Fil d'Ariane
La nuit du 19 au 20 décembre, le candidat de gauche Gabriel Boric a remporté aisément le second tour de la présidentielle au Chili en recueillant 56% des voix face à son adversaire d'extrême-droite, José Antonio Kast. À 35 ans, l'ancien représentant étudiant devient le plus jeune président de l’histoire du pays.
Le nouveau président élu du Chili, Gabriel Boric, célèbre sa victoire à Santiago au Chili, le 19 décembre 2021.
Une foule à perte de vue investissait l’avenue Bernado o’Higgins, l’une des artères principales de la capitale chilienne Santiago, hier soir jusque tard dans la nuit. Des centaines de milliers de Chiliens fêtaient la large victoire du nouveau leader de la gauche chilienne Gabriel Boric, élu à 56% des voix, contre 44% pour José Antonio Kast, un admirateur de la dictature de Pinochet.
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— Alexis Diomedi (@adepe) December 20, 2021
« Nous avons battu le fascisme, c'était comme une naissance. Je vais rentrer à la maison, je vais serrer mes enfants dans mes bras et boire une bière » pleure de joie Jennie Enriquez, employée de pharmacie de 45 ans.
À seulement 35 ans (l’âge minimal pour se présenter à une élection au Chili), Gabriel Boric suscite de grands espoirs pour les habitants d’un pays tourmenté par une succession de soulèvements populaires depuis 2019.
Des sympathisants du nouveau président élu Gabriel Boric célèbrent sa victoire à Santiago, au Chili, le 19 décembre 2021.
Le 18 octobre de cette année, de violents affrontements se déroulent dans la capitale entre forces de l'ordre et manifestants en raison de l’annonce de la hausse du prix du ticket de métro. Le président Sebastian Pinera décrète l'état d'urgence dans la capitale. Mais la colère populaire ne se taris pas. Un an après, le référendum pour une nouvelle Constitution est approuvé par 80 % des votants et Gabriel Boric se fait connaître auprès du grand public pour avoir fait campagne pour le « oui ».
Son histoire politique commence cependant bien plus tôt, sur les bancs de la faculté de droit à l’université de droit à Santiago. À 25 ans, alors que les étudiants sont dans la rue pour réclamer une réforme du système éducatif essentiellement privé, le jeune originaire de Patagonie, devient président de la Fédération des étudiants de l'université du Chili (FECH).
Je me suis rendu compte que pour Gabriel, la politique était un apostolat.
Maria Soledad Font, mère de Gabriel Boric
Dès le plus jeune âge, alors qu’il vivait une enfance heureuse à Punta Arenas, l'une des villes les plus australes du monde considérée comme la porte de l’Antarctique, son père Luis Boric, se souvient que son fils commençait à forger ses idéaux politiques avec les messages "soyons réalistes, exigeons l'impossible" ou "la raison fait la force" peints sur le mur de sa chambre. Sa mère, elle, dit avoir toujours été "opposée aux responsabilités" qu'il prenait à la faculté de peur qu'il ne rate ses études. Ce premier mandat lancera pourtant sa carrière politique, rythmée de succès.
Je viens du sud de la Patagonie, là où le monde commence
Gabriel Boric, président du Chili
Car Gabriel Boric ne compte pas en rester là. Pour son premier combat législatif, en 2013, le jeune étudiant utilise la maison familiale comme quartier général de campagne rassemblant amis et bénévoles. Il remporte l'année suivante le siège de député de la région de Magallanes. Cette victoire a changé la vision de sa mère : « Je me suis rendu compte que pour Gabriel, c'était un apostolat et j'ai arrêté de me battre (...) je voulais une vie plus confortable, plus classique pour lui ».
« Son honnêteté et sa transparence, son ouverture au dialogue, sont deux des plus grandes vertus de Gabriel, et chez un futur président pour le Chili, c'est crucial », dit de lui son frère Simon Boric, un journaliste de 33 ans. Dès son plus jeune âge, Gabriel Boric a eu un grand amour des livres et tissé aussi un lien très fort avec ses racines à Punta Arenas, la ville qui au début du XXe siècle a accueilli ses aïeux migrants, croates et catalans. « Je viens du sud de la Patagonie, là où le monde commence, là où toutes les histoires et l'imagination se rejoignent, dans le détroit de Magellan, qui a inspiré tant de beaux romans » confie volontiers le désormais président.
Lors de sa campagne victorieuse de la primaire à gauche, le trentenaire se prend de grimper sur un énorme cyprès face aux caméras, comme il le faisait lorsqu'il était enfant. Cette image est devenue le symbole de sa campagne.
Aujourd’hui, l’ancien représentant étudiant à la barbe épaisse aspire à transformer radicalement son pays. Éducation et santé publique gratuites, refonte du système de retraite aujourd'hui entièrement privé, Gabriel Broric souhaite « garantir un Etat providence afin que chacun ait les mêmes droits, quel que soit l'argent qu'il a dans son portefeuille ». Après avoir grandi dans un modèle économique établi sous la dictature (1973-1990), faisant du Chili le pays le plus inégalitaire de l'OCDE, il déclarait lors de sa proclamation de candidature : "Si le Chili a été le berceau du néolibéralisme en Amérique latine, il sera aussi son tombeau."