Back to top
Les tensions montent d'un cran au sujet de Taïwan et le président américain n'a pas manqué critiquer l'absence de son homologue chinois Xi Jingping lors des récents sommets du G20 et de la COP26. Dans ce contexte tendu, les deux dirigeants vont s'entretenir virtuellement pour la première fois ce lundi 15 novembre 2021, mais sur un tout autre sujet. Les deux puissance veulent "discuter des moyens de gérer de manière responsable leur compétition" et "travailler ensemble quand leurs intérêts se rejoignent", selon le département d'État américain. Quels sont les enjeux de ce sommet entre Joe Biden et Xi Jinping ?
TV5Monde : Les deux puissances s'affrontent sur de nombreux sujets. Cette tentative de rapprochement témoigne-t-elle d'une volonté d'apaiser les récentes tensions ?
Antoine Bondaz : Cette rencontre ne vise pas à faire des annonces importantes ou à conclure un accord commercial. Les États-Unis et la Chine ont laissé entendre que c’était une première prise de contact entre le président Biden et le président chinois Xi Jinping. (…). Il est important qu’il y ait un canal de communication et qu’ils puissent se voir virtuellement.
Le but c’est, comme le dit la Maison Blanche, de trouver "une façon de mieux gérer leur compétition." Cela passe d'abord par la reconnaissance des deux parties que cette compétition existe.
Washington parle même de "compétition vive." Les Chinois refusent ce terme.
Antoine Bondaz, chargé de recherche à la FRS et professeur à Sciences Po
Washington assume qu’il y ait une compétition. Le conseiller à la sécurité américain Jake Sullivan parle même de "compétition vive." Les Chinois refusent le terme de compétition. Même si dans les faits, dans ce qu’ils écrivent en Chine, les documents officiels, la notion de compétition est omniprésente.
La question c’est : comment est-ce qu’on gère cette compétition ? Est-ce qu’on la gère de façon pragmatique et raisonnée ? Est-ce qu’on la gère de façon désordonnée avec des conséquences pour les autres pays ?
Sur la question climatique, la compétition entre les États-Unis et la Chine peut être saine.
Antoin Bondaz, chargé de recherche à la FRS et professeur à Science Po
TV5Monde : Les deux puissances peuvent-elles gérer cette compétition de manière "pragmatique et raisonnée" , malgré leur différends ?
Antoine Bondaz : Côté Américain, par exemple, le but de Biden, c’est de montrer que les États-Unis restent très stricts dans leurs positions mais qu’ils veulent coopérer sur certains sujets. On l’a vu avec la question du changement climatique suite à l’accord entre Pékin et Washington à la COP26.
À (re)lire : COP26: la Chine et les États-Unis annoncent un accord pour «renforcer l'action climatique»
Sur la question climatique, la compétition entre les deux pays peut être saine. Quand Trump faisait le minimum sur ce sujet, voire même l’inverse, la Chine voulait mettre en avant qu’elle faisait quelque chose. C’était une opposition positive pour la Chine.
Le fait que Biden en fasse bien plus que Trump pousse la Chine à faire encore mieux. Si ça peut permettre à la Chine et aux États-Unis de faire davantage, j’ai envie de dire tant mieux.
TV5Monde : La situation diplomatique se dégrade au sujet de Taïwan. Peut-on imaginer que les deux puissances puisse "travailler ensemble" ?
Antoine Bondaz : La compétition est dans tous les domaines. Sur la question de Taïwan,c’est très compliqué. Des deux côtés, on a deux positions intransigeantes.
Montée des tensions entre la Chine et les Etats-Unis au sujet de Taïwan
Tout commence début août 2021. Le département d'État américain donne son feu vert à la première vente d'armes à Taïwan de l'ère Biden. En même temps, les autorités taïwanaises expriment leur volonté de participer au "sommet de la démocratie" de Joe Biden. La Chine répond et lance des exercices militaires aériens et maritimes dans les environs de l’île mi-août.
Fin septembre, l'administration Xi Jinping s'oppose à l'adhésion de Taïwan à l'important accord commercial transpacifique, le CPTPP.
