Chine : "Des manifestants crient leur ras-le-bol, en s'adressant à Xi Jinping. C'est inédit"

Des centaines de personnes ont manifesté ce week-end du 26 novembre dans plusieurs grandes villes chinoises pour dénoncer les confinements à outrance. Certaines ont même scandé des slogans contre le pouvoir en place, une rare démonstration d'hostilité envers le régime du président Xi Jinping et sa politique de "zéro Covid" pratiquée depuis près de trois ans. Comment interpréter politiquement ces manifestations inédites depuis 1989 ? Entretien avec ​Zhang Lun, professeur d’études chinoises à Cergy-Paris-Université.
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Un manifestant tient une pancarte "24 novembre : commémoration des nos compatriotes qui sont morts à Urumq."
Un manifestant tient une pancarte "24 novembre : commémoration des nos compatriotes qui sont morts à Urumq." à Beijing, le 27 novembre 2022. Dix personnes ont été tuées dans un incendie d'un immeuble résidentiel à Urumqi, la capitale régionale du Xinjiang, ne pouvant s'échapper car confinées de force chez elles.
AP/Ng Han Guan
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TV5MONDE : Assiste-t-on à des scènes inédites actuellement en Chine ? 

Zhang Lun, professeur d’études chinoises à Cergy-Paris-Université​ : Nous n'avons pas vu ce genre de protestations depuis au moins 30 ans. En Chine, il y a des manifestations ponctuelles, avec des revendications locales, des mécontentements sociaux mais ils ne sont jamais politisés. Là, c'est la première fois en 33 ans qu'il y a de telles manifestations à l'échelle du pays teintée d'une forte revendication politique.

Comme pour Tiananmen en 1989, ce sont des jeunes qui sont au coeur des manifestations.
Zhang Lun, professeur d’études chinoises à Cergy-Paris-Université​.

Des gens crient leur ras-le-bol en s'adressant directement à Xi Jinping, c'est inédit. Des slogans demandent plus de libertés, et on ne parle pas que de liberté de circulation. Par ailleurs, il est rare de voir des jeunes se mobiliser en Chine. D'habitude, ce sont plutôt des ouvriers ou des paysans qui manifestent, mais là, comme pour Tiananmen, ce sont des jeunes qui sont au coeur des manifestations. Moi qui ai participé au mouvement de 1989, je trouve qu'il y a des similarités.

Les manifestations de la place Tiananmen
Le 4 juin 1989, le régime communiste chinois envoie des chars et des troupes pour réprimer les manifestants pacifiques qui occupent l'emblématique place Tiananmen à Pékin depuis le 15 avril. Les manifestants y réclament un changement politique, l'organisation d'élections libres, la liberté d'opinion, la liberté de la presse et la fin de la corruption systémique. Une statue de la "déesse de la démocratie" se dressait sur la place. L'écrasement du mouvement fait des centaines de morts voire plus d'un millier selon certaines estimations. Quelques mois plus tard le 9 novembre 1989 le mur de Berlin tombe et le 25 décembre 1991 l'URSS disparaît. Le parti communiste chinois reste lui au pouvoir. Deng Xiaoping, l'homme fort du régime, était partisan d'une ouverture économique du pays sans remettre en cause politiquement le parti.

TV5MONDE : Quelles seraient ces similarités  ?

Zhang Lun, professeur d’études chinoises à Cergy-Paris-Université​ : Dans toutes les manifestations de masse, il y a des points de ressemblance vous me direz. Mais déjà, rien que de chanter l'Internationale, c'est une forte similarité ! C'est une chanson qui a des paroles révolutionnaires et qui porte une forte critique envers le pouvoir. Certaines revendications sont aussi semblables comme la liberté de la presse, la liberté d'expression, l'indépendance juridique ... nous demandions déjà cela en 1989 !

Après, le contexte politique national n'est pas le même. À mon époque, nous avions plus de libertés. Nous n'étions pas jusqu'à être enfermés chez nous comme c'est le cas aujourd'hui. Cependant, l'accès à l'information avec les réseaux sociaux change vraiment la donne pour les contestations de nos jours. Cette spécificité peut d'ailleurs aider, selon moi, à ce que le mouvement de contestation chinois prenne une grande ampleur, comme en 1989. 

La Chine est aujourd'hui une prison gigantesque pour tous les Chinois. La jeunesse est désespérée et ce sentiment est entrain de gagner tout une génération. Zhang Lun, professeur d’études chinoises à Cergy-Paris-Université

TV5MONDE : Les reconfinements de certaines villes ont-elles été le véritable déclencheur de ces soulèvements ? 

Zhang Lun, professeur d’études chinoises à Cergy-Paris-Université​ : Bien sûr, car le mécontentement s'accumule. Ces trois années de confinement font suite à trente années glorieuses en termes économiques en Chine. Maintenant, tout est arrêté. C'est le modèle chinois qui montre ses limites. La répression de 1989 est la même qui s'exprime aujourd'hui. On est entrain de subir les conséquences d'un modèle répressif. Et pour moi, les contestations ne font que commencer.

La Chine aujourd'hui est une prison gigantesque pour tous les Chinois et tous les jeunes. La jeunesse est désespérée et ce sentiment est entrain de gagner toute une génération. La demande de liberté que l'on voit aujourd'hui est même plus forte qu'à mon époque. Nous, nous demandions une démocratie, tandis qu'eux veulent se déplacer, sortir... vivre tout simplement !

TV5MONDE :  Quelle pourrait-être la réaction des autorités ? Elles ont annoncé dans la foulée vouloir maintenir la politique "zéro Covid" tant décriée... 

Zhang Lun, professeur d’études chinoises à Cergy-Paris-Université​ : Même si on assiste à un tournant, je ne pense pas que les autorités pourraient reculer sur leur politique en effet. Notamment parce qu'ils se trouvent dans une impasse. Depuis trois ans, les autorités chinoises contrent cette pandémie de manière idéologique sans se baser sur des constats scientifiques. S'ils relâchent aujourd'hui, c'est une vague de contaminations qui attend la population, notamment parce qu'elle est très peu vaccinée. Le pouvoir chinois fait face à un véritable dilemme car la situation économique chinoise est très mal en point.

Si relâchement il y a, il sera choisi tactiquement, pour essayer de calmer le jeu. Mais de l'autre côté, ils vont maintenir la répression afin de garder le cap. Dans certaines universités, ils essaient déjà d'avancer la fin de semestre pour renvoyer les jeunes chez eux afin qu'ils ne se rassemblent pas dans un but de mieux les contrôler. C'était un moyen qui était déjà utilisé à mon époque sur les étudiants. 

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TV5MONDE :  Jusqu'à quand cette situation pourra-t-elle durer ? 

Zhang Lun, professeur d’études chinoises à Cergy-Paris-Université​ : Il est difficile de répondre mais la situation est déjà très tendue en Chine. Le taux de chômage chez les jeunes est important et la pauvreté augmente. Les autorités ne veulent pas montrer de signes de faiblesses mais ils doivent cependant agir. Il sera intéressant de voir quelle forme cela va prendre dans les jours à venir.

Toujours est-il qu'aujourd'hui nous assistons à une population qui demande la libération de tout un pays, de tous ces gens enfermés et confinés. La Chine est un régime autoritaire, il n'y a pas de cours d'éducation civique. Quand la population demande plus de démocratie, c'est inédit. Les jeunes demandent à avoir le choix, notamment celui de choisir leurs dirigeants. Beaucoup pensent que le peuple chinois est docile, mais personne n'aime la dictature ! Les gens aujourd'hui n'en peuvent plus et le clame dans la rue.