"On va traverser et vous serez en Syrie."
En reprenant la route, impossible de manquer les dégâts dans d’autres parties de la ville. Plusieurs immeubles portent les stigmates d’attaques récentes. Devant un café, non loin de la frontière, trois femmes et deux hommes sirotent du jus d’orange. Les femmes sont un peu timides, elles rigolent et font des messes basses. « Nous n’avons pas peur. » La déclaration est brève et sans équivoque. C’est tout ce qu’elles tenaient à dire.
Entre-temps, un homme d’un certain âge, tenue de commando sur le dos et talkie-walkie dans la poche, a rejoint le petit groupe. Il vérifie immédiatement par radio si nous sommes bien censés être là. En l’occurrence oui, nous avions obtenu les autorisations préalables au bureau local du Hezbollah. L’homme se détend un peu et commande un café. « Vous ne devriez pas aller par là, c’est dangereux, la guerre est toute proche. » Finalement, il décide de nous emmener lui-même. Son gros 4x4, sans plaque d’immatriculation, roule vite. Il s’embarque dans des chemins de traverse qui débouchent dans la cour d’une ferme. Dans la grange, des réfugiés syriens semblent s’être installés. A l’écart du bâtiment, les voitures s’arrêtent enfin devant un ruisseau surplombé d’un petit pont en fer. « Voilà, c’est la frontière. On va traverser et vous serez alors en Syrie. »
De là, on entend très nettement les explosions. Le chef militaire prend les devants, traverse. Ici, c’est la Syrie. Tout le monde reste derrière un gros monticule de sable. Des éclats d’obus jonchent le sol. Un pare-brise étoilé gît sur le côté, vestige d’une voiture ayant fait les frais d’une roquette, il y a quelques jours. Ce sera tout, et c’est déjà bien étant donné la difficulté à approcher les combattants du Hezbollah habituellement.
De retour en ville. Devant l’une des maisons, un attroupement. Les gens discutent, se serrent dans les bras. Une grande tente sous laquelle s’empilent des chaises en plastique a été dressée. C’est sous ce genre de tente que les gens reçoivent les condoléances, dans la région. Ici, la victime s’appelait Loulou. A peine 20 ans, elle prenait l’air sur le toit quand une roquette est tombée sur la maison d’en-face. Les éclats d’obus ne lui ont laissé aucune chance. Le Hezbollah a fait imprimer une grande banderole portant son nom, qui a été accrochée dans la rue. Son père, Abdallah Awad, oscille entre pleurs et colère.