des nazis qui continuent de toucher des indemnités de l'Allemagne

L'Allemagne verse toujours des indemnités à des ex-collaborateurs nazis en Europe et dans le monde. Les députés belges sont les premiers à s'en indigner et demandent l'abrogation de ces mesures. 
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Ce sont les parlementaires belges qui ont lancé l’affaire, votant une résolution qui demande au gouvernement d’intervenir auprès des Allemands et d’obtenir « la fin du régime des pensions accordées aux collaborateurs belges ».

Ainsi, à Berlin, le gouvernement fédéral et démocratique continuerait à indemniser des pronazis, traîtres à leur pays envahi par les troupes allemandes à partir de 1940. 

Dans le texte voté en commission la semaine dernière, les députés relèvent «l’injustice subie par les victimes de nazisme qui ne reçoivent pas d’allocations alors que les collaborateurs belges reçoivent une pension sur laquelle ils ne doivent pas payer d’impôts».  (Lire notre entretien avec l'historien belge Christoph Brüll plus bas)

Indemnités pour invalidité 

Ces paiements sont effectués en vertu d'une loi votée par la République Fédérale Allemande (RFA) en 1951 et qui prévoit l'indemnisation des victimes de guerre allemandes, quelle que soit leur nationalité. « En fait, il ne s’agit pas de "pensions" mais d’indemnités pour invalidité qui peut concerner des collaborateurs, des enrôlés de force ou encore des civils », nuance l’historien belge Christoph Brüll, « seuls sont exclus les responsables de crime de guerre. »

Dans les faits, tout engagé volontaire dans la Waffen-SS et blessé au combat peut donc y prétendre. Officiellement du moins, les autorités belges ne connaissent pas le nom des bénéficiaires. L’Allemagne se refuse à donner une liste au nom de la protection des données de la vie privée. 

Néanmoins, l’interpellation parlementaire a eu un effet : le ministère allemand du Travail a fourni quelques données chiffrées sur ces indemnisations. Ainsi pour ce mois de février 2019, au total 2033 personnes dans le monde y ont eu droit. 1532 sont en Europe dont 573 dans la seule Pologne. On en retrouve aux Etats-Unis, en Namibie, en Thaïlande... Le versement peut s’élever jusqu’à environ 1300 euros mensuels.

Les chiffres dans quelques pays francophones (en nombre de bénéficiaires) : 
- Belgique : 18
- France : 54 
- Canada : 121 
- Suisse  : 49

L’affaire a rebondi en France avec l’indignation du député de gauche Jean-Luc Mélenchon, qui y voit une récompense pour « services rendus à l’occupant nazi »  et demande leur interdiction. 

Interpellé, le gouvernement a fini par avouer son ignorance par la voix de Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Armées. «  Ça peut être des anciens soldats, des veuves… Il faut d’abord essayer de rechercher plus finement de qui il peut s’agir, il ne faut pas faire de jugement définitif… Il faut étudier les choses calmement, ne pas précipiter la polémique » explique-t-elle au quotidien Le Parisien« L’Office national des anciens combattants, qui verse les pensions aux soldats et anciens combattants français, ignorait totalement ce versement allemand », poursuit-elle sur la radio Europe 1.

Le cas curieux des "collaborateurs" suisses

Un autre cas de figure se présente avec la Suisse qui n’était officiellement pas partie prenante au conflit de la Seconde Guerre mondiale et n'a pas été envahie par les armées nazies.  Elle ne peut donc avoir des "enrôlés de force" mais se  retrouve quand même avec 49 bénéficiaires en février :"les vétérans suisses du IIIe Reich" comme les appelle l'historien  Christophe Vuillemier dans un article du blog qu'il tient pour le quotidien Le Temps.

