Fil d'Ariane
Actuellement, il existe un réel déséquilibre entre hommes et femmes : en 2014, il est né en moyenne 116 garçons pour 100 filles. Et plusieurs études officielles évoquent une "crise des célibataires"estimant à 30 millions le nombre d’hommes chinois dans l’impossibilité de trouver une femme dans leur pays. Certains vont d'ailleurs chercher leur future épouse jusqu'au Cambodge ou au Vietnam.
La fin de la politique de l’enfant unique marque également une volonté de « répondre au vieillissement de la population ». Le pays manque cruellement de jeunes actifs, future main d'oeuvre de la "plus grande usine du monde". Pékin est de plus en plus préoccupé par le ralentissement de son activité. La deuxième économie mondiale a récemment vu sa croissance tomber sous les 7%. On est loin des rythmes à deux chiffres qu’elle affichait il y a quelques années.
Ce revirement de la politique démographique chinoise s'inscrit dansla continuité d’un assouplissement entrepris depuis quelques années. En effet, dans les campagnes, les couples avaient déjà le droit d’avoir un autre enfant si le premier était une fille. Les couples eux-mêmes enfants uniques avaient également l’autorisation d’avoir un deuxième enfant. Et fin 2013, ce droit s’est élargi aux familles dont l'un des deux parents était enfant unique.
Mais ce n’est pas pour autant que la Chine a enregistré un boom des naissances. En effet, pour des raisons essentiellement financières, beaucoup de couples ne souhaitent pas avoir un deuxième enfant. « Dans les villes, ces enfants sont des "enfants rois" a qui on donne beaucoup et pour qui on dépense énormément », affirme Antoine Kernen, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne et spécialiste de la Chine. Pour les familles, avoir un second enfant représente donc un budget considérable.
En dépit de l'interdiction et des difficultés économiques de certains Chinois, il existe 13 millions d’enfants "non autorisés" dans le pays. Résultat : des amendes de plusieurs milliers d’euros pour les parents et des millions d’enfants sans papiers, sans identité. Si certains d’entre eux finissent par voir leur état civil régularisé après s'être acquitté d’une amende, d’autres n’ont pas cette chance. C’est le cas de Li Xue, une jeune fille de 20 ans qui a témoigné dans le reportage Naître et ne pas être, diffusé sur Arte. A l’inverse de sa soeur aînée, elle n’a jamais pu aller à l’école et a interdiction de travailler, de se marier et même d’avoir des enfants. Pour prouver qu’elle existe et se faire reconnaître, elle mène avec ses parents un combat qui semble perdu d’avance… peut-être jusqu'à aujourd'hui ?
La fin de la politique de l’enfant unique aura-t-elle des conséquences sur ces millions "d’enfants noirs" qui, comme elle, restent inexistants pour le Parti communiste chinois ? « Ce n’est pas rétroactif », assure Jean-Philippe Béja, directeur de recherche au Centre national de la Recherche scientifique (CNRS) et à Sciences Po, et spécialiste de la Chine. « Tous ceux qui sont déjà nés se trouvent dans la situation précédente. Il n’y aura pas de grand mouvement de régularisation ». Antoine Kernen pense également qu’il ne faut pas espérer de réel changement pour ces "enfants de trop". Selon lui, « on peut simplement se dire qu’il y aura un certain assouplissement à leur égard. Je pense que des municipalités vont tenter de trouver des solutions, mais tout cela sera géré dans une espèce d’informalité ».
Cette nouvelle politique ne va pas mettre fin aux stérilisations forcées, aux avortements forcés (...)
William Nee, expert de la Chine à Amnesty International
La politique de l’enfant unique a souvent été décriée pour ses abus, notamment l’intrusion du Planning familial dans l’intimité des Chinois et les avortements forcés. Cette décision d'autoriser deux enfants devrait donc faire évoluer la situation. Cependant, il faut rappeler que le troisième enfant, lui, reste interdit. Et pour William Nee, expert de la Chine à l'ONG Amnesty International qui s’est exprimé dans un tweet, cette nouvelle politique « ne va pas mettre fin aux stérilisations forcées, aux avortements forcés, au contrôle gouvernemental des permis de naissance ».
Cette nouvelle politique démographique ne devrait pas apporter un changement immédiat comme le confirme Antoine Kernen : « On peut imaginer, à long terme, une abolition des contraintes autour de la natalité mais, évidemment, ce ne sera pas pour tout de suite ».