Chine : une diaspora en France sous étroite surveillance

Le président chinois Xi Jinping est en visite d’État en France ces 6 et 7 mai. Une importante part de la diaspora chinoise réside dans le pays, mais elle craint toujours le régime. 

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Macron Xi

Le président français Emmanuel Macron, le président chinois Xi Jinping et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen assistent à une réunion trilatérale au palais de l'Élysée dans le cadre de la visite d'État de deux jours du président chinois en France, le 6 mai 2024 à Paris.

Gonzalo Fuentes/Pool via AP
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Les Chinois installés en France sont-ils toujours sous la surveillance du régime de Xi Jinping ? “On n'a pas du tout de liberté de la parole, même ici en France, on ne l'a nulle part”, confie sur les ondes de Radio France une Parisienne ayant vécu en Chine jusqu'à ses treize ans. La visite du président chinois en France à l’occasion des 60 ans des relations diplomatiques entre la Chine et la France soulève la question de la question de la surveillance par la Chine de ses ressortissants expatriés.

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Marie Bouchez, docteure en histoire et spécialiste de la Chine, explique que cette surveillance ne date pas d’hier. Elle est utilisée par la Chine afin de servir ses intérêts en termes de technologie et de recherche scientifique. Actuellement, Xi Jinping l’emploie aussi afin de surveiller les informations données par ses ressortissants dans les pays où ils se trouvent. 

TV5MONDE : Quelle est l’importance de la diaspora chinoise en France ?

Marie Bouchez : Ils sont relativement nombreux parce qu'il y a beaucoup de jeunes chinois qui viennent étudier en France, même si ce n'est pas le premier pays européen à les attirer. Ils sont aussi très attirés par les États-Unis, l'Allemagne et l'Italie.

Histoire de la diaspora chinoise en France

  • La diaspora chinoise compte actuellement plus de 600 000 ressortissants en France selon plusieurs estimations. 

  • Cela en fait la plus importante d’Europe. 

  • L’immigration chinoise en France débute pendant la Première Guerre mondiale, avec l’enrôlement de quelque 140 000 Chinois principalement de l’est du pays.

  • Entre 2 000 à 4 000 d’entre eux seraient restés en France à l’issue de la guerre.

  • L’arrivée de Mao Zedong et la création de la République populaire de Chine viennent freiner cette immigration, qui reprend ensuite au cours des années 1980 avec l’ouverture économique du pays.

En France, jusqu'à ce que Mao Zedong arrive au pouvoir en 1949, il y a du mouvement. Environ 20 000 ressortissants chinois sont sur le sol français à peu près. À L'époque, ils sont déjà surveillés, mais plus par les Français qui les accueillent. En effet, les Français ont peur de voir en eux ce que certains sont, c'est-à-dire des "fauteurs de trouble", puisque certains vont se former au communisme en France. Parmi eux, il y a Deng Xiaoping, le successeur de Mao Zedong, qui va découvrir le communisme en France dans les ateliers Renault avec d'autres Chinois communistes. Donc les Français ont des raison de se méfier.

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Et les Chinois, de leur côté, les surveillent également. D'abord parce que le gouvernement de la République de Chine essaie, grâce à eux, d'asseoir sa propre influence et de se poser comme une nation qui compte au niveau international et elle s'intéresse à ces intellectuels. Et dans un même temps, ils surveillent aussi leur retour en Chine pour les mêmes raisons que les Français. C'est-à-dire qu'ils se disent que ces gens peuvent être des fauteurs de trouble et certains, effectivement, le sont parce qu'ils sont de tendance anarchiste ou communiste.

TV5MONDE : Quel est l’intérêt de surveiller la diaspora chinoise en France ?

Marie Bouchez : Xi Jinping s’inspire du système de surveillance que Mao Zedong a mis en place. C'est-à-dire que pour le gouvernement chinois, le fait que les Chinois ne soient plus dans le pays ne doit pas  rompre le lien avec leur mère patrie. C'est un peu pareil avec les enfants adoptés. Il y a toujours en Chine cette idée que même si des enfants chinois sont adoptés, il reste un lien et les enfants chinois pourraient revenir un jour au sein de leur patrie.

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Parfois, les Chinois qui sont à l'étranger sont envoyés par le gouvernement chinois. Il y a notamment des étudiants qui sont en France et qui sont en fait utilisés comme des espions, parfois à leur insu. C’est le cas notamment dans les matières scientifiques, où ils ont pour mission de trouver des informations qui pourraient intéresser leur pays d’origine. On voit parfois des nouvelles à ce sujet dans les journaux, notamment dans les grandes fac scientifiques. Il est déjà arrivé qu'il y ait des jeunes Chinois qui se fassent prendre en train de photocopier des documents. Donc, ce n'est pas une légende.

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D'autres étudiants,  financés par le gouvernement chinois,  ne sont pas impliqués. Mais derrière, rien ne dit qu'ils ne pourront pas être contactés par les services chinois. C'est-à-dire que le gouvernement chinois actuel peut s’appuyer sur les Chinois de la diaspora pour récupérer des informations scientifiques ou techniques sur les pays européens ou les pays d'Amérique du Nord.

TV5MONDE : Quelles sont les craintes de Xi Jinping ? 

Marion Bouchez : Il y a également cette idée que parce qu’ ils sont chinois, ils sont une sorte de vitrine de la Chine actuelle et que donc il faut surveiller aussi ce qu'ils font et les informations qu’ils donnent aux pays où ils sont. Par exemple, les Chinois surveillent beaucoup si leurs ressortissants prennent partie en ce qui concerne les Ouïghours (NDLR : minorité musulmane et turcophone persécutée en Chine), etc. Il y a aussi les dissidents qui sont énormément surveillés, comme en Russie, et les dissidents Ouïghours, plus que jamais. Il s'agit de surveillance politique sur la question des droits de l'homme.

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Cette surveillance se fait par des moyens qui peuvent prendre de court les gens eux-mêmes. C'est-à-dire que le gouvernement chinois parvient à retrouver des personnes qui ont pris une autre  identité et qui se cachent. Ils ont de bons informateurs. La Chine a un peu des yeux partout, effectivement. Même si en dehors de ses frontières, le pouvoir de contraindre est moindre.

En Occident, on a une image de la Chine comme étant un pays de plus en plus autoritaire. Mais ce n'est pas non plus un pays où la liberté d'expression n'existe pas. La Chine souhaite garder le lien avec ses ressortissants, y compris ceux qui la fuient.