Malgré un ultimatum de la Commission européenne et les fortes pressions de ses partenaires, la Wallonie refuse toujours d'approuver l'accord UE-Canada (CETA), paralysant sa célébration prévue la semaine prochaine. "Je crains que le Ceta ne puisse être notre dernier accord de libre échange", menace le Président du Conseil européen Donald Tusk.
Trois jours. C'était le délai accordé mardi 18 octobre à la Belgique et la Wallonie par la Commission de Bruxelles pour ratifier sans réserve ni amendement
l'accord CETA (Canada-EU Trade Agreement, en français Accord Économique et Commercial Global (AÉCG), fruit de … sept ans de pourparlers. Réponse jeudi, veille du sommet européen qui doit statuer en la matière : toujours "non".
Négocié depuis 2009, le traité couvre la plupart des aspects de la relation économique bilatérale, notamment les produits et les services, l’investissement et les achats gouvernementaux. Il implique dans la plupart des cas la suppression des droits de douane, l'harmonisation des normes actuelles et futures, l'accès aux marchés publics et garantit la « protection juridique » des investissements.
Très couvé par la Commission européenne, il offrira aux entreprises de l'UE,
précise son site officiel «
des débouchés commerciaux plus nombreux et de meilleure qualité au Canada et soutiendra la création d'emplois en Europe. (…) [Il]
respectera pleinement les normes européennes dans des domaines tels que la sécurité alimentaire et les droits des travailleurs ».
Un Traité exemplaire ?
Tel n'est pas l'avis de ses adversaires, qui y voient le «
cheval de Troie du TTIP » (accord transatlantique dont la conclusion est aujourd'hui remise en cause). Pour certains, le CETA permettra aux grandes entreprises américaines, très implantées au Canada, d'investir de façon détournée le marché européen. D'autres remettent plus généralement en cause ce type de traité, le considérant plus destructeur que créateur d'emplois, menaçants les services publics voire, alors que l'heure est grave en la matière, les normes environnementales en évolution. Sa consécration des arbitrages privés est, en outre, vue comme une atteinte aux souverainetés des États.
En France, où le grand public peu informé ignorait jusqu'à ces dernières semaines l'existence même d'un tel chantier, l'opposition au CETA rassemble surtout la gauche dite « radicale » (des trotskistes aux « Mélenchonistes » en passant par le Parti communiste), le Front National, les écologistes (Verts « officiels » ou le courant informel incarné par Nicolas Hulot, ex-conseiller de François Hollande pour l'environnement), la Confédération paysanne, la CGT (premier syndicat français, allié dans son rejet
avec son homologue … canadien) voire une partie des socialistes, de plus en plus sensibles à ce type de question inflammable. Ce qui fait, au total, pas très loin de la moitié du pays.
La polémique est bien plus vive encore dans d'autres pays de l'Union. C'est le cas en
Allemagne et en Autriche, bastions de la contestation anti-TTIP. On attendait moins la Belgique, généralement compréhensive envers la logique d'une Union européenne dont elle héberge la plupart des institutions. Or, dès le mois d'avril dernier, le Parlement wallon – dont l'avis, en la matière, s'impose au Parlement fédéral belge - s'était singulièrement élevé contre le CETA. Contrairement à leurs homologues français qui se voient reconnaître dans le traité le respect de leur nombreuses AOP (« Appellation d'Origine Controlée »), les petits agriculteurs wallons – qui ignorent cette notion juridique - se sentent particulièrement menacés par la concurrence canadienne qui concerne directement leurs produits et redoutent, plus que d'autres, l'effet « cheval de Troie ».
Grain de sable
Or, le droit est formel. Il faut bien, pour valider le Traité, les ratifications - prévues dans les semaines à venir - du parlement européen mais aussi des vingt-huit parlements nationaux. La nature consensuelle des alliances qui dominent le premier devait y faire taire,
in fine, les voix réticentes. Celle des seconds devait suivre. Comme c'est un long processus, l'usage est de permettre une application provisoire du traité et l'Assemblée nationale française,
par exemple, s'y est pliée. Le parlement wallon voit les choses autrement, tout comme d''ailleurs celui de la Communauté française de Belgique et demain, vraisemblablement, celui de Bruxelles. Et sans leur consentement, le Parlement fédéral belge ne peut rien.
Plus qu'une protestation symbolique ou une posture, la résistance wallonne peut bel et bien enrayer la discrète mécanique européenne. Sans l'unanimité des États-membres, le sommet UE-Canada des 27 et 28 octobre - au cours duquel le CETA devait être paraphé par le Premier ministre canadien Justin Trudeau et par le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker - devient sans objet.
Exaspération décalée de la commissaire européenne au commerce Cecilia Malmström, au risque de paraître plus soucieuse du sort des diplomates que de celui des agriculteurs wallons : «
Il doit y avoir un accord vendredi (…) Nos amis canadiens doivent savoir s'ils doivent réserver leur billets [d'avion] ou pas ! » Réponse fraîche ce 19 octobre du chef du gouvernement de Wallonie, Paul Magnette :
« On ne pourra pas signer ce vendredi, ce n'est pas raisonnable. Je crois qu'il faut dire les choses clairement ».
Ce n'est pas parce que les Canadiens sont nos amis que nous devons tout accepter
Urgence
En réalité, ce n'est pas la réservation des billets d'avion – les flottes d'affaires ne manquent pas - ni la date de la cérémonie de paraphe - qui pourrait sans inconvénient être fixée au prochain mardi gras - qui tourmentent les artisans du CETA, mais bien la tournure et l'amplification du débat, l'expérience que le temps ne joue pas en leur faveur. Si son sort ultime reste incertain, le précédent du TTIP est dans tous les esprits, comme celui, antérieur, de l'
ACTA (accord commercial sur la propriété intellectuelle finalement rejeté par le parlement européen): conception d'un traité dans le secret des cénacles libéraux, fuites, inflammation d'un débat imprévu qui gagne progressivement l'ensemble de l'Europe, mobilisation internationale. Résultat : une classe politique initialement en extase devant les vertus modernes de l'accord projeté amenée au revirement ; des
parlements rétifs, des dirigeants contraints de se déjuger, des négociations en panne.
Consolation d'un libre-échangisme de plus en plus critiqué et affaibli en Europe par le départ du Royaume Uni, le CETA, ne doit pas être exposé au même pourrissement. Très impliqués – socialistes et francophones, comme les trublions wallons -, les dirigeants français ont déjà fait savoir, par la bouche d'Emmanuel Valls, en visite au Canada, l'incongruité à leurs yeux des fantaisies belges : «
Il serait quand même inconcevable que l'Union européenne ne soit pas capable de s'engager », précisant cependant : «
Je suis optimiste (…), nous allons convaincre nos amis wallons ». Agacé, son homologue canadien a également fait entendre à cette occasion son impatience envers un ensemble pourtant quinze fois plus peuplé que son pays : «
Si l'Europe est incapable de signer une entente commerciale progressiste avec un pays comme le Canada, avec qui l'Europe pense-t-elle faire affaires dans les années à venir? ». Réponse ce 19 octobre de la petite wallonie par la voix de Paul Magnette : «
Ce n'est pas parce que les Canadiens sont nos amis que nous devons tout accepter ». Et dramatisation, le lendemain, du président du Conseil européen Donald Tusk : "
Je crains que le Ceta ne puisse être notre dernier accord de libre échange".