Prix Nobel de la paix 2010, Liu Xiaobo va fêter son soixantième anniversaire en prison. L'écrivain purge une peine de onze ans pour "subversion". Pékin ne lui pardonne pas d'avoir demandé des réformes politiques audacieuses. Le cas de ce Prix Nobel emprisonné est unique au monde. Il rencontre une indifférence diplomatique stupéfiante.
Qui se soucie de Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix 2010 ?
Pas les politiques français en tout cas.
Human Right Watch rappelle que Nicolas Sarkozy et Francois Hollande n'ont jamais prononcé son nom devant des officiels chinois.
En octobre dernier, cependant, douze lauréats du prix Nobel de la Paix ont pris l'initiative d'adresser une lettre à David Cameron. Ils lui demandaient d'appeler publiquement à la libération de leur pair Liu Xiaobo et de son épouse Liu Xia. Les Nobel saisissaient l'occasion d'une visite d'Etat du Premier ministre britannique en Chine. Au programme, une rencontre était prévue avec le président chinois Xi Jinping. Aucun résultat.
Y compris avec Barack Obama à l'occasion de la visite de Xi Jinping à Washington en septembre dernier. Visiblement, le président américain, Nobel de la paix lui-même, ne s'est pas souvenu du nom de son confrère emprisonné...
De notre côté, nous avons sollicité les autorités chinoises pour connaître leur point de vue sur le cas de Liu Xiaobo.
Aucune réponse.
Sauf coup de théâtre, Liu Xiaobo, écrivain, poète, professeur d'université et militant des droits de l'homme restera en prison.
Liu Xiaobo, inspirateur de la charte 08
Mais que lui reproche-t-on exactement ? Liu Xiaobo purge une peine de onze ans de prison dans la prison de Jinzhou, à Dalian, à l'est de Pékin, pour «incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat». Il est, en fait, l'un des inspirateurs de la Charte 08, qui appelle au changement du système politique.
En juin 2012, Wei Ziyou écrivait dans BibliObs : "Il y a au fond deux critiques, qui reviennent de façon incessante dans les essais du prix Nobel, que ne peut lui pardonner le pouvoir : celle des crimes du 4 juin 1989, symboliques de la répression de la société civile, et celle du détournement de toutes les richesses du pays par une oligarchie régnante, corrompue et corruptrice."
Le parfum d'une vengeance cinq ans plus tard
Liu Xiaobo, prix Nobel de la Paix ? En 2010,la Chine avait salué l'annonce de sa victoire avec une extrême virulence. Jiang Yu, porte-parole du Ministère des Affaires étrangères, qualifiait cette récompense de "farce politique", tandis que le Tabloïd nationaliste Global Times écrivait : "On espère que le comité Nobel va réfléchir sur leur mauvais choix et présenter des excuses au public chinois. Le comité Nobel n'a aucune raison de croire que leur jugement politique est meilleur que celui de 1,3 milliard de personnes. L'Occident n'a pas le pouvoir de renverser les valeurs et le jugement du peuple chinois."
Ce qui ressemble à une vengeance est venue quelques années plus tard. En mars dernier, le secrétaire général du Conseil de l'Europe, le Norvégien Thorbjørn Jagland, n’a pas été reconduit à la présidence du Comité Nobel, qui attribue le Nobel de la Paix. Thorbjørn Jagland a été rétrogradé au rang de simple membre. Pourquoi cette disgrâce, une première depuis 1901, année de la création du Prix ? Comment expliquer la déchéance d'un tel homme, ex-Premier ministre de Norvège, ex-président du Parlement norvégien, et qui est Secrétaire général du Conseil de l’Europe ?
Une hypothèse circule.
Cette rétrogradation de Thorbjørn Jagland serait l'oeuvre d'une demande de Pékin afin de le punir d'avoir distingué Liu Xiaobo en 2010. La normalisation d'une nouvelle relation Norvège-Chine serait à ce prix. Les principaux intéressés ne s'expriment pas à ce sujet.
Aux États Unis, la rue Liu Xiaobo... dans une impasse
En juin 2014, des élus américains ont proposé de rebaptiser la rue de l'ambassade de Chine aux États-Unis du nom du prix Nobel de la Paix chinois. "Une farce" selon Pékin, qui a réagi immédiatement, ainsi que des internautes chinois. Ils ont aussitôt suggéré de débaptiser la rue où se trouve l'ambassade américaine à Pékin. Les internautes ont avancé plusieurs propositions : "rue des prisonniers torturés", "rue Snowden", "route Oussama Ben Laden".
L'affaire en est restée là.
Avec la Chine, partenaire économique vital, les Etats Unis ont l'audace prudente.
Selon
Human Right Watch les seules visites autorisées sont celles de sa femme, une demi-heure par mois. La seule activité permise serait le jardinage.
Wei Ziyou, il y a presque trois ans, écrivait à son sujet : "
Il est impossible de lire Liu Xiaobo sans être frappé par le courage, l’intégrité, la vérité qui l’habite. Plus important peut-être, jusque dans ses emportements, il reste de l’étoffe des héros pacifiques, comme la dame de Rangoon, comme l’ascète indien. Son intransigeance morale ne prône que des combats sans balles. Il est un espoir pour la Chine, une chance peut-être même pour les dirigeants qu’il dénonce."Le 28 décembre prochain, Liu Xiaobo fêtera son soixantième anniversaire. En prison, donc.