Chine : le géant de l'immobilier Evergrande au bord de la faillite

Le plus gros promoteur immobilier de Chine, Evergrande, est écrasé par un passif de près de 260 milliards d'euros. Son éventuelle liquidation aurait des conséquences considérables, non seulement sur l'économie chinoise mais aussi sur la "stabilité sociale" chère aux dirigeants chinois. Le groupe emploie 200.000 personnes et génére indirectement 3,8 millions d'emplois dans le pays .
Image
Manifestation devant le siège d'Evergrande à Shenzhen
Des dizaines de Chinois ayant acheté des propriétés du géant de l'immobilier chinois Evergrande manifestent devant le siège du groupe à Shenzhen, Guangdong ce 14 septembre 2021.
© capture d'écran AFP Video
Partager5 minutes de lecture
"Ils me doivent plus de 10 millions!" : Mme Xia, comme des dizaines de propriétaires spoliés, manifeste devant le siège du géant chinois de l'immobilier Evergrande, une image inédite en Chine où les manifestations sont de facto illégales.

Ce 14 septembre, une grosse soixantaine de personnes inquiètes criaient leur détresse devant le siège du groupe à Shenzhen (dans le Sud de la Chine). Des policiers équipés de boucliers transparents en bloquaient l'accès et empêchaient les journalistes de filmer.

"On a géré des projets pour eux mais on n'a toujours pas été payés. Ils ne nous ont donné aucune explication", peste l'un des manifestants rencontrés par l'Agence France Presse et qui n'a pas souhaité donner son nom par peur de représailles.

Récemment, plusieurs sous-traitants et fournisseurs s'étaient plaints de ne pas être payés. Et des chantiers ont été mis à l'arrêt.

Des petits propriétaires floués

Evergrande "doit plus de 20 millions de yuans à notre patron et encore plus à beaucoup de gens ici", affirme M. Cheng, un ouvrier d'une entreprise de construction. Cette somme représente plus de 2,5 millions d'euros. "On est très inquiets [...] mais on ne peut rien faire", affirme-t-il, résigné.

Parmi les manifestants figurent des propriétaires qui ont payé en avance la construction de leur logement mais risquent de ne jamais pouvoir en bénéficier : "Ils me doivent plus de 10 millions de yuans!", s'emporte une femme du nom de Xia. "Evergrande est un grand groupe. On s'attendait à ce qu'il rembourse mais ce n'est pas le cas en fin de compte. C'est une atteinte à nos droits de citoyens", rajoute-t-elle.

L'immobilier tient une place considérable dans l'économie représentant plus du quart des investissements dans le pays. Dans un pays toujours officiellement communiste, la propriété immobilière est une marque importante de statut social.

Elle est même souvent une condition pour qu'un homme puisse se marier. Alors que des dizaines de millions de ménages ont investi dans la pierre, les conséquences macroéconomiques pourraient être graves si la valeur des biens tombait sous le montant des emprunts à rembourser.

Evergrande a succombé aux nouvelles règles imposées par Pékin pour enrayer la spéculation immobilière après des décennies d'argent facile, lorsque les promoteurs multipliaient les incitations pour convaincre les propriétaires de s'installer dans du neuf.

Un surendettement colossal

Mais le groupe ne peut désormais plus vendre de biens avant d'en avoir formellement fini la construction. Un modèle dont il a largement usé dans le passé pour se financer et maintenir à flot ses activités.

Selon des experts, le groupe doit notamment encore achever 1,4 million de logements pour une valeur totale de 170 milliards d'euros.

Exemple d'un des projets développés par Evergrande, l'île artificielle Ocean Flower Island :

Dans une déclaration ce 14 septembre à la Bourse de Hong Kong, où le groupe est coté depuis 2009, Evergrande a admis faire face à une "pression énorme" et indiqué explorer "toutes les solutions possibles" pour résoudre son problème de liquidités. Toutefois, "il n'y a aucune garantie que le groupe soit en mesure d'honorer ses obligations financières", a averti le mastodonte de l'immobilier.

La dégringolade s'est accélérée la semaine dernière avec l'abaissement de sa note par des agences de notation financière, tandis que l'action tombait plus bas que lors de son introduction à Hong Kong il y a 12 ans. L'action a encore perdu près de 12% ce jour sur la place hongkongaise.

Malgré la pression, Pékin "ne laissera pas Evergrande faire faillite", estiment les analystes du cabinet SinoInsider, basé aux Etats-Unis. "Cela aurait un impact considérable sur le régime" et sa stabilité, selon les experts."L'issue la plus probable est une restructuration avec d'autres promoteurs immobiliers qui reprendraient les projets inachevés", pronostique M. Williams.

Poly Property, filiale d'un groupe militaire chinois et basé à Hong Kong, pourrait faire partie des entreprises appelées à la rescousse d'Evergrande, selon les analystes de Saxo banque.
 
Qui est Xu Jiayin, le milliardaire à la tête du groupe Evergrande ?
Un ancien technicien de l’industrie sidérurgique originaire de Canton, Xu Jiayin fonde son groupe immobilier en 1996 au moment où la Chine commence un vaste mouvement de déplacement de ses centaines de millions d’habitants des campagnes vers des villes. Les prix de l’immobilier grimpent avec l’urbanisation au même rythme que la fortune de M. Xu.
 

Le milliardaire d'aujourd'hui, dont la mère est décédée alors qu'il n'avait qu'un an, aime rappeler son origine modeste. Dans un discours en 2017, il raconte comment il s'est nourri de patates douces et de pain cuit à la vapeur tout au long de sa scolarité : "Les draps que je posais, les couettes que je recouvrais et les vêtements que je portais étaient tous rapiécés".

Il introduit sa société en bourse en 2009 et commence à développer ses investissements dans d'autres secteurs que la pierre. C’est ainsi qu’Evergrande prend le contrôle du club de football Cantonais de Guanghzou en 2010 et achète des joueurs internationaux pour des millions de dollars (comme les Brésiliens Talisca, Paulinho ou l'Italien Alberto Gilardino et l'Italo-Argentin Lucas Barrios). Le club est entraîné par le champion du monde italien Fabio Cannavaro.

Il s’implante dans les marchés du lait, des céréales et de l’huile, voire l'automobile.
Il investi également dans le tourisme, internet, le numérique, les assurances et les parcs de loisirs pour enfants, voulus "plus grands" que ceux de Disney.

Au gré de son développement, M. Xu attire des dizaines de milliards de dollars d’investisseurs chinois et étrangers, et peut bénéficier de prêts à taux très bas des banques chinoises. Il bénéficie aussi de soutiens puissants auprès de la classe politique.