Chine-Japon : comprendre le conflit

Des milliers de Chinois sont à nouveau descendus dans la rue mardi, pour exiger que le Japon restitue à la Chine les îles Diaoyu/Senkaku, un petit archipel qui provoque une grave crise diplomatique entre les deux pays. Jusqu'où ira l'escalade nationaliste sino-japonaise et quels intérêts sert-elle? Les faits en vidéo, suivis de l'analyse croisée de deux spécialistes de la Chine, Jean-Philippe Béja et Jean-Louis Rocca. 
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Les faits

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L'analyse

19.09.2012Par Anna Ravix
"Journée d'humiliation nationale" hier en Chine, en mémoire de l'incident de Mukden, qui en 1931, avait servi de prétexte à l'invasion de la Mandchourie par l'armée japonaise. L'occasion était donc trop belle d'organiser quelques manifestations anti-niponnes alors que les tensions sino-japonaises se cristallisent autour des îles Senkaku (ou Diaoyu en chinois), revendiquées par les deux pays.
Des manifestations extrêmement contrôlées contrairement à celles du week-end dernier qui avaient mené à quelques dérapages en province. A Pékin ce mardi, "Il y avait pratiquement autant de policiers que de manifestants" raconte Jean-Philippe Béja, spécialiste français de la Chine qui était sur place. "C'était très contrôlé, on distribuait des bouteilles d'eau à lancer sur l'ambassade, on faisait le tour, c'était très organisé". En plus de l'encadrement policier, et celui de volontaires des comités de quartiers, les autorités ont appelé, dans la presse et sur les microblogs "à l'expression rationnelle et pacifique du patriotisme". "J'ai reçu un SMS dans lequel on me disait de rester civilisé, de respecter la loi et de faire confiance au gouvernement pour défendre les intérêts de la population" témoigne Jean-Philippe Béja.
Nationalisme d'Etat et nationalisme populaire
 
