11 septembre, 8 h 45.
«Camarades qui m'écoutez. La situation est critique. Nous faisons face à un coup d'Etat auquel participe la majorité des Forces armées.
En cette heure funeste, je veux vous rappeler quelques-unes de mes paroles prononcées en 1971, je vous les dis avec calme, avec une totale tranquillité, je n'ai pas vocation d'apôtre ni de messie.
Je n'ai pas l'âme d'un martyr; je suis un lutteur social qui remplit une tâche que lui a confié le peuple. Mais que ceux qui veulent arrêter l'Histoire et ignorer la volonté majoritaire du Chili l'entendent: sans avoir l'âme d'un martyr, je ne ferais pas un pas en arrière. Qu'ils le sachent, qu'ils l'entendent, qu'on le leur grave profondément: je quitterais La Moneda quand mon mandat sera terminé.
Je défendrais cette révolution chilienne et je défendrais le gouvernement. Je n'ai pas d'autre choix. Il faudra me cribler de balles pour m'empêcher de réaliser le programme du peuple. Et si on m'assassine, le peuple suivra sa route. Peut-être sera-ce plus difficile, plus violent, car ce sera une leçon objective très claire pour les masses: ces gens ne reculent devant rien. (...)»
9 h 03. «En ce moment, des avions nous survolent. Il est possible qu'ils nous mitraillent. (...) Au nom des plus sacrés intérêts du peuple, au nom de la Patrie, je vous appelle à avoir la foi. L'Histoire ne se détient ni par la répression ni par le crime. (...) Il est possible qu'ils nous écrasent. Mais le futur appartiendra au peuple, aux travailleurs. L'humanité avance vers la conquête d'une vie meilleure. (...)»
9 h 10. «C'est certainement la dernière opportunité que j'ai de vous parler. L'aviation a bombardé les antennes de Radio Magallanes. Mes paroles ne sont pas amères mais déçues. Qu'elles soient une punition morale pour ceux qui ont trahi leur serment. (...) Face à ces évènements, je ne peux dire qu'une chose aux travailleurs: Je ne renoncerai pas! Dans cette étape historique, je paierai par ma vie ma loyauté au peuple. J'ai la certitude que la graine que l'on a confié à la conscience de milliers et de milliers de Chiliens ne pourra pas être détruite définitivement. Ils ont la force, ils pourront nous asservir mais ne bloqueront pas les processus sociaux, ni avec le crime, ni avec la force. L'Histoire est à nous, c'est le peuple qui la fait!
Travailleurs de ma Patrie, je veux vous remercier pour la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, de la confiance que vous avez déposé sur un homme qui n'a été que l'interprète du grand désir de justice, qui a juré de respecter la Constitution et la loi, et qui l'a fait. En ce moment crucial, la dernière chose que je voudrais vous dire est que j'espère que la leçon sera retenue: le capital étranger, l'impérialisme, unis à la réaction ont créé le climat qui a poussé les Forces armées à rompre leur tradition (...).
Je me dirige à vous, et en particulier à la modeste femme de notre terre, à la paysanne qui a cru en nous, à la mère qui comprit notre préoccupation pour les jeunes. Je m'adresse aux fonctionnaires, à ces patriotes qui ont continué à travailler contre la sédition promue par ceux qui ne défendent que les avantages d'une société capitaliste. Je m'adresse à la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et leur esprit de lutte.
Je m'adresse au Chilien, ouvrier, paysan, intellectuel, à tous ceux qui seront persécutés parce que dans notre pays le fascisme est présent, déjà depuis un moment, dans les attentats terroristes, en faisant sauter des ponts, en coupant les voies ferrées, en détruisant les oléoducs et gazoducs; face au silence de ceux qui avaient l'obligation d'intervenir. L'Histoire les jugera.
Ils vont sûrement faire taire Radio Magallanes et vous ne pourrez plus entendre le son métallique de ma voix tranquille. Peu importe. Vous continuerez à m'écouter, je serai toujours près de vous. Au moins vous aurez le souvenir d'un homme digne, loyal à la Patrie.
Le peuple doit se défendre, mais pas se sacrifier. Il ne doit pas se laisser écraser, mais pas non plus se laisser humilier.
Travailleurs de ma Patrie, j'ai confiance dans le Chili et en son destin. D'autres hommes dépasseront ce moment gris et amer où la trahison prétend s'imposer. Allez de l'avant en sachant que bientôt s'ouvriront de grandes avenues où passera l'homme libre pour construire une société meilleure.
Vive le Chili! Vive le peuple! Vive les travailleurs!
Ce sont mes dernières paroles, j'ai la certitude que le sacrifice ne sera pas vain et qu'au moins ce sera une punition morale pour la lâcheté et la trahison.» (traduction Courrier international).