Chine-Europe : une relation économique déséquilibrée

Après une tournée en France, le président chinois Xi Jinping est arrivé à Bruxelles ce dimanche. Une visite dans le royaume, mais aussi- c'est une première pour un président chinois - auprès des institutions européennes. L'occasion pour lui d'évoquer les relations entre son pays et l'Union européenne : la Chine est le deuxième partenaire commercial de l'UE.
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Chine-Europe : une relation économique déséquilibrée
La Chine et l'Europe, une relation commerciale complexe (photo AFP)
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Après plusieurs jours passés en France et la signature de nombreux contrats commerciaux, à hauteur de 18 milliards d'euros , le président chinois est arrivé ce dimanche en Belgique. Dès lundi, il sera reçu par le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, et par celui de la Commission européenne José Manuel Barroso. Le lendemain, mardi, il se rendra à Bruges, au Collège de l'Europe où se forment les futurs fonctionnaires européens. Il devrait y prononcer un discours sur les relations entretenues par la Chine et l'Union européenne (UE). Sur le plan économique, la Chine est le deuxième partenaire commercial de l'UE, derrière les Etats-Unis. L'Union est, quant à elle, le premier partenaire commercial de la Chine. Les échanges commerciaux entre ces deux puissances se chiffrent à un milliard d'euros par jour. Comment s'organisent ces échanges ?

Déséquilibre

Déséquilibre
L'Europe est le premier partenariat commercial de la Chine (carte de l'Organisation mondiale du commerce)
De prime abord, ces relations commerciales sont déséquilibrées, en faveur de la Chine. Dans le détail, cet écart doit se prendre "au cas par cas", selon Philippe Le Corre , chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques et enseignant à Sciences-Po : "Avec l'Allemagne il n'y a pas de réel déséquilibre. Mais sinon, avec la plupart des pays, le commerce avec la Chine est en déséquilibre." Le tout, selon lui, pour raison très simple : "La Chine a énormément exporté, et on a encouragé le développement de cette économie à l'export. On y a délocalisé nos propres unités de production. Toutes les grandes entreprises occidentales ont investi en Chine dans les années 1980-1990. Nos produits ne sont plus compétitifs par rapport aux produits chinois." D'où le sentiment, parfois, de croiser dans les magasins européens énormément de vêtements de sport, de jouets, d'électronique, de smartphones ou d'électroménager… chinois. Mais parmi les causes de ce déséquilibre, Michel Fouquin , conseiller au Centre d'étude prospectives et d'informations internationales, voit aussi le découpage géographique et politique de la Chine. "Ce n'est pas un pays aussi centralisé qu'on pourrait le croire, note-t-il. Chaque province peut avoir sa propre politique d'importation." D'où des difficultés d'accès au marché chinois.

Entreprises d'Etat

Entreprises d'Etat
Des clients autour d'une voiture Geely, en 2009 (photo AFP)
Pour lui, cette question du déséquilibre des échanges entre l'Europe et la Chine pose aussi celle du financement des entreprises chinoises. Notamment quand il s'agit d'entreprises d’État, financées par des banques d’État. "Elles les supportent avec des crédits qui sont très bon marché." Soit, au final, "un système très favorable aux entreprises d’État chinoises, pas tout à fait conforme aux règles de la concurrence internationale. C'est difficile à démontrer, parce que pour cela, il fait disposer d'informations sur le financement des entreprises. Et ça, on ne l'a pas. C'est un manque de transparence." Philippe Le Corre souligne que "le secteur d’État est un peu plus important que le secteur privé. Cela représente à peu près 55-60% de la totalité des entreprises. C'est sûr que le secteur d’État a beaucoup d'argent, dans l'énergie, dans les transports, dans l'agroalimentaire, dans la banque… Des entreprises publiques ont par exemple racheté le port d'Athènes. Il y a des banques chinoises qui ont fait des fonds en France avec la caisse des dépôts et des consignations." S'ajoute à ces structures publiques des entreprises chinoises privées. Le spécialiste des relations Chine-UE énumère ces groupes qui, à leur tour, peuvent participer à l'économie européenne : Geely, qui a racheté le groupe suédois automobile Volvo. Ou Fosun, qui s'est porté acquéreur du Club Med. D'ailleurs, remarque Philippe Le Corre, pendant son voyage en Europe, Xi Jinping est accompagné certes de représentants des grandes entreprises d’État, mais aussi de PME, d'entreprises de service. "Les échanges se multiplient à tous les niveaux."

Investissement

Car au-delà du simple échange commercial, les relations économiques entre Chine et Europe se tournent de plus en plus vers des investissements, dans les deux sens. La Chine investit 90 milliards de dollars à l'étranger. Soit autant qu'il y a d'investissements étrangers en Chine. "C'est un point très important, relève Philippe Le Corre. Cela veut dire que la Chine devient une puissance financière. Les groupes chinois, maintenant, se développent aussi hors de leurs frontières. Alors qu'autrefois, c'était des multinationales, américaines ou européennes, qui investissaient beaucoup en Chine sur le long terme. Maintenant, vous avez le phénomène inverse. Ca s'équilibre."  Reste, précise le chercheur, à détailler l'implantation géographique de ces investissements. "L'Europe n'est pas mal placée. Elle l'est mieux que les Etats-Unis. Sinon vous avez l'Afrique, l'Amérique latine… c'est relativement équilibré.

