Le parquet de Paris a requis un non-lieu dans le dossier des plaintes pour l'empoisonnement des Antilles au chlordécone. Manifestants et élus évoquent un risque de "déni de justice". Un vent de colère enfle en Martinique.
Depuis l'annonce des réquisitions le 25 novembre, manifestations et rassemblements se multiplient sur l'île. Samedi 10 décembre, 800 personnes selon la police ont manifesté à Fort-de-France pour rejeter l'éventuel non-lieu. La même semaine, près de 200 s'étaient rassemblées pour une marche au flambeau.
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Je suis guéri du cancer du sein et de l'utérus, mais je souffre encore beaucoup", confie une ancienne ouvrière de vergers de bananiers, Cristiane Césaire. Cette habitante du nord de l'île a perdu son père et ses deux frères, emportés par le cancer de la prostate. Son troisième frère est en cours de traitement pour cette même maladie. Sa mère est décédée des suites d'un cancer du sein et cancer de l'utérus.
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Avec mes parents, nous travaillions dans les champs de bananes à Basse-Pointe", raconte-t-elle à l'AFP. "
Le patron ne nous donnait aucune protection, pas de gants, pas de bottes, et nos ongles, nos doigts, nos orteils étaient rongés".
90% des populations de Martinique et de Guadeloupe sont contaminées au chlordécone- Utilisé dans les bananeraies pour lutter contre le charançon, ce pesticide toxique a été autorisé en Martinique et en Guadeloupe jusqu'en 1993, sous dérogation. Dans le même temps, le reste du territoire français en avait interdit l'usage. Mais il n'a été banni des Antilles que 15 ans après les premières alertes de l'Organisation mondiale de la santé.
- Selon un dernier rapport publié le 6 décembre par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (
ANSES), près de 90% des populations de Martinique et de Guadeloupe sont contaminées au chlordécone; 14% des Guadeloupéens et 25% des Martiniquais présentent une chlordéconémie trop importante, soit un taux de chlordécone trop élevé dans le sang.
- Les Antilles détiennent le triste record du taux de cancer de la prostate le plus élevé au monde. Depuis le 22 décembre 2021, il est reconnu comme maladie professionnelle, ouvrant la voie à une indemnisation pour les ouvriers agricoles. Certaines régions de Martinique et de Guadeloupe sont imprégnées de ce pesticide pour plusieurs siècles.
Des faits prescrits selon le parquet de Paris
Le parquet de Paris a notamment estimé que les faits dénoncés dès 2006 et 2007 par des associations guadeloupéennes et martiniquaises étaient prescrits ou non caractérisés.
"Tout ça est insupportable", dénonce Philippe Pierre-Charles, porte-parole du collectif Lyannaj pou dépolyé Matinik. "
L'État dit qu'il a une part de responsabilité, mais s'il a une part, c'est qu'il y a d'autres personnes qui ont leur part. Qui sont ces personnes? Il faut que la justice passe".
Ces témoignages étaient en mesure de faire tomber la prescription.
Louis Boutrin, avocat de l'association martiniquaise “Pour une Ecologie Urbaine”.
Pour Me Louis Boutrin, la prescription soulevée par le parquet ne tient pas. Mais surtout, cet avocat de l'association martiniquaise “Pour une Ecologie Urbaine”, partie civile, dénonce ce qu'il appelle "
une ruse" avec les lois de la République, en évoquant le refus d'entendre quelques témoins, notamment des ouvriers et exploitants agricoles. "
Ces témoignages étaient en mesure de faire tomber la prescription", affirme l'avocat, car certains soutiennent que les stocks de chlordécone déjà présents sur l'île ont continué d'être écoulés au-delà de son interdiction, en 1993.
"Nécessaire réparation"
Les élus martiniquais ne sont pas en reste. Dans un courrier officiel du 6 décembre, le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Martinique, Serge Letchimy, a interpellé Emmanuel Macron face au risque de "d
éni de justice". "
Les populations ne sauraient se satisfaire de cette situation qui piétinerait la vérité, absoudrait les coupables et mépriserait les victimes", écrit-il. "
L'empoisonnement à la chlordécone fait partie de ces affaires, complexes et longues, mêlant responsabilités publiques et privées, recherche de la vérité et quête de la nécessaire réparation."
Dans l'hémicycle également, le chlordécone s'est invité dans les débats. Le 6 décembre, à l'occasion des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le député martiniquais Marcelin Nadeau a interpellé le ministre délégué aux Outre-mer sur "
le silence et l'impunité sous couvert de non-lieu", dénonçant "
un fort sentiment de mépris à l'égard des peuples empoisonnés".
Si Jean-François Carenco a souhaité ne pas commenter les décisions judiciaires, il a tenu à rappeler qu'Emmanuel Macron avait été en 2018 "
le premier à avoir reconnu la responsabilité de l'État dans la pollution du chlordécone".