Le Premier ministre belge, Charles Michel, a annoncé ce lundi que son pays ne signera pas en l’état l’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada. Preuve que la fermeté des Wallons, qui refusaient d’accorder les pleins pouvoirs au Parlement fédéral de signer l’accord, a porté ses fruits. Si la Belgique ne signe pas, cet accord ne peut pas entrer en vigueur.
L’ultimatum et les pressions venant des institutions européennes n’ont pas fait plier les Wallons.
« Nous ne sommes pas Astérix, car on n’a pas la potion magique, on a simplement la force de nos convictions ». C’est ainsi qu’André Antoine, le président de l’assemblée wallone, définit sa position face à la signature du t
raité de libre-commerce entre l’Union européenne et le Canada.
Il est pourtant tentant de recourir à l’image des « irréductibles Wallons » au vu de la difficile position que leur dirigeant, Paul Magnette, essayait de maintenir. La Wallonie refuse, pour l'instant, de dire oui à un accord qui est présenté comme la version vertueuse du
très décrié TAFTA entre les Etats-Unis et l’UE.
Grosso modo,
le CETA vise à réduire les frais de douane et à faire converger certaines normes. Mais ce texte de plus de 2300 pages très inaccessibles pour les non-initiés
va bien sûr plus loin. Ses détracteurs estiment que les produits agricoles canadiens pourront investir le marché européen en mettant en difficulté les producteurs locaux. Par ailleurs, le traité semble incompatible avec la sauvegarde de l’environnement.
Mais le point de rupture pour la Wallonie est le suivant : le mode de règlement des litiges dont la résolution ne sera pas confiée à une cour multilatérale. C’est un tribunal d’arbitrage spécial qui est prévu dans le projet d’accord. Cette instance donne la possibilité aux multinationales investissant à l’étranger de porter plainte contre tout Etat qui adopterait une politique qui irait à l’encontre de leurs intérêts. Comprenez : des mesures de protection de l’environnement ou de la santé du consommateur.
La Wallonie ne signera pas
C’est pour cette raison que dans un discours devenu mondialement célèbre, Paul Magnette déclarait :
« Le Wallonie ne signera pas. […] On parle ici de traités qui vont concerner la vie de 500 millions d’Européens, de 35 millions de Canadiens, pendant des années et des années. Donc, on n’a pas d’urgence ».
Effectivement, la Wallonie ne s’oppose pas au traité. Mais aimerait que les points évoqués soient renégociés. D’ailleurs, sa position singulière au sein de l’Union européenne n’est pas nouvelle. Déjà en avril, le Parlement Wallon s’était opposé avec beaucoup de fermeté au CETA.
L’économiste et militant de l’organisation altermondialiste Attac, Maxime Combes, insiste aussi sur ce point essentiel :
« Paul Magnette dit clairement qu’il s’agit d’un non pour négocier parce qu’il est important de prendre le temps de déterminer démocratiquement ce que nous souhaitons comme traité. Il faut prendre le temps pour définir les normes et les standards de qualité qui doivent aujourd’hui la base des accords internationaux ».
Le non wallon face à l'ami canadien
Avant l’annonce de ce lundi du premier ministre belge, Charles Michel, qui a confirmé que la Belgique ne signerait pas l’accord en l’état, il semblait inenvisageable de prendre ce temps.
« Le CETA serait le meilleur des accords, selon le gouvernement français, alors que le TAFTA serait le pire. Mais les deux accords sont fondés sur les mêmes principes. Cette chape de plomb est donc liée à la communication du gouvernement français, et aussi à la bonne image que nous avons du Canada par rapport aux Etats-Unis. On a l’impression que ce traité n’a pas une énorme importance. Le Canada serait un pays ami et un petit pays en terme de population et de PIB par rapport au mastodonte américain », explique Maxime Combes.
Dès lors, le non potentiel d’un des membres de l’UE n’était pas dans
« l’ordre des choses ». La donne est peut-être en train de changer, estime l’économiste.