Négociations

Négociations
La signature de l'accord entre le Français Peugeot et le Chinois Dongfeng, la semaine dernière (photo AFP)
Un accord commercial, dit "accord d'investissement", est en cours de négociation entre l'Europe et la Chine  depuis fin 2013. "On part de l'idée que le niveau des investissements croisés est très faible, relate Michel Fouquin. On est en train de monter des structures qui permettent de développer ces investissements. Dongfeng a pris des parts dans Peugeot . C'est l'un des plus gros investissements chinois à l'étranger, mais pour l'instant cela reste une exception. Du côté européen, il y a un investissement dans l'aéronautique : une chaîne de montage de l'A320 construite en coopération entre Airbus et une société chinoise. Mais tout cela reste très faible." 
"C'est un petit peu le pendant du traité transatlantique en négociations entre Europe en Etats-Unis", considère pour sa part Philippe Le Corre. "On en est vraiment aux prémices, au début de la négociation", précise-t-il. "Je pense qu'ils prennent un petit peu modèle sur ce qui s'est fait avec la Corée, un partenariat qui a été signé et qui en marche. Sur un grand nombre de produits, il y a des facilités douanières. Mais entre l'Union européenne et la Chine, c'est un travail de grande ampleur, il est un peu tôt pour en parler en détails." S'il y voit des perspectives d'un accord de libre-échange, Michel Fouquin, lui, n'estime pas que l'Europe voit si loin. "On ne considère pas que la Chine soit une économie de marché. Il y aura sans doute des négociations là-dessus. Il faudra s'assurer que la réforme du système économique chinois soit suffisamment avancée pour que l'on puisse considérer que c'en est une." Il considère qu'avant tout, "ce qu'on essaie de faire dans cet accord, c'est d'améliorer les garanties sur la protection des investissements étrangers en Chine. L'idée générale, c'est que les firmes étrangères doivent obtenir le même traitement que les chinoises, elle ne doivent pas être discriminées."
Pour Philippe Corre, les négociations actuelles sont à replacer dans le cadre d'autres accord signés ou en cours de discussion avec d'autres pays asiatiques et avec les Etats-Unis. Comme le Vietnam, le Japon ou la Corée… "C'est de nature à intéresser les Chinois, qui ne veulent pas se sentir isolés." 

Entreprise en faillite

Les entreprises européennes ferment, tandis que les chinoises fleurissent. Vrai ? Plus vraiment, selon Muchel Fouquin. "Récemment il y a eu un peu d'inquiétude, rappelle-t-il. Tout à coup, on a vu une entreprise chinoise faire faillite. C'est exceptionnel en Chine. Pour ne pas dire que c'est du jamais-vu. Jusque là, quand une entreprise était en difficulté, elle était renflouée par les banques d'Etat. Donc, d'une certaine façon, la faillite n'existait pas. Il se trouve que maintenant il y en a une. C'est, en quelque sorte, le signal donné aux investisseurs étrangers : 'faites attention, les entreprise qui sont installées en Chine peuvent très bien faire faillite'. Pour l'instant ce n'est qu'un signe, il n'y a pas encore une quantité importante d'entreprises chinoises qui se retrouvent dans cette situation. Mais cela pourrait aller très vite. De nombreuses entreprises chinoises ne sont pas compétitives et sont au bord de la faillite. Cela pourrait très vite devenir un problème pour la Chine." De manière générale, les entreprises chinoises semblent plus prospères que les européennes ou américaines, comme en témoigne le graphique ci-dessous :

Restructuration interne

Les exportations ne font pas l'économie. Le gouvernement chinois a donc décidé de prendre des mesures pour dynamiser sa demande intérieure, rappelle Michel Fouquin: "Elle n'était pas très dynamique parce que les revenus des Chinois étaient faibles, ne suivaient pas la croissance générale. Cela a été changé. Il y a une progression assez vive des salaires des travailleurs chinois." Et donc, mécaniquement, une augmentation de la demande intérieure, à un meilleur marché pour les entreprises nationales, qui par là ressentent moins le besoin d'exporter pour vendre. Dans le même ordre d'idées, le financement des municipalités et les droits accordés aux travailleurs migrants (des campagnes vers les villes) sont en cours de révision, pour développer indirectement cette demande.

Inverser la vapeur ?

Entre augmentation de la demande intérieure et risque de faillite d'entreprises chinoises, serait-il envisageable d'inverser la tendance et de combler progressivement le déséquilibre économique sino-européen ? "Les Chinois ont besoin de la technologie occidentale, rappelle Michel Fouquin. On devrait arriver à un certain rééquilibre, ou à une réduction du déséquilibre entrer la Chine et l'UE. Enfin... on peut l'espérer." Pas de quoi, selon lui, inverser complètement la tendance. Mais au moins de réduire l'écart de part et d'autre du monde.  Philippe Le Corre note une difficulté "culturelle" à ce propos : "L'Europe est perçu un peu comme un ensemble complexe, avec une multiplicité de pays, de langues, de systèmes. Les États-Unis sont plus simples, plus lisibles pour les Chinois. Il faut encourager la vente de produits européens en Chine. Il faut essayer d'y vendre tous les produits qui sont créés en Europe . Quand c'est faisable, évidemment. Parfois, c'est trop compliqué pour des petites entreprises. Mais pour ça, il faut que les deux pays ou ensemble de pays apprennent à se connaître."