Analyse

Chasse aux immigrés aux États-Unis : comment Donald Trump impose la politique de répression et d'expulsion la plus extrême

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 Des manifestants lors d'un rassemblement dénonçant les raids de l'ICE, le 12 juin, à Ventura, en Californie. AP/ Damian Dovarganes.

Des manifestants lors d'un rassemblement dénonçant les raids de l'ICE, le 12 juin, à Ventura, en Californie. AP/ Damian Dovarganes.

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Depuis son investiture en janvier, Donald Trump mène une offensive contre les personnes migrantes aux États-Unis. Celle-ci a été rapide et brutale au point de mobiliser des millions de personnes, opposées notamment à l’explosion des expulsions réalisées par la police de l’immigration. Quel bilan tirer de cette politique au bout d'à peine quelques mois ?

En cinq mois au pouvoir, le président américain Donald Trump a largement pu dérouler les étapes de son offensive contre les immigrés aux États-Unis. La liste de ses cibles est longue : loin de s’arrêter à ceux qui ont commis des crimes, comme il l'avait initialement déclaré, il s’est attaqué aux étudiants, aux demandeurs d’asile, aux ressortissants d’une vingtaine de pays,… 

« Trump va plus vite et est plus extrême que lors de son premier mandat, analyse Ernesto Castañeda, directeur du Centre d'études latino-américaines et latinos et du Laboratoire sur l’immigration de l'American University de Washington. En peu de temps, son administration a déjà mis en œuvre ou essayé de mettre en œuvre presque tout ce qu'elle prévoyait de faire dans le cadre de son programme maximaliste, ou extrémiste, de lutte contre l'immigration. »

Le chercheur ajoute : « Ils ont obtenu ce qu'ils voulaient. Le problème, c'est que ce qu'ils voulaient est très dangereux pour le pays, pour les immigrés, leurs familles, leurs communautés et pour l'économie. »

(Re)lire : Aux États-Unis, "les migrants sont confrontés à des infractions systématiques de leurs droits"

La lutte contre les personnes migrantes, au cœur de la politique de Trump 

Dès son retour au pouvoir, le 20 janvier, Donald Trump s’est en effet consacré à lutter contre la présence ou l’arrivée de personnes migrantes aux États-Unis. Il a par exemple fait en sorte que les demandeurs d’asile tentant d’entrer dans le pays depuis la frontière au Sud ne puissent plus prendre rendez-vous sur l’application consacrée, ou attendre sur le sol américain l’examen de leur demande. 

Le président prétend ainsi mettre fin à « l’invasion » migratoire que représente selon lui l’arrivée d’exilés venus d’Amérique centrale ou latine. Il a donc déclaré dès le 20 janvier une « urgence nationale » à la frontière Mexique-États-Unis. Ces mesures, couplées à la présence de l’armée, ont conduit à réduire drastiquement les arrivées à cette frontière, y compris de personnes venant demander l’asile.

Pendant la campagne électorale présidentielle, Donald Trump avait déjà misé sur des discours xénophobes et racistes. Il affirmait par exemple que les Haïtiens mangeaient des animaux de compagnie et que les migrants latinos arrivant aux États-Unis sortaient de prisons ou d’asiles psychiatriques. Ses campagnes d’expulsions ciblent aujourd’hui particulièrement les personnes originaires d’Amérique Latine, d’Amérique centrale et des Caraïbes. 

(Re)lire : Présidentielle américaine : pourquoi le débat sur l'immigration s'est-il imposé dans la campagne ?

« Il y a beaucoup de profilage racial, observe Ernesto Castañeda. Et les personnes racisées sont celles qui sont interpellées par l'ICE (la police de l’immigration américaine, NDLR) dans les lieux publics pour montrer leurs papiers et qui sont embarquées, même s'il n'y a pas de mandat ou de décision de justice pour les interpeller. »

Une explosion des expulsions

L’une des méthodes de prédilection du président pour lutter contre la présence de personnes migrantes aux États-Unis est en effet la déportation. « Quelque 142 000 personnes ont été expulsées des États-Unis entre le 20 janvier et le 29 avril », selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme citant des données officielles américaines. Les Nations unies ont exprimé leur préoccupation face à cette situation, où les droits des personnes exilées ne sont pas toujours respectés. 