L'expression patriote, qui semble déchaîner les pulsions sur des pancartes appelant à "écraser le Japon", est donc largement instrumentalisée par le parti communiste. "Le parti a la capacité de contrôler la situation. C'est le grand metteur en scène, c'est lui qui décide, les manifestants sont comme des acteurs" estime Ran Yunfei, un écrivain de Chengdu dont Jean-Philippe Béja partage l'analyse. "Vous avez une éducation politique qui est faite à partir du lycée dans laquelle on montre que le parti communiste a défendu la nation chinoise, dans les manuels d'histoire, il est considéré comme le sauveur de la patrie, il a gagné contre le Japon, il a libéré la Chine de l'impérialisme. Et dans tous les films, ou les séries qui en ce moment sont diffusées sans arrêt, le thème est très souvent la guerre sino-japonaise" décrit Jean-Philippe Beja. Ran Yunfei parle même d'un "lavage de cerveau" de "l'éducation patriotique".
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Un rassemblement anti-japonais très surveillé - Photo AFP.
Mais pour un autre sinologue, Jean-Louis Rocca, "on a ce nationalisme officiel, mais on a surtout un nationalisme populaire peut être plus fort, qui est une vraie réalité qu'il faut prendre au sérieux, il ne s'agit pas d'un 'écervelage'". En effet, Jean-Louis Rocca ne croit pas "que la propagande puisse créer les choses de toute pièce". "Il ne s'agit pas d'appuyer sur un bouton pour dire que les protestations sont terminées : il y a des gens parmi la population chinoise qui sont ultra-nationalistes, il y a des gens à l'intérieur de l'appareil qui ne sont sans doute pas ultra-nationalistes, mais qui jouent la carte nationale".
Un jeu dangereux
Un jeu qui pourrait s'avérer dangereux pour l'appareil politique, dont la stratégie est à double tranchant. Alors que le 18ème congrès prévu dans un mois doit renouveler la direction du parti communiste, le gouvernement tente de consolider le soutien populaire à grand renfort de nationalisme. "Le patriotisme permet de se réunifier tous derrière la parti, pour se redonner une légitimité, c'est un peu tout ce qu'ils ont, le patriotisme et le développement économique, encore que le développement économique va probablement pâtir de la crise" explique Jean-Philippe Béja.
Mais à trop encourager des manifestations dans un Etat où elles sont traditionnellement interdites, le gouvernement prend le risque de libérer d'autres critiques à son encontre. Signe de la vigilance extrême des autorités chinoises, trois militants qui avaient déployé dimanche, à Shenzhen, en pleine manifestation anti-japonaise, une banderole demandant "La liberté, la démocratie, les droits de l'homme et le respect de la Constitution" ont été prestement arrêtés par la police secrète."Dans un premier temps, les manifestations nationalistes jouent pour eux, mais il faut que ça s'arrête à temps, c'est pour ça que je pense qu'elles ne reprendront pas, c'est toujours comme ça que ça s'est passé, ça dure quatre jours et après le mot d'ordre c'est 'transformons notre colère en force" affirme Jean-Philippe Béja.
Chine-Japon : comprendre le conflit
Les îles au coeur des tensions actuelles.
Une situation récurrente
Il y a en effet une certaine récurrence à ces tensions diplomatiques sino-japonaises, déjà en 1999, puis en 2005 et en 2008, les Chinois soutenus par le parti avaient manifesté leur colère à l'encontre des Japonais. Et pour cause, le patriotisme est toujours le bienvenu pour souder les masses, ce qui est aussi le cas au Japon. A l'instar des échéances politiques chinoises, le Japon a aussi un calendrier électoral serré puisque le parti démocrate au pouvoir s'est engagé à organiser des élections anticipées dès le mois de novembre. Accusé d'une certaine faiblesse nationaliste par la très puissante extrême droite japonaise, unie derrière le gouverneur de Tokyo, le très anti-chinois Shintaro Ishihara, le parti démocrate tente d'affirmer une crédibilité patriote.
Mais que l'on ne s'y trompe pas, "acheter les îles, c'était en fait une position modérée, c'était pour éviter que l'extrême droite n'aille gesticuler sur ces îles pour organiser des manifestations anti-chinoises, et d'ailleurs, les Chinois sont très au fait de la situation politique japonaise. Mais évidemment, ils ne pouvaient pas ne pas réagir à quelque chose qui apparaît comme une nationalisation de ce que eux considèrent comme étant un territoire chinois"explique Jean-Philippe Béja. Les rivalités sino-japonaises ne semblent plus qu'être la convergence d'un intérêt intérieur commun à simuler un conflit : les Chinois et les Japonais ont besoin de rassembler leur peuple, quoi de plus simple que de le faire contre leur ennemi de toujours ? Même si un conflit armé entre les deux puissances reste inenvisageable. 
A cet égard, l'envoi de flotilles chinoises près des îles disputées est pour Jean-Louis Rocca surtout "de la politique intérieure, pour montrer aux Chinois que le parti s'active". Une analyse que partage son homologue Jean-Philippe Béja "c'est histoire de montrer qu'on fait des choses". Même si pour lui, cette démarche est risquée : "Il peut toujours arriver qu'un excité chinois rentre dans un garde-côte japonais, ça peut devenir dangereux".
Des îles prétextes?
Cette analyse fait des îles Senkaku/Diaoyu un simple prétexte. Mais la situation n'est pas aussi tranchée. Selon Jean-Louis Rocca, "Il y a l'aspect symbolique des eaux territoriales : plus elles sont éloignées des côtes, plus on a la possibilité de pêcher ou d'envoyer des bâteaux. Surtout que c'est un endroit géopolitiquement important, c'est là que passe un commerce absolument énorme avec le Japon d'un côté, et Singapour de l'autre". Ajoutez à cet aspect symbolique l'hypothèse d'une richesse économique puisque plusieurs sources évoquent des réserves en hydrocarbure dans l'archipel. "En même temps, ce n'est pas parce qu'il y a des matières premières qu'on va réussir à les extraire" souligne Jean-Louis Rocca.
Pourtant, lors du dernier conflit en 2008, les deux pays avaient signé un accord pour l'exploitation de deux possibles champs de gaz et de pétrole dans des zones situées à la limite de leurs zones d'économie exclusive. Encore jamais appliqué, il pourrait servir de solution pour calmer les tensions qui iraient contre l'intérêt des deux pays si elles venaient à perdurer.
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