Ces économistes grecs qui veulent des réformes

Ils savent que le pays est socialement à bout. Mais ils restent persuadés que sans changements drastiques, la Grèce ne pourra jamais durablement se redresser. Reportage aux côtés de ces économistes helléniques qui plaident, envers et contre tout, pour de profondes réformes.
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Grece économistes réformes
Drapeaux de la Grèce et de l'Union européenne à Athènes, le 8 juillet 2015.
©AP Photo/Petros Karadjias
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Il se tourne vers les chaises vides et désigne en face la dizaine de personnes en train de patienter pour effectuer leur retrait quotidien autorisé de 60 euros à un distributeur bancaire. L’économiste Kostas Kostis, de l’Université d’Athènes, a choisi le Café Filion, dans le quartier huppé de Kolonaki.

C’est là que se réunissent d’habitude ceux qu’il surnomme les «Nord-Coréens»: ces universitaires proches de la coalition gouvernementale Syriza, hostiles à «l’impasse de l’austérité» et aux coupes dans les dépenses. «Le résultat est là. Les banques restent fermées. Même les terrasses des cafés se vident», explique-t-il, excédé par ces oracles de la gauche radicale.

Lui, d’ailleurs, se verrait bien partir enseigner à l’étranger et tout lâcher: «La Grèce veut garder l’euro sans respecter les règles du jeu. Notre système de retraites et notre sécurité sociale sont en faillite. L’Etat grec est toujours aussi inefficace et prédateur. Ce pays perd son dynamisme de jour en jour. Le peuple se laisse persuader qu’il suffit de voter oxi (non). Alors que, pour redresser la Grèce, il n’y a que des options douloureuses et difficiles.»

Le chiffre le plus symbolique? Les 17,5% du PIB grec consacrés aux retraites, record de toute l’Union européenne, dont la moyenne est de 13,3%. Plus de cent régimes de retraite en 2008, aujourd’hui ramenés à une dizaine. 2,65 millions de Grecs «pensionnés» pour une population active de 4,9 millions, avec un taux de chômage à 26% (60% pour les moins de 25 ans). En sachant que la moitié de ces retraités touchent moins de 700 euros par mois et ont vu leurs indemnités coupées d’un tiers, voire plus.

Une bombe sociale qui explique bien sûr le refus de la population d’accepter plus d’efforts. Mais un ratio intenable dans un pays vieillissant, où 20,5% de la population a plus de 65 ans (21% en Allemagne), et où 400 000 demandes de retraite anticipée étaient dans les tuyaux avant la crise: «Les retraités modestes sont en effet plongés dans une misère effroyable, et même ceux issus des classes moyennes sont à bout, poursuit Kostas Kostis. Sauf que le système est mort et que les moins de 50 ans n’auront rien. Est-il normal que des milliers de fonctionnaires grecs aient pu prendre, jusqu’en 2011, une pré-retraite à 45 ans? Payer sans repenser tout cela, c’est absurde.»

Autre sujet tragique: l’Etat et la bureaucratie. Kyriakos Mitsotakis, ministre des Réformes administratives sous le précédent gouvernement de droite et héritier d’une des grandes familles politiques décriées, a ses statistiques: 913 000 fonctionnaires fin 2009 (un actif sur quatre) que les plans européens prévoyaient de réduire à 700 000 fin 2015, avec la «mise en mobilité» de 15 000 d’entre eux, sans affectation jusque-là. Sauf que l’actuel gouvernement a tout stoppé en mai, annonçant la réintégration de ces 15 000 employés et la réouverture de la télévision publique ERT, fermée en juin 2013, avec à la clé la réintégration de 2500 salariés. «Ce pays a besoin d’un Etat qui fonctionne, avec de nouvelles règles d’embauche et d’affectation, tranche Kyriakos Mitsotakis. Sans une refonte complète de l’administration, les réformes resteront lettre morte.» Amputer pour guérir du clanisme et des emplois fictifs? «C’est indispensable, confirme un diplomate grec. Mais Syriza émane des syndicats du secteur public. Donc…»

Au pied de l’Acropole, les bureaux de l’IOBE, la fondation économique du patronat, sont un autre bastion pro-réformes. Son ancien directeur n’est autre que Yannis Stournaras, l’actuel gouverneur de la banque centrale, ancien ministre des Finances et vétéran de l’Eurogroupe. Là, le chantier prioritaire est celui du secteur privé et de l’investissement. L’échec des privatisations des entreprises publiques, qui ont généré depuis quatre ans 3,2 milliards d’euros au lieu des 23 envisagés par Bruxelles, est écrit en gros sur un tableau. «L’interventionnisme étatique qui décourage les entreprises doit cesser», argumente le dernier rapport de la fondation. Nikos Vettas, son directeur, cite le palmarès 2014 «Doing Business» de la Banque mondiale, dans lequel la Grèce est au 61e rang sur 189 pays, très loin derrière ses pairs de l’UE. Plus grave: cela empire. Quatre ans pour qu’un contrat y soit honoré, contre un an et demi en 2010. Le pire de l’UE pour le droit des faillites, pour les douanes, pour l’enregistrement des droits de propriété (dû à la quasi-absence de cadastre). «On peut augmenter la compétitivité en baissant les salaires mais les exportations ne représentent que 7% du PIB grec, poursuit Nikos Vettas. Il faut donner confiance aux investisseurs, élargir notre base de PME dans les filières porteuses: tourisme, agroalimentaire, transports.»

Comment s’en sortir et pérenniser le fameux excédent budgétaire primaire indispensable (avant paiement des intérêts de la dette)? «Dans l’immédiat, la coupe la plus réaliste est dans le budget de défense (3,25 milliards en 2015, déjà en baisse de 46% par rapport à 2010) en lien avec nos alliés», note Kostas Kostis.

L’autre volet est celui des recettes fiscales, dans un pays où la fraude aux impôts reste estimée à 20 milliards d’euros par an, et où les arriérés de taxes s’élèveraient à 70 milliards. Un projet de loi visant à régulariser les fonds à l’étranger a été discuté avec la Suisse et doit être voté d’ici à la fin juillet. L’augmentation de la TVA dans les îles touristiques, réclamée par l’UE, paraît aussi incontournable, mais le fait qu’elles sont le fief du parti nationaliste des Grecs indépendants allié de Syriza, et la concurrence balnéaire de la Turquie voisine compliquent la donne: «La priorité, pour le tourisme grec, est de se focaliser sur la valeur ajoutée et de dégager plus de marge, note Giorgos Drakopoulos, de Tourism-generis.com. Là aussi, des réformes douloureuses sont indispensables.»

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