L’avocat chinois, Chen Guangcheng, aveugle, s’est échappé dimanche 22 avril 2012 de sa résidence surveillée où il avait été assigné depuis plus d’un an et demi. Sa fuite met en lumière la lutte des dissidents chinois contre un régime très coercitif à leur égard.
L'avocat aveugle Chen Guangcheng évadé de sa résidence surveillée, il s'adresse dans une vidéo au premier ministre Wen Jiabao.
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Réactualisation le 28 avril 2012
« L’avocat aux pieds nus » s’est évadé, dimanche 22 avril, de sa maison de Dongshigu où il vivait en résidence surveillée depuis 2010. Une nouvelle qu'il a lui-même confirmée cinq jours plus tard en diffusant une vidéo sur Youtube. Malgré sa cécité, Chen Guangcheng a réussi à s’enfuir avec l’aide d’amis en déjouant la vigilance d’une dizaine d’hommes armés postés à son domicile. Selon les affirmations de l'ONG China Aid, il se trouverait désormais en sécurité sous protection américaine. Dans la vidéo postée, le dissident ose interpeller le Premier ministre chinois Wen Jiabao : « Je me suis finalement échappé, je peux prouver que toutes les rumeurs qui circulent sur Internet et que les abus dont j’ai souffert sont réels », explique-t-il en chinois. Il demande aussi « la garantie de la sécurité des membres de [sa] famille ». Chen Guangcheng avait déjà eu recours à un message vidéo en 2011 alors victime de violences physiques tout comme sa femme, son fils et sa mère en 2010. Depuis, son état de santé s’est dégradé. Chan Guangcheng a lutté contre la politique de l’enfant unique, les stérilisations abusives des femmes ou encore les avortements tardifs forcés. Des prises de position qui déplaisent au régime. Chen Guangcheng a déjà purgé en 2007 une peine de plus de quatre ans pour avoir livré des conseils juridiques à des villageois dans l’est du pays.
28.04.2012Récit : Silvina Carbone
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Chen Guangcheng
Toujours dans les geôles chinoises L’évasion de cet avocat reste exceptionnelle. Certains dissidents ont réussi à fuire vers les États-Unis ou le Canada comme l’écrivain dissident Yu Jie menacé de prison parce qu’il écrivait la biographie de son ami et Prix Nobel de la paix 2010 : Liu Xiaobo. Mais la plupart sont toujours en résidence surveillée ou enfermés dans les geôles chinoises pour le motif récurrent d’« incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat ». Une peine vague très souvent destinée aux opposants du Parti unique. « La proportion d’intellectuels est plus importante parmi les détenus politiques dans les prisons chinoises même si le nombre de prisonniers a tendance à décliner », nuance le sinologue Jean-Luc Domenach, directeur de recherche à Sciences Po Paris. Si selon lui, le nombre de dissidents dans le pays ne croît pas, ils font pourtant parler d’eux et particulièrement sur la Toile. Chen Guangchen a, pour sa part, suscité différentes initiatives. Certains ont apposé un autocollant sur leur véhicule pour soutenir sa libération, d’autres se sont pris en photo avec des lunettes noires.
Une voiture avec un autocollant pour la libération de Chen Guangcheng.
Des idées pour lutter Les gestes de dissidence se diversifient. Début 2011, des appels à des « rassemblements de jasmin » inspirés de mouvement pro-démocratie des printemps arabes n’ont pas abouti mais ont eu un certain écho : « Ils ont eu un effet intéressant sur le régime. Bien que la menace aient été nulle et typiquement minoritaire, le régime s’est senti menacé », reconnaît Jean-Luc Domenach. La rédaction en 2008 de la Charte 08, un manifeste appelant à des réformes démocratiques en Chine a envoyé Lia Xiabao et Hu Lia en prison. La Chine, de son côté, tente de soigner les apparences. Le régime signe en 1998 le Pacte des Nations Unies pour les droits civils et politiques mais ne l'a jamais ratifié. En 2011, alors que le Premier ministre Wen Jiabao part en visite en Angleterre et en Allemagne, l’artiste Ai Weiwei et Hu Jia sont relâchés. « Depuis les années 50, dès qu’ils ont une négociation importante, il lâche quelque chose. C’est pourquoi il faut continuer de parler et dire que c’est un scandale », confirme Jean-Luc Domenach.
Sur un blog, des militants soutiennent Chen Guangcheng en se prenant en photo.
Préoccupation des ONG Pourtant le régime a donné récemment un nouveau tour de vis en réformant le code pénal le 14 mars 2012. Une mesure légalise la mise au secret jusqu’à six mois de suspects soupçonnés de nuire à la sécurité de l’Etat. Le changement réside en l’obligation de prévenir les familles dans les 24 heures où la personne est placée en détention. Cette mesure inquiète les associations de défense des droits de l’Homme. Seul point positif, souligné par Jean-Luc Domenach : « On légalise des choses scandaleuses mais cela offre aux juges et aux avocats des possibilités de contestation ». Selon l'ONG Human Rights Watch, la Chine reste le pays du monde où les exécutions sont encore les plus nombreuses en 2011. Même si leur nombre exact n’est pas révélé par l’Etat, il y aurait entre 5 000 et 8 000 exécutions par an. En attendant que la Chine progresse lentement en matière de démocratie, les dissidents et militants lancent le mouvement.
Ai Weiwei
L’artiste, architecte chinois a été placé en détention dans un lieu secret le 3 avril 2011 puis relâché le 22 juin sous caution. Il est connu pour ses affronts faits au pouvoir chinois au travers de ses photos. Suite au tremblement de terre du Sichuan, il avait publié sur son blog des clichés de cartables d’enfants dans les décombres. Il multiplie aussi les interviews avec des médias étrangers en dépit des injonctions du gouvernement.
Liu Xiaobo
Le Prix Nobel de la Paix 2010 purge toujours une peine de prison de onze ans pour avoir co-rédigé la Charte 08 , manifeste pour plus de démocratie en Chine. En septembre 2011, Liu Xiaobo a eu une permission de sortie d’une semaine pour les obsèques de son père. Son épouse, Liu Xia serait assignée en résidence surveillée depuis octobre 2010.
Chen Wei
En décembre 2011, le dissident et écrivain est condamné à neuf ans de prison pour « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat ». Il est l’un des signataires de la Charte 08.
Gao Zhisheng
Cet avocat et militant des droits de l’homme, torturé, menacé de mort, a été condamné à trois ans de prison en 2006. Il a été remis en prison en décembre 2011 après avoir été porté disparu pendant un an et demi.
Fang Lizhi
Astrophysicien chinois surnommé le « Sakharov chinois », il était un fervent combattant pour les droits de l’homme. Il est décédé le 7 avril 2012 à 76 ans aux États-Unis où il vivait en exil depuis la répression des manifestations de Tienanmen de 1989.