La Chine veut s'autonomiser technologiquement, c'est ce qu'il ressort de la directive gouvernementale chinoise qu'a pu se procurer le
Financial Times. Selon ce document, Pékin a en effet décidé d'écarter progressivement des services publics tous les ordinateurs et logiciels venant de l'étranger. L'opération devrait débuter en 2020 et se terminer en 2022. Une nouvelle forme de protectionnisme technologique est-elle en train d'émerger ?
Réponse au banissement de Huaweï ?
Les mesures de l'administration Trump, banissant le géant technologique chinois Huawei du territoire américain, puis celles lui retirant sa licence Google pour Android, ont-elles jouées dans la décision de Pékin de se séparer des "technologies étrangères" dans toutes ses administrations publiques ?
C'est une forme de réponse du berger à la bergère qu'effectue là le pouvoir chinois, mais qui, au-delà d'infliger une punition commerciale aux Etats-Unis — principaux fournisseurs de matériels et de composants électroniques —, affirme aussi sa volonté de mieux maîtriser et contrôler sa sécurité informatique. Une sécurité que la Chine sait fragile à juste titre, puisque elle a déjà été prise en flagrant délit d'espionnage via des puces électroniques fabriquées dans ses usines.
(Re)lire : Technologie : une micro-puce chinoise d'espionnage cachée dans des matériels américainsLes Etats-Unis ont justifié le banissement de Huawei pour des raison d'espionnage et Pékin craint certainement la même chose de la part des Américains.
(Re)lire : Technologie : pourquoi Huawei est une épine dans le pied des nations développées ?Avec des matériels assemblés par des entreprises chinoises en Chine et équipés de logiciels "locaux", le pouvoir chinois s'assure que "des puces électroniques bavardes" ou autres "logiciels espions" ne renvoient pas des informations à l'étranger. Ou tout du moins, la détection et l'élimination de ces mouchards électroniques devient plus simple.
20 à 30 millions de machines
Universités, préfectures, écoles, administrations gouvernementales : tous les ordinateurs des services publics chinois devraient être remplacés dans les 3 ans ainsi que leurs logiciels. Un parc informatique estimé entre 20 et 30 millions de machines. Il s'agit de la première directive publique connue de Pékin fixant des objectifs spécifiques pour limiter l'utilisation de matériels ou de logiciels étrangers. Une limitation qui perpétue malgré tout un mouvement plus ancien, privilégiant des solutions nationales.
En 2001, la Chine avait par exemple annoncé sa volonté de genéraliser dans son administration un système d'exploitation pour PC basé sur
le logiciel libre GNU/Linux, nommé "Red Flag Linux". L'objectif était de sortir de la dépendance à Microsoft Windows. L'entreprise chinoise qui développait Red Flag Linux a fermé en 2014 et il est difficile de connaître l'ampleur du déploiement de ce système "local" face à Windows, un système qui équipe… 90% des postes bureautiques sur la planète. Selon des analystes contactés par le
Financial Times, le système d'exploitation américain serait très répandu sur les postes de l'administration chinoise.
Ordinateurs chinois… composants américains
Les entreprises américaines Hewlett Packard et Dell pour les ordinateurs, Microsoft pour les logiciels, seraient les premières à subir la directive de Pékin si elle s'applique. Quant au gagnant de cette opération de remplacement de matériel, il est bien connu, puisqu'étant le principal fournisseurs d'ordinateurs du gouvernement chinois : le fabricant d'ordinateurs personnels Lenovo. Cette entreprise chinoise a racheté en 2005 le département "ordinateurs personnels" du géant américain IBM. Mais si Lenovo assemble ses machines en Chine, c'est avec du matériel américain, reposant pour la partie logicielle sur Windows, le système d'exploitation… américain.
La boucle n'est donc pas bouclée dans la "guerre par protectionnisme technologique" qui a débuté entre la Chine et les Etats-Unis. Se débarasser entièrement des technologies étrangères n'est en réalité pas encore à la portée de Pékin qui ne pourra que privilégier des vendeurs d'ordinateurs chinois, mais basés sur des composants étrangers. Quant à la partie logicielle, hormis les systèmes
Unix BSD ou GNU/Linux, il n'existe pas d'alternatives à Microsoft Windows sur PC. Le choix pour Pékin sera donc très limité à ce niveau là aussi.
Cette directive gouvernementale — qui n'avait pas vocation à être rendue publique — a au final une vertu, mais qui n'arrange pas Pékin : celle de montrer la dépendance de la superpuissance chinoise aux technologies étrangères.