En effet, ces expulsions ont en partie été exécutées sans respecter les processus légaux. Des personnes ont par exemple été expulsées vers le Salvador, quel que soit leur statut aux États-Unis, en raison de leur appartenance supposée à des gangs.

En mars, le Département de la Justice américain a autorisé les agents d’ICE à entrer chez des immigrés pour les arrêter sans mandat. Il a aussi acté que les « ennemis étrangers » pouvaient ne pas avoir droit à une audience ou à faire appel.

On assiste dans tout le pays, à un niveau de contrôle policier et de répression de l'immigration jamais vu au cours des dernières décennies.
Ernesto Castañeda, directeur du Laboratoire sur l’immigration de l'American University de Washington.

« 3 000 déportations par jour »

« Leur objectif est de réaliser 3 000 déportations par jour. La stratégie est très agressive et vise tout le monde, y compris de nombreuses personnes sans casier judiciaire, des familles, des travailleurs, etc. », commente Ernesto Castañeda. Pour tenir ce rythme, l’ICE recrute, voit son budget augmenter, et récupère des agents d’autres services publics.

« Si Obama et Biden ont aussi expulsé beaucoup de personnes par le passé, il s'agissait principalement de personnes qui étaient là depuis moins d'un an, poursuit le chercheur. Mais une fois que les gens sont aux États-Unis depuis plus de deux ans, ils ont certains droits et une procédure d'expulsion doit être mise en place. L’administration Trump a violé cette procédure. Par exemple en expulsant des personnes en processus de régularisation ou possédant des papiers. »

Ces raids d’expulsions font régner un climat de peur parmi les communautés immigrées, y compris chez les personnes présentes légalement sur le territoire. Une fillette de onze ans s’est suicidée en janvier au Texas, harcelée à l’école sur le statut d’immigration de ses parents. 

« Certaines personnes ont décidé de partir d'elles-mêmes. La plupart ne peuvent pas et ne veulent pas, explique Ernesto Castañeda. Mais elles voient des gens autour d'eux se faire expulser, et elles ont plus que jamais peur d'aller travailler, d’aller à l’école, d'aller à l’église. Parce que même là, il y a eu des expulsions. On assiste donc, dans tout le pays, à un niveau de contrôle policier et de répression de l'immigration jamais vu au cours des dernières décennies. »

La politique anti-immigration de Donald Trump risque également d’avoir de graves conséquences sur l’économie du pays, qui se feront progressivement sentir. Celles-ci seront particulièrement saillantes dans les secteurs où les immigrés, notamment en situation irrégulière, sont surreprésentés : construction, restauration, agriculture,… 

Une étude californienne publiée le 17 juin a estimé que l’État américain perdrait environ 275 milliards de dollars de son économie et 23 milliards de dollars de recettes fiscales annuelles en cas d’expulsions des personnes sans-papiers, qui représente 8% de sa population active.

Offensive contre le droit d’asile

Les demandeurs d’asile ont constitué l’une des autres cibles de Donald Trump. Il a ainsi suspendu le programme d’admission de réfugiés aux États-Unis et s’est attaqué au statut de protection temporaire dont bénéficiaient certaines nationalités pour des raisons humanitaires urgentes. La Cour suprême américaine a autorisé fin mai son gouvernement à révoquer ce statut légal qui protégeait un demi-million d’immigrés venant d’Haïti, du Venezuela, de Cuba et du Nicaragua. Ils pourront donc être expulsés.

(Re)voir : Trump autorisé par la Cour suprême à révoquer le statut de 500 000 immigrés

Une catégorie de réfugiés fait figure d’exception parmi ces restrictions : les Afrikaners. En mai, une cinquantaine de ces ressortissants sud-africains ont été accueillis en grande pompe aux États-Unis. Donald Trump considère que les agriculteurs blancs du pays sont victimes d’un « génocide ». 