«  Je serais curieux de connaître ces 49 personnes, explique t-il, mais ça peut-être des binationaux, ou des Suisses vivant en Allemagne ou enfin des Suisses "de Suisse" qui partageaient l’idéologie nazie, comme Johan Eugen Corrodi, un major suisse devenu SS-Oberführer. On estime que 1000 à 1500 Suisses se sont engagés dans l'armée allemande de l'époque, essentiellement les Waffen-SS car c'était un corps qui acceptait les étrangers. »

Dans tous les cas, comme le calcule Christophe Vuillemier "la guerre s’étant terminée il y a 74 ans, ces vétérans ne peuvent être que des centenaires, âgés de 92 ans au mieux s’ils se sont engagés en Allemagne en 1945 à 18 ans."  Une population très agée, en déclin rapide, peut-être parfois ne s'agit-il que de veuves, ... mais dont il serait passionnant d'en faire une étude socio-historique sérieuse, si l'Allemagne voulait bien ouvrir ses fichiers...

Entretien - «  Dans la majorité des cas, ce sont des volontaires de la Waffen-SS »

L’historien Christoph Brüll, professeur aux universités de Luxembourg et de Liège et spécialiste des relations entre la Belgique et Allemagne au XXème siècle analyse la spécificité belge de cette question. 

Pourquoi cette affaire apparaît-elle aujourd’hui en Belgique ? 
A l’origine, il y un groupe d’activistes belges qui s’engage en faveur de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et qui publiait depuis 2011, un communiqué sur la question. En 2016, les politiques s’en sont saisis et la commission des relations extérieures de la Chambre des députés belges a travaillé là-dessus. Elle a envoyé une mission à Berlin en juin 2018 et vient de voter cette résolution à la Chambre. La résolution demande aussi la mise en place d’une commission d’enquête composée d’historiens pour faire la lumière sur cette question.

Qu’est-ce qui fonde cette possibilité d’indemnisation ? 
L’Allemagne a une loi datant de 1951 qui offre des indemnités à des victimes d’actions liées à la Seconde Guerre mondiale, et il n’y a pas de restrictions de nationalité. Les critères sont le taux d’invalidité et, depuis 1997, l’exclusion des personnes qui se seraient rendues coupable de crime de guerre. Selon les dires des autorités, il y a eu un examen rétroactif de tous les dossiers. 

Ce que j’ai compris pour la Belgique, c’est que dans les années 1970, un député flamand nationaliste a introduit des demandes pour des Flamands blessés. Il s’agit probablement dans une majorité des cas de gens qui ont combattu dans les rangs de la Waffen-SS, ont été blessés, et dont on n’a pas pu prouver qu’ils avaient participés à des crimes de guerre. Personne n’en avait jamais parlé jusqu’à ce qu’en 2011,  l’Allemagne commence à taxer certaines indemnités et on a découvert que des gens les touchaient aussi en Belgique. 

Y-a-t-il aussi des civils ?  Je n’en sais rien même si le ministre du Travail allemand a dit dans son communiqué que parmi les 18 personnes qui touchent actuellement l’indemnité, il n’y aurait pas de membres de la Waffen-SS. Mais peut-être parle-t-on de leurs ayants-droits. Dans les volontaires qui ont combattu sur le front de l’Est, on estime qu’il y a eu 10000 Flamands et 7000 Wallons.

La petite communauté germanophone de Belgique est-elle concernée par ce phénomène ? 
Pour eux, c’est l’Etat belge qui a fixé les critères d’indemnisation de ces personnes avec des fonds fournis par l’Allemagne car ils étaient considérés comme « enrôlés de force ». Il y a eu des accords entre les deux pays. On a dédommagé assez vite les invalides et blessés mais il a fallu attendre 1989 pour que l’Etat belge dédommage tous les « enrôlés de force ». Dans l’affaire qui nous occupe, on parle plutôt des volontaires de la Waffen-SS, venus de Flandres ou Wallonie. Mais c’est un phénomène qui touche tous les pays européens et qui a été quelquefois discuté en Allemagne même.