« Paul Magnette est en train de construire un rapport de forces au niveau européen en s’appuyant sur un Parlement qui a trouvé un consensus. Il s’agit de négocier pour que les règles environnementales, sociales, que la régulation priment sur la loi du plus fort et les lois des multinationales ».
Un rapport de forces qui penche du côté des Wallons et désormais de la Belgique. Si la Wallonie avait cédé, le CETA aurait été ratifié et aurait pu entrer, en partie, en vigueur en 2017 sans avoir été soumis au vote des Parlementaires nationaux.
« C’est ce qu’on appelle un accord mixte, explique Maxime Combes.
C’est-à-dire, un accord qui relève des compétences communautaires et des compétences nationales. L’exemple Wallon se situe en amont de cela, car le Parlement Wallon doit donner les pleins pouvoirs au parlement fédéral belge pour qu’il signe l’accord. Ces députés ont assisté à des dizaines de réunions avant de donner leur avis. Ce travail n’a pas été fait par les députés français par exemple. Ce traité a été débattu dans l’opacité par les instances européennes et le gouvernement canadien ».
Sauver la construction européenne
La portée de la démarche de la Wallonie ne s’arrête pas à ce traité dit de
« nouvelle génération ». Celle-ci a un impact considérable sur la construction européenne, selon l’économiste :
« Le non de la Wallonie est une chance pour la démocratie. Le véto Wallon est peut-être une opportunité historique. Tout le monde voit qu’il y a un problème dans la façon dont les politiques commerciales sont menées dans l’Union européenne. On peut les mener autrement. Si les autorités européennes voulaient vraiment défendre le projet européen elles devraient remercier la Wallonie ».Le quotidien flamand
De Morgen,
repris par le Courrier international, abonde dans ce sens :
« Si l’attitude wallonne a été beaucoup critiquée, en Flandre comme à l’étranger, les Wallons ont été capables de tenir un débat parlementaire sur un sujet qui est, de l’avis des partisans du CETA eux-mêmes, crucial pour la prospérité. La question, plus largement, est de savoir si un État-membre – ou l’une de ses entités fédérées – peut encore dire non quand l’‘Europe’a déjà dit oui ».
De Morgen, toujours cité par l’hebdomadaire français,
« pense qu’à à l’heure où la critique de l’Union européenne monte à gauche comme parmi les populistes de droite, on ne peut continuer à ignorer ces critiques légitimes sans mettre le projet européen en péril ».
Effectivement, l’exploit wallon est fortement critiqué. Le quotidien économique
De Financieele Dagblad résume la position de ses détracteurs :
« L’Union européenne compte 505 millions d’habitants. Dont 11 millions de Belges (2,2 %). Parmi eux, 3,5 millions vivent en région wallonne, dont 1,9 million a pris part aux élections régionales de 2014. Et parmi ces électeurs, 943 000 ont voté pour le Parti socialiste (PS) et les chrétiens-démocrates (cdH). Ce qui représente 0,19 % de la population de l’Union européenne. Et c’est sur la base de ce minuscule mandat que le gouvernement wallon a décidé pour 505 millions d’Européens de faire sauter le traité commercial avec le Canada».
Pour Maxime Combes, le jeu en vaut la chandelle :
« Les institutions européennes le disent, le CETA sera le premier de ces accords nouvelle génération dont la vocation est d’organiser les normes du commerce mondial pour ce XXIème siècle ».
Le président du parlement de Wallonie, André Antoine, appelle donc les auteurs de ce traité
« à mettre de l'ordre dans la marmelade de textes qui le composent » afin de pouvoir renégocier.
Mise à jour : Les principaux ministres des entités fédérées belges et du gouvernement fédéral ont repris, ce mercredi 26 octobre, leurs discussions pour définir une position unanime sur le CETA. Ils devront ensuite défendre cette position face aux 27 pays de l'Union européenne. A ce stade, l'UE a décidé de ne pas annuler le sommet de signature avec le Canada prévu ce jeudi.
Si la Wallonie est devenue le symbole de la contestation, des voix
au Canada, en Allemagne, en Autriche, en Belgique et en Pologne s’élèvent contre le CETA.