Chili : “duel de femmes“ et vrais enjeux

Treize millions de Chiliens sont appelés aux urnes ce 17 novembre pour la sixième élection présidentielle depuis la fin de la dictature en 1988, mais aussi pour désigner les députés et conseillers régionaux, et renouveler la moitié du Sénat. Largement favorite, l'ex-présidente socialiste (2006-2010) Michelle Bachelet pourrait l'emporter dès le premier tour contre la candidate de droite Evelyne Matthei. Au-delà du duel médiatique entre deux femmes se pose la question des réformes économiques et sociales d'un pays qui reste marqué par l'ultra-libéralisme économique de l'ère Pinochet.
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Chili : “duel de femmes“ et vrais enjeux
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L'héritage

L'héritage
Manifestation étudiante à Santiago
Pas de mystère : pour les électeurs chiliens, la question n'est plus vraiment « qui ? » mais « à quel tour et avec quelle majorité Michelle Bachelet va t-elle l'emporter ? » Il est permis d'ajouter : « pour quoi faire ? »

Formellement, le choix est ouvert et même plus large que pour de précédents scrutins. Neuf candidats sont en compétition pour succéder à Sebastian Pinera, qui ne peut, conformément à la constitution chilienne, briguer un second mandat. Cette même disposition avait interdit à l'ex-présidente socialiste Michelle Bachelet de se représenter à l'élection précédente malgré un bilan personnel jugé positif et une popularité exceptionnelle.

Après quelques années à l'O.N.U., celle-ci revient aujourd'hui sans surprise dans le jeu, forte d'une image intacte mais aussi des faiblesses et divisions de ses adversaires. Les derniers sondages la placent désormais non loin des 50 % des voix au premier tour contre … 14 à 20 % à sa principale adversaire de droite Evelyne Matthei, pourtant candidate des partis au pouvoir.

Vainqueur en 2010 avec 52 %, Sebastian Pinera était le premier président de droite élu depuis le rétablissement de la démocratie, le poste ayant été jusqu'alors régulièrement occupé par des socialistes ou démocrates-chrétiens, unis dans la même coalition qui avait eu raison de Pinochet en 1988. Plutôt sans éclat, son mandat a d'autant moins cédé aux tentations de restauration de l'ordre passé que lui même avait pris parti en 1988 contre Pinochet.

D'une façon générale, s'ils ne se résument pas au duel théâtral – et médiatique – « entre deux femmes » séparées par l'histoire, les oppositions politiques réelles entre grands partis de gouvernement sont en réalité au Chili, en dépit des clivages traditionnels affichés, moins profondes qu'elles n'y paraissent.
 

Fantômes


Si les années de dictature font désormais l'objet d'un examen plus ouvert qu'auparavant (mais à l'inverse de l'Argentine, les assassins sont, dans l'ensemble, demeurés impunis et la candidate Matthei, au propre et au figuré, revendique sa filiation avec eux) et si le passé s'invite régulièrement dans le débat public à travers, notamment, la question des disparus, l'héritage économique de Pinochet n'a, en grande partie, jamais été remis en cause, et pas même par la gauche. Il repose, pour l'essentiel, sur un néo-libéralisme très assumé (les « Chicago boys » de l'économiste Milton Friedman avaient fait du Chili leur terrain de jeu) aboutissant à la privatisation des systèmes sociaux, de la santé et de l'éducation.

Si le pays s'est considérablement enrichi au cours des quarante dernières années, il est aussi devenu particulièrement inégalitaire. Le système de pensions par capitalisation aboutit à une retraite moyenne de 260 €. Nombre de Chiliens n'ont pas les moyens de se soigner. Contraints de s'endetter pour acquérir une formation supérieure, les étudiants manifestent régulièrement pour la gratuité de l'enseignement, devenue thème de campagne majeur.

Sur plusieurs de ces sujets, Michelle Bachelet s'est cette fois engagée à agir enfin lors de son probable nouveau mandat. Il lui faudra cependant pour cela plus qu'une victoire à sa propre élection. La constitution (instaurée … sous Pinochet en 1980 et toujours en vigueur) rend difficile les réformes sans une forte majorité parlementaire.

Si elle l'obtient, la probable présidente socialiste - qui incarne plus que dans son premier mandat les espoirs d'une société blessée - devra agir vite, au risque de briser le consensus politicien tacite qui prévaut depuis vingt-cinq ans. Même en 2013, ce n'est pas dépourvu de risques.
 