« La population blanche sud-africaine a longtemps dominé politiquement et économiquement le pays via l'apartheid, décrit Jeff Hawkins, ancien diplomate américain dans plusieurs pays africains et chercheur associé à l'Iris. À un moment où les États-Unis refusent d'accueillir des réfugiés politiques venant de pays véritablement en conflit, le choix d'accueillir, avec beaucoup de publicité, des Blancs sud-africains est inexplicable. Ce choix a eu lieu alors qu’un Sud-africain blanc très influent, Elon Musk, agissait dans l'administration Trump : on peut se demander s'il a eu une influence sur cette décision. »

Un « Travel ban » ciblant largement les pays africains

Les attaques anti-immigration ne se limitent pas aux personnes déjà présentes sur le territoire américain. Donald Trump a adopté début juin un « Travel ban », interdisant l’entrée aux États-Unis aux ressortissants de 12 pays, et la restreignant pour sept autres. Près de la moitié de ces pays sont africains. Il avait adopté au cours de son premier mandat une mesure comparable, appelée par ses opposants le « Muslim ban » car visant des pays à majorité musulmane.  

Les raisons officielles du « ban » mentionnent une administration inefficace pour délivrer des documents officiels de voyage, une tendance à dépasser la durée de validité des visas ou encore des accusations de terrorisme.

Il y a même une pression sur les gens qui ont des papiers, y compris des personnes qui avaient déjà leur carte verte, arrêtées, voire déportées pour leur prise de position.
Jeff Hawkins, ancien diplomate américain et chercheur associé à l'Iris.

« Le Maghreb et l’Afrique du Sud en sont exclus, mais ça touche plusieurs pays du reste de l’Afrique, souligne Ernesto CastañedaCette liste inclut aussi des restrictions pour les Vénézueliens ou les Cubains. Cela limite à la fois les touristes et les personnes qui pourraient demander l’asile. Je pense qu’il s’agit de racisme, et que ça s’appuie aussi sur le fait que la population de pays africains est majoritairement jeune. À l’avenir, les pays d’émigration, vers l’Europe ou ailleurs, seront notamment africains, parce que le reste du monde vieillit. »

Si « quelque deux millions d’immigrés africains » vivent au États-Unis, majoritairement originaires de pays anglophones comme le Nigeria ou le Ghana, les ressortissants de certains pays visés par le « ban » sont très minoritaires, comme par exemple la Guinée Équatoriale, rappelle Jeff Hawkins. 

(Re)lire : Entrée en vigueur du "travel ban" aux États-Unis

« Une pression même sur les gens qui ont des papiers »

Ces offensives se répercutent sur différentes catégories d’immigrés. « On a vu des changements importants au niveau des visas d'étudiants, qui sont des portes d'accès pour les gens qui voudraient dans un premier temps étudier aux États-Unis et éventuellement y rester, travailler et vivre, note Jeff Hawkins. Il y a même une pression sur les gens qui ont des papiers, y compris des personnes qui avaient déjà leur carte verte, arrêtées, voire déportées pour leur prise de position, notamment vis-à-vis de la Palestine. »

Le cas le plus emblématique de cette situation est Mahmoud Khalil, leader des manifestations étudiantes propalestiniennes à l'université Columbia. Arrêté sans mandat en mars, le jeune homme a été emprisonné pendant plus de trois mois alors qu’il avait un statut de résident permanent aux États-Unis. Les mesures contre les étudiants étrangers ne s’arrêtent pas là, puisque Donald Trump a par exemple suspendu fin mai le traitement des visas étudiants, le temps que son administration contrôle les réseaux sociaux des postulants. 

En avril, le Département de la Sécurité intérieure a demandé aux services de la sécurité sociale de considérer plusieurs milliers d’immigrés comme morts. Cela rend difficile, voire impossible, pour ces derniers de travailler légalement, d’obtenir un prêt, d’obtenir des aides publiques, etc. L’objectif est de les pousser à s’auto-expulser.

Parmi les nouvelles mesures envisagées figure aussi une taxe sur les envois de fonds à l’étranger. « C'est très punitif ; les gens paient déjà des impôts sur cet argent. C'est une nouvelle façon de pénaliser le fait d'être un migrant international », commente Ernesto Castañeda.

