Chine : "L’idéologie communiste aujourd’hui n’est qu'un moyen d'empêcher le pluralisme des idées"

Le Parti communiste chinois (PCC) fête son centenaire ce jeudi 1er juillet, avec un déferlement de propagande à la gloire d’une Chine devenue en 40 ans la deuxième puissance économique mondiale. Comment a évolué le parti à travers les différents chefs d'Etat et secrétaires du Parti? La Chine est-elle un État encore communiste? Précisions avec Jean-Philippe Béja, sinologue et directeur de recherche émérite au CNRS.
Image
les 100 ans du Parti communiste

Des comédiens donnent un spectacle à quelques jours du 100e anniversaire de la création du Parti Communiste Chinois, à Pékin, le 28 juin 2021. 

AP/Ng Han Guan
Partager 8 minutes de lecture

TV5MONDE : En 1921, l’idéologie communiste et son application politique étaient-elles centrales dans la création du PCC ?

Jean-Philippe Béja : À cette époque, on voulait moderniser la Chine. On pensait alors qu'il fallait changer de système politique. Au lendemain de la Première guerre mondiale, la démocratie à l'occidentale est synonyme d’échec, alors que Lénine, lui, réussit à chasser les impérialistes hors du régime.

Il y avait déjà un fort mouvement anarchiste en Chine et les révolutionnaires hésitaient entre le communisme et l’anarchisme. Sont alors arrivés les conseillers soviétiques, qui ont apporté les 21 points de Lénine pour créer un parti communiste. Le PCC a été crée dans la foulée, par des gens qui étaient déjà très intéressés par le marxisme et qui pensaient que cette idéologie allait sortir la Chine de la misère, de la pauvreté et de son archaïsme. Donc oui, l'idéologie était importante. On pensait qu’il fallait changer les esprits des Chinois pour pouvoir avoir une Chine moderne.

Chargement du lecteur...

Comment le PCC a-t-il évolué au travers des différents chefs d’Etat et secrétaires de parti ?

Au départ, on avait affaire à un marxisme plutôt orthodoxe, fondé sur la classe ouvrière qui était considérée comme la classe révolutionnaire. Le parti a ensuite collaboré avec le Kuomintang qui était le parti de la bourgeoisie nationale. En 1927,  Tchang Kaï-chek, l'homme fort du Kuomintang, s'est retourné contre les communistes et les a exécutés. La solution ouvrière semblait alors impossible. Il n'y avait plus de syndicats, ni de mouvements ouvriers. Les communistes se sont alors repliés dans les campagnes. C'est à ce moment-là que l'on a vu la montée de Mao Zedong qui, lui, va abandonner l'orthodoxie marxiste en faisant des paysans, le nouveau prolétariat de la Chine. Un mouvement violent s’amorce alors contre les propriétaires fonciers.

En 1949, le parti devient de plus en plus totalitaire et commence à éliminer tout ce qui restait de la société civile, comme les partis politiques et les syndicats.

Jean-Philippe Béja

Ce qui va significativement renforcer le parti communiste par la suite, c'est l'agression japonaise qui a lieu en 1931 jusqu'en 1937. Le PCC va alors se présenter comme le défenseur du nationalisme. En même temps, il y a une sorte de maoisation du parti. Mao ne supporte pas les débats internes et lance alors un mouvement de rectification qui va mettre tout le monde au pas. L'Armée rouge va devenir un véritable instrument de prise du pouvoir et sera l'instrument de la révolution.

En 1949, le parti devient de plus en plus totalitaire et commence à éliminer tout ce qui restait de la société civile, comme les partis politiques et les syndicats. On les remplace par des associations religieuses, ouvrières ou paysannes qui sont de véritables courroies de transmission du parti communiste. Pendant les années 50, Mao Zedong réalise alors le rêve des paysans, celui d'acquérir leurs propres terres, par le biais de sa réforme agraire. Mais ce rêve va être de courte durée, puisqu'en 1954, il lance la coopérativisation qui va transformer la Chine en commune et qui va provoquer la plus grande famine que le pays ait connu. 

Lors du massacre de Tian'anmen, on se rend compte que le parti sous la direction de Deng Xiaoping est certes enclin à libéraliser l'économie mais à condition que personne ne remette en question la dictature du parti.

Jean-Philippe Béja

À la mort de Mao en 1976, le rêve d'une Chine prospère éclate. En 1978, toutes les victimes du maoïsme sont réhabilitées et demandent que le parti prennent en compte les besoins de la société. Pour rétablir sa légitimité, le parti est alors obligé d'accéder aux désirs du peuble : on décollectivise les campagnes, on rétablit les universités qui avaient été supprimées, les intellectuels ont plus de liberté… On affiche dans la deuxième moitié des années 1980 une pluralisation de la société et des revendications démocratiques qui se font de plus en plus fortes et qui vont culminer en 1989. Cependant, lors du massacre du 4 juin de Tian'anmen, on se rend compte que le parti sous la direction de Deng Xiaoping est certes enclin à libéraliser l'économie mais à condition que personne ne remette en question la dictature du parti.