Neuf candidat(e)s pour le Palais de la Moneda :

Michelle Bachelet

Socialiste, bloc de la “concertation“

Socialiste, médecin, ancienne présidente du Chili (2006-2010) et plus récemment responsable de ONU - Femmes. Candidate d'une coalition allant des communistes aux démocrates-chrétiens. Créditée par les sondages de plus de 40 % au premier tour, elle est désormais plus que favorite. 

Evelyn Matthei

Coalition pour le changement

Fille d'un membre de la junte de Pinochet (qu'elle ne désavoue pas), ancien ministre du travail du Président sortant Sebastian Pineira, elle est devenue la candidate unique de la droite après deux défections.

Franco Parisi

Candidat indépendant

Économiste, il se qualifie lui-même de "socio-libéral". Son ancrage est en réalité plutôt à droite. Sa principale concurrente, Evelyn Matthei, l'accuse de malversations. Les derniers sondages lui attribuent jusqu'à 10 %.

Marco Enriquez Omimami

Socialiste dissident

Cinéaste et homme politique de gauche. Né deux mois avant le coup d’État de 1973, il est le fils de deux figures de la résistance à la dictature. Son père, Miguel Enriquez, dirigeant du MIR (gauche révolutionnaire), fut abattu en 1974 par la police de Pinochet. Candidat à la présidentielle de 2010, il avait obtenu 20 % au premier tour.
 

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Le régionaliste Ricardo Israel Zipper; l’humaniste Marcel Claude Reyes; l’écologiste Alfredo SfeirYounis; la candidate divers gauche Roxana del Pilar Miranda Meneses (voir son portrait ) et l’indépendant Tomás Jocelyn-Holt Letelier.
 

Bachelet introduit dans le débat la question des indiens Mapuches

25.10.2013AFP
L'ex-présidente socialiste chilienne Michelle Bachelet, favorite pour la présidentielle du 17 novembre, a proposé vendredi lors de son premier débat avec les huit autres candidats "une nouvelle approche" vis-à-vis des communautés indiennes Mapuches, qui réclament la restitution de terres.

Ce débat radiophonique, le premier auquel participait Mme Bachelet, qui avait séché un débat télévisé il y a trois semaines, rassemblait pour la première fois l'ensemble des candidats, soit le nombre le plus élevé à avoir jamais brigué les suffrages des Chiliens lors d'une présidentielle.

Mme Bachelet, 62 ans, créditée de 37% des intentions de vote dans les sondages, a notamment proposé "une nouvelle approche" de la question Mapuche, "ce qui ne signifie (toutefois) pas l'impunité".

Les Mapuches, première minorité indigène du pays (700.000 personnes, quelque 6% de la population chilienne), réclament la restitution de terres "ancestrales" prises par l'État à la fin du 19e siècle dans leur fief de la région de l'Araucanie, dans le sud chilien. Leurs actions parfois violentes ont conduit leurs dirigeants en prison.
Elle a notamment qualifié d'"erreur" l'application de la loi antiterroriste à leur encontre. Cette loi date de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990) et prévoit des peines beaucoup plus sévères que la législation ordinaire tout en compliquant l'exercice de la défense des accusés.
 

Le Chili refuse d'extrader 10 hommes condamnés en France

04.11.2013AFP
La justice du Chili a refusé d'extrader 10 Chiliens condamnés en 2010 par contumace en France pour la mort de quatre Français sous la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), indique un jugement publié lundi. "Il revient aux tribunaux chiliens de prendre connaissance et de juger les délits pour lesquels on demande cette extradition, étant donné qu'il s'agit de faits commis à partir du 11 septembre 1973 et dont l'exécution s'est déroulée sur le territoire de notre pays", a estimé dans sa décision la juge Rosa Maria Maggi.

Pour ces raisons, la juge, membre de la Cour suprême, a déclaré irrecevables les demandes d'extradition des officiers à la retraite Luis Ramirez Pineda, Emilio Sandoval Poo, Basclay Zapata Reyes, Manuel Contreras Sepulveda, Pedro Espinoza Bravo, Gerardo Godoy Garcia, Raul Iturriaga Neumann, Miguel Krassnoff Martchentko, Marcelo Moren Brito et Rafael Ahumada Valderrama. Deux autres condamnés à Paris, Enrique Arancibia Clavel et Herman Brady, sont décédés après le procès.

En décemmbre 2010, la justice française avait prononcé des peines allant de 15 ans de prison à la réclusion à perpétuité - et un acquittement - contre d'ex-responsables de la dictature chilienne ainsi qu'un Argentin jugés par contumace pour la disparition de Français sous le régime Pinochet. Les deux hommes sont incarcérés au Chili pour des violations des droits de l'homme sous la dictature.