Quelles réactions de la part des contre-pouvoirs ?

Face à ces offensives contre les personnes immigrées, les réactions des contre-pouvoirs pèsent peu dans la balance. Le Congrès (Parlement américain) est dominé par les Républicains et laisse les mains libres à Donald Trump, voire renforce ses politiques. La justice et les pouvoirs locaux « font ce qu'ils peuvent, mais n'ont pas le même pouvoir que le président », observe Ernesto Castañeda. Leurs réactions, par exemple au « Travel ban », ont été moins puissantes que lors du premier mandat de Donald Trump, lorsque le pays ne s’était pas encore habitué aux politiques extrêmes du président américain. 

La Cour suprême est dominée par des juges nommés par des présidents républicains, dont certains par Donald Trump lui-même lors de son premier mandat. Ils peuvent s’opposer à certaines décisions du président, les plus extrêmes et les plus fragiles légalement, mais leur orientation politique joue sur leurs avis. 

L'utilisation de l'armée dans les rues montre que l'offensive contre les immigrés met en danger les droits civiques de tout le monde.
Ernesto Castañeda, directeur du Laboratoire sur l’immigration de l'American University de Washington.

Les opposants démocrates peuvent aussi se heurter à la répression politique ou policière. Brad Lander, un candidat démocrate à la mairie de New York, a été arrêté le 17 juin en plein tribunal, alors qu’il était venu défendre des migrants menacés d’expulsion. La semaine précédente, le sénateur Alex Padilla avait été expulsé de force d'une conférence de presse d'une ministre de Donald Trump. Les règles pour visiter des centres de détention des migrants ont été durcies : il n’est plus possible pour les parlementaires de s’y rendre à l’improviste, puisque l’ICE leur demande désormais un préavis d’au moins trois jours.

Dans ce contexte, Ernesto Castañeda souligne le rôle joué par deux autres contre-pouvoirs : « La presse fait un travail remarquable, tant au niveau national qu'international. Elle ne se contente pas de répéter ce que dit Trump mais enquête vraiment. Et l'autre contrepoids très important, ce sont les citoyens. Au cours des premières semaines, les gens se sont autocensurés. Beaucoup d’opposants avaient peur de devenir eux-mêmes des cibles. Mais je pense que la plupart sont maintenant très ouverts à la critique du président. »

Des millions de manifestants

En juin, des manifestations ont rassemblé des opposants aux raids d’expulsions menés par les agents d’ICE. À mesure que ces rassemblements grossissaient et que les tensions avec la police s’accentuaient, la répression s’est aussi renforcée. À Los Angeles, Donald Trump a ainsi déployé plusieurs milliers de militaires, en plus du couvre-feu instauré par la ville.

Au fil des jours, des centaines de milliers, voire des millions de personnes selon la presse ont participé à ces manifestations, qui s’opposaient plus généralement à la politique de Donald Trump au sein du mouvement « No kings ». 

Celles de Los Angeles, où vit une importante communauté hispanique, ont le plus attiré l’attention, mais des rassemblements se sont organisés partout dans le pays. Elles participent à faire croire à Ernesto Castañeda, et à d’autres observateurs, à la force de l’opposition américaine à l’administration Trump.

« Trump perd du terrain sur le plan de l'image publique, de la médiatisation. Seule la base MAGA (Make America great again, le nom du mouvement de Trump, NDLR) est satisfaite, mais beaucoup moins que ce qu'il pensait. Les autres sont très inquiets, ils savent qu'il ne s'agit pas seulement d’immigration. L'utilisation de l'armée dans les rues montre que cela met en danger les droits civiques de tout le monde, et que c'est un moyen d'accroître son autoritarisme. »

Il estime que cette opposition pourrait se renforcer avec le temps et la poursuite des politiques de Trump, au point de menacer la majorité républicaine au Congrès lors des élections de mi-mandat l’année prochaine. Dans ce cas, le Congrès pourrait freiner certaines des mesures de l’administration présidentielle.

(Re)voir : États-Unis : déploiement de l'armée en Californie