L'attentat contre le journal a suscité une avalanche de réactions. La mort des cinq dessinateurs français indigne la presse mondiale. Mais parmi les 12 personnes qui sont mortes sous les balles, plusieurs n'étaient pas journalistes. Qui étaient donc ces victimes collatérales et que la presse évoque à peine ?
08.01.2015Croquis satiriques, tweets émus, bandeaux noirs de rigueur, éditos consternés, révolte 2.0, les réseaux sociaux se sont enflammés sitôt l'annonce du massacre. L'hebdomadaire satirique ainsi durement touché (mais pas coulé puisque Charlie Hebdo sera à nouveau dans les kiosques mercredi prochain...) a suscité un nombre impressionnant de réactions. Rappelons-le, les dessinateurs Charb, Cabu, Wolinsi, Tignous et Honoré n'avaient qu'un crayon et quelques feutres pour lutter contre les fusils mitrailleurs. Célébrés par les Présidents de la planète et même par le Pape François, pourtant une de leur têtes de Turc préférés, ils rejoignent les martyrs de celles et ceux qui sont tombés au champ d'horreur, coupables d'avoir honoré la liberté d'expression. Mais qui sont donc les victimes collatérales de cet attentat qui bénéficient d'une couverture médiatique beaucoup plus modeste ? Oui, qui étaient Frédéric, Franck, Elsa, Ahmed, Mustapha et Michel ?
Frédéric Boisseau Il avait 42 ans, était père de deux enfants de 10 et 12 ans. Frédéric Boisseau était agent de maintenance de la société Sodexo depuis 15 ans. Mercredi matin, ce chef d'équipe se trouvait dans le hall d'entrée du journal satirique pour effectuer des travaux de maintenance du bâtiment quand il a été tué par les assaillants. La société qui l'employait à "invité l'ensemble de ses 420 000 collaborateurs (et présente dans 80 pays ndlr) à observer jeudi à 14H00, heure de Paris, une minute de silence pour rendre hommage à M. Boisseau". "Nous sommes Charlie mais nous sommes aussi Frédéric», pouvait-on lire jeudi matin dans des messages diffusés sur les réseaux sociaux.
Franck Brinsolaro Le brigadier abattu était chargé de la sécurité de Charb, le directeur de la publication de Charlie Hebdo. Le policier appartenait depuis plusieurs années au Service de Protection des Hautes Personnalités (SPHP). Agé de 49 ans et père de deux enfant, Franck Brinsolaro était le mari de Ingrid Brinsolaro, rédactrice en chef du journal l'Eveil Normand dans l'Eure. Francis Gaunand, le directeur du groupe Publihebdos qui publie l’Eveil Normand a réagit : "Nous sommes effondrés et très tristes.Nous pensons à cette famille proche de nous, détruite par cette horreur, qui vit en ce moment des heures dramatiques et pour qui tout a basculé ce 7 janvier."
Michel Renaud Âgé de 69 ans, il était le fondateur du festival
Rendez-vous du Carnets de voyage de Clermont-Ferrand et ancien journaliste. Notre confrère Pascal Priestley se souvient : " Michel avait "fait" avant moi le Centre de Formation des Journalistes, la promotion sortie en 68. Il avait navigué quelques années dans la presse nationale (Europe 1, le Figaro) avant de s'installer en Auvergne. Il y a alors monté une société de communication qui comptera quelques gros clients dont les ciments Lafarge. On se connaissait via des liens familiaux et il m'a proposé de travailler pour lui comme pigiste alors que j'étais moi-même étudiant du CFJ. J'ai accepté et cela a duré près d'un an. Dans les années 80, il s'était rapproché de Roger Quillot, maire de Clermont-Ferrand et ministre de Mitterrand. Il était devenu responsable de la com de la ville, puis directeur de cabinet du maire suivant, toujours socialiste. Il a toujours beaucoup voyagé, depuis que je le connais, dans des pays insolites. Dans les année 2000, avec son association "il faut aller voir", il a créé ce festival à Clermont-Ferrand. La devise était jolie : "aller vers ailleurs et vers autrui". Il y avait reçu Cabu en novembre et venait à Paris lui rendre des planches et échanger avec d'autres journalistes de Charlie, que Cabu lui présentait".
Elsa Cayat Seule femme victime du carnage, Elsa Cayat était agée de 54 ans. Psychiatre et psychanalyste, auteure de plusieurs ouvrages sur la sexualité, son cabinet était situé avenue Mozart, dans le XVIe arrondissement de Paris. Deux fois par mois, elle tenait une chronique dans l'hebdo satyrique Sur la page de
Madame Figaro, une de ses patientes, Valérie, se souvient : "Elle était la liberté de penser, de se conduire, de croire en soi et s’engager pour changer le monde (...) toujours perchée sur ses talons vertigineux, elle m’aspirait pour des séances sans concessions qui démarraient invariablement par "Alooooooors, racontez moi".
Sa cousine, la productrice de cinéma Sophie Bramly, évoque dans Le Parisien un autre aspect du drame : "Je sais que les assassins ont demandé à leurs victimes de se lever et de décliner leur identité. Comme elle était juive, je ne peux m’empêcher de penser qu’elle a été tuée pour cette raison, et j’en éprouve des relents d’horreur".
Ahmed Merabet L'homme, musulman, avait 42 ans et était agent de police. Dans la vidéo qui circule sur internet, avec des images stupéfiantes de cruauté et d'inhumanité, c'est lui, blessé, qui repose à terre et qui demande à l'un des hommes armés de l'épargner. Il est aussitôt abattu froidement. Membre de la brigade VTT du commissariat du 11e arrondissement de Paris, il patrouillait dans la zone quand il a croisé la route des assaillants qui sortaient de Charlie Hebdo. Marié, il était père de deux enfants.
Mustapha Ourrad Il habitait Montreuil, était correcteur à Charlie Hebdo et venait d'obtenir la nationalité française. Autodidacte, né en Algérie, père de deux enfants, il avait travaillé pour une maison d'édition et plusieurs journaux avant de rejoindre l'hebdomadaire satirique. Sur Kabyle.com, un ami se souvient de lui : " Mustapha était un homme très cultivé ,très instruit, studieux, un chevronné en Lettres françaises. C'était quelqu'un de très gentil, très humain, affectueux, humble, simple, abordable, agréable, et il avait le sens du contact humain, doté de qualités humaines rares de nos jours débordés par l'individualisme et la cupidité.......C'était au début des années 80 qu'il avait quitté l'Algérie, après un passage à la Fac centrale d'Alger. Il n'est jamais retourné dans ce pays qu'il savait" foutu ", ravagé par la dictature militaire, et où il était malmené par la vie, en tant qu'orphelin, ayant connu la pauvreté et la précarité au plus haut degré".
Bernard Maris Agé de 68 ans, cet économiste de gauche "était un homme tolérant, bienveillant, amical, bourré d'humour et surtout ne se prenant pas au sérieux", a raconté à l'AFP, l'éditorialiste des Échos Dominique Seux, qui débattait avec lui chaque semaine sur France Inter.
Le Monde écrit : "Jusqu'à son dernier souffle, Bernard Maris aura été un homme sensible à toutes les vibrations de son époque. Economiste, journaliste, écrivain, « oncle Bernard » – qui réservait sa colère hebdomadaire à Charlie Hebdo – a embrassé la vie et mordu dans l'histoire avec la curiosité singulière et l'élégance baroque d'un esprit libre. Son dernier coup de foudre fut pour Michel Houellebecq."