À partir de là, il y aura une répression grandissante vis-à-vis de la dissidence. Les instruments de contrôle de la société seront toujours présents. Le parti a simplement lâché du lest sur l'économie. Quand Xi Jinping arrive au pouvoir en 2013, il va relancer l'importance de l'idéologie et surtout lancer une grande purge contre toutes les organisations de la société civile, ainsi qu’à l’encontre de ses rivaux à l'intérieur du parti. Le projet de Xi Jinping est de remettre de l'ordre dans ce parti qu'il imagine avec un leader fort à sa tête et va lancer un nouveau culte de la personnalité. Ce n'est plus pareil que sous Mao, car aujourd'hui plus personne ne croit à l'idéologie. Mais cependant, personne ne peut la dénoncer, ni la critiquer. Tous les espaces de liberté disparaissent, et le contrôle de la société est renforcé par les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle, les caméras…

Chargement du lecteur...

Est-ce la politique du PCC qui a permis à la Chine de se hisser au rang de superpuissance économique ?

En se retirant du contrôle tatillon de l’économie, et en consentant un certain nombre de moyens sur plusieurs domaines comme les nouvelles technologies, on peut dire que le parti a eu un rôle certain dans cette modernisation.

L'essentiel est tout de même dû au dynamisme très important de la société chinoise, et à sa volonté de reprendre le contrôle de sa destinée après la mort de Mao. Le parti a su écouter et a su laisser la bride sur le cou au secteur économique. En même temps, il a aussi renforcé les entreprises d'Etat qui ont beaucoup oeuvré dans les nouvelles technologies et qui ont permis à la Chine de se développer.

Aujourd’hui, au sud, au nord, à l’est, à l'ouest, le parti dirige tout. L'Etat est totalement subordonné au PCC.

Jean-Philippe Béja

Comment expliquer cette expression « Etat-parti »? Les deux sont aujourd’hui indissociables ?

Ça a toujours été le cas. Mao avait réussi à écraser le parti et à en faire un nouveau. Après sa mort, Deng Xiaoping avait, lui, dit qu'il y aurait une division des tâches entre les deux entités. Mais les dirigeants du gouvernement étaient toujours des dirigeants du parti. Avec l’arrivée de Xi Jinping, l’expression est devenu d’autant plus significative. Aujourd’hui, au sud, au nord, à l’est, à l'ouest, le parti dirige tout. L'Etat est totalement subordonné au PCC. 

Chargement du lecteur...

Peut-on encore dire que la Chine est un pays communiste étant donné son lien fort avec le secteur privé, son économie libérale et ses inégalités? 

Si l'on appelle communisme, le rêve d'une société égalitaire, avec la disparition de l'Etat et la liberté pour tous, alors non, la Chine n'est plus communiste. Mais si l'on appelle cela, la dictature d'un parti totalitaire qui interdit toute autonomie à la société, alors oui, le communisme est toujours là. Il est même de type stalinien. L’idéologie aujourd’hui n’est qu'un moyen d'empêcher le pluralisme des idées et de faire taire des gens. 

Quelle est la stratégie de Xi Jinping à travers le PCC? Est-il respecté au sein du parti?

Xi Jinping est dans une fuite en avant. Il est obligé de continuer à resserrer son emprise sur le parti et donc d'aller à fond dans le nationalisme. L'idée est de faire de la Chine un pays puissant et prospère pendant encore longtemps. Il ne recule donc devant rien, on le voit avec Hong Kong pour lequel il a tout fait pour la suppression de son autonomie, par exemple.

Il a aussi beaucoup durci le contrôle à l'intérieur du parti et dans la société chinoise. On le voit avec les Ouïghours. Sa stratégie est de renforcer sa position et les tensions au sein du parti le poussent à adopter cette politique. Il cherche à empêcher toute opposition de s’exprimer.

Une éventuelle résistance de la société pourrait aider ses rivaux à renverser la balance. Il fait donc très attention à les faire taire et à se présenter comme le grand timonier. D'un côté, vous pouvez dire que c'est un dirigeant très fort, sans doute le plus fort depuis Mao. Mais cette volonté de supprimer l'habilitation des deux mandats, d’interdire toute critique, témoigne aussi d'une grande insécurité.

Chargement du lecteur...

Quel est le rapport de la population vis-à-vis du parti?

Il y a de la peur, bien sûr, mais il y a aussi une fierté dans les classes moyennes chinoises vis-à-vis de leur pays qui est désormais un pays très respecté sur la scène internationale. Il y a aussi de l'inquiétude face à l'absence totale de liberté. Les Chinois voudraient avoir plus de possibilité de s'exprimer. On l'a vu au moment de la crise du Covid, quand le médecin Li Wenliang a écrit dans son dernier testament qu'il fallait la pluralité des opinions en Chine. Il y a eu des millions de gens qui l'ont soutenu. Bien-sûr cela reste très risqué et les gens ne sont pas prêts à risquer leur vie. Tant que le parti apportera une amélioration des niveaux de vie, il n'y aura pas de risque de soulèvement.