Le ton monte d'un cran le 1er octobre. Près de 150 appareils de l'armée chinoise traversent la zone d'identification de défense aérienne de l'île, un nombre record depuis l’arrivée de Xi Jinping à la présidence. Cette intervention est vécue comme une véritable "démonstration de force" côté taïwanais.
De son côté, le président américain Joe Biden affirme jeudi 21 octobre que les États-Unis sont prêts à défendre militairement le pays en cas d'attaque de la Chine. Cette nouvelle position va à l'encontre de "l'ambiguïté stratégique" jusqu'ici défendue par Washington
La Chine a appelé les États-Unis à ne pas soutenir, je cite, "les sécessionnistes à Taïwan." Les Américains cherchent eux vraiment à maintenir le statu quo. Il y a des différends très profonds et il n’y a pas de raisons qu’il y ait un accord suite à la conférence.
À (re)voir : Taïwan : la fin de l'ambiguité américaine ?
Côté technologique, c'est aussi plus complexe. Le rapport de force est clairement à l’avantage des États-Unis. C’est de loin la première puissance scientifique et technologique au monde. Leur objectif, c’est de le rester.
La Chine a une stratégie de captation des technologies (ndlr. sur la question du droit à la propriété intellectuelle), qu’elles soient licites ou illicites.
L’idée, c’est surtout de s’assurer que la Chine ne puisse pas faire des captations illicites dans des pays partenaires, en Europe notamment. L’un des enjeux va être de veiller à ce que les Européens protègent davantage leur écosystème d’innovation et leur potentiel scientifique.
Trump était sur une stratégie avant tout unilatérale vis-à-vis de la Chine (...). À l’inverse, l’administration Biden met en scène la coordination avec les alliés et les partenaires.
Antoin Bondaz, chargé de recherche à la FRS et professeur à Science Po
TV5Monde : Cette "compétition" évoquée n’est pourtant pas nouvelle entre les deux puissances. Quel est l'intérêt de la mettre en avant à l'occasion de ce sommet ?
Antoine Bondaz : Il y a une montée en puissance de cette compétition depuis plusieurs années. L’administration Trump a été la première à l’assumer puisqu’elle parlait de la Chine comme "un compétiteur stratégique."
Xi Jinping est en position de force dans cette conférence.
Antoine Bondaz, chargé de recherche à la FRS et professeur à Science Po
La différence entre Trump et Biden, c’est que Trump était sur une stratégie avant tout unilatérale, c’est-à-dire que les États-Unis confrontaient la Chine seule et de manière isolée. À l’inverse, l’administration Biden met en scène la coordination avec les alliés et les partenaires.
Dès son arrivée au pouvoir, Biden a entamé des discussions avec les Européens sur la Chine. Il a également remis au goût du jour le sommet "Quad" (ndlr. L’alliance créée en 2007 avec l’Australie, la Chine et le Japon afin de contrebalancer la puissance chinoise) (…). L’objectif pour les États-Unis, c’est de montrer qu'ils sont "capables de s’allier avec nos partenaires."
À (re)lire : Indopacifique : Washington relance un dialogue à quatre avec l'Australie, l'Inde et le Japon
Les Chinois ont certes moins d’alliés et moins de partenaires. Malgré tout, Xi Jinping est en position de force dans cette conférence, plus encore que si elle avait eu lieu il y a une semaine ou il y a trois mois, parce qu'elle fait suite au plénum du Parti communiste chinois. (ndlr. Cette "résolution historique" rarissime s'est achevée le 11 novembre et fait de Xi Jinping l'égal de Mao Zedong.)
TV5Monde : Peut-on espérer que ce premier contact sera riche ?
Antoine Bondaz : Au niveau personnel, Joe Biden et Xi Jinping se connaissent bien. Xi Jinping était secrétaire général en Chine en Biden était vice-président aux États-Unis. Donc ce n’est pas la première fois qu’ils se rencontrent.
Même s’ils se voient en visioconférence, le rapport qu'ils ont eu par le passé peut permettre de fluidifier un petit peu les échanges. Mais ça ne règle aucun problème.
Une rencontre physique serait envisageable, mais pas tout de suite. Aucun dirigeant chinois ne voyage depuis deux ans. Ce n’est pas une question de politique étrangère, c’est une question politique intérieure chinoise.