Le gouvernement français affiche sa satisfaction face aux dernière statistiques du chômage, annoncées le 26 avril 2016, avec une "baisse de 60 000 demandeurs d'emploi" pour le seul mois de mars 2016. Que représentent ces données ?
La communication gouvernementale sur les statistiques du chômage - et donc des demandeurs d'emploi - n'est jamais neutre, tout comme les commentaires qui fleurissent à son propos. Cette guerre des chiffres du chômage, très simplificatrice, est devenue en quelques années une sorte de" bilan médical" de l'action du pouvoir exécutif face au "grand malade" que serait... l'emploi. De "mauvais" résultats, faits d'une augmentation du nombre de demandeurs d'emploi, du taux de chômage, et c'est la mise en cause de toutes les politiques menées, qui survient. De "très bons résultats", comme hier, et voilà - à l'inverse - la confirmation que les différents plans et réformes de l'exécutif "porteraient leurs fruits".
La réalité des personnes inscrites à pôle-emploi, radiées pour différents motifs, leur nombre réel dans les différentes catégories, ceux qui auraient trouvé du travail à temps plein ou non, toutes ces nuances importantes ne sont pas contenues dans le seul chiffre des 60 000 personnes comptées en moins dans les statistiques des demandeurs d'emploi de ce mois de mars 2016. De quoi est faite l'embellie de ce mois de mars sur "le front du chômage" ?
Radiations, stages, petits boulots et défaut d'actualisation
Les statistiques de "recul du chômage de 1,7% au mois de mars 2016" publiées et commentées hier, ne correspondent pas au fait que 60 000 personnes sans emploi en ont retrouvé un et ne sont plus au chômage. Ce chiffre évoque en réalité le nombre de personnes qui ne sont plus inscrites en catégorie A à Pôle-emploi, c'est-à-dire cherchant un emploi et n'ayant pas travaillé durant le mois. La catégorie B correspond aux personnes ayant travaillé moins de 78 heures et cherchant toujours un emploi, et la C, plus de 78 heures.
La question est donc : que sont véritablement devenues les 60 000 personnes qui ont quitté cette catégorie A ?
Une partie est passé en catégorie B (moins de 78h de travail) : 13 800 personnes (augmentation de 2,0% sur un mois). Une autre en catégorie C (plus de 78h de travail) : 37 500 personnes sur un mois (soit +3,2 % sur un mois).
Il y a donc 51 300 personnes qui ont quitté la catégorie A mais sont toujours inscrites au chômage, même si elles ont travaillé dans le mois. Restent 8700 personnes qui ont quitté les fichiers de pôle-emploi, et sont réparties de la manière suivante : 20,02% ont déclaré avoir repris un emploi. 9,79% sont entrées en stage, 8,69% ont été radiées et 44,93% ont oublié de se réinscrire - le fameux défaut d'actualisation. Les autres sorties correspondent à des motifs "autres" ou de la maladie et congés maternité.
Ces statistiques publiées par le Ministère du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social nous indiquent qu'en réalité, ce sont seulement 1741 personnes qui ont repris un emploi de façon certaine au mois de mars 2016 et ne sont plus à pôle-emploi. Elle sont potentiellement 3500, si l'on estime qu'une petite moitié des défauts d'actualisation a retrouvé du travail...
Les autres personnes sorties de Pôle-emploi sont soit entrées en stage, ont été radiées ou ne se sont pas réinscrites bien que n'ayant pas trouvé de travail. Ce taux très élevé de "sortie administrative" par "défaut d'actualisation" est déjà survenu à l'été 2015, puis en ce mois de janvier. La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) s'en est émue, et a indiqué à ce propos la chose suivante :
"En janvier 2016, le nombre de sorties de catégories A, B et C pour cessation d’inscription pour défaut d’actualisation a enregistré un rebond inhabituellement fort, après la baisse observée en décembre, ce qui affecte à la baisse le nombre de demandeurs d’emploi en catégories A, B et C en janvier"
Le service statistique indépendant estime qu'un peu moins de la moitié des personnes en défaut d'actualisation le sont parce qu'elles ont trouvé un emploi, mais qu'en est-il des autres ? Oublis, problèmes de connexion, ces personnes se réinscrivent la plupart du temps dans les mois qui suivent leur sortie de pôle-emploi. Ce mois de mars 2016, elles seraient environ 2000 à avoir "oublié" leur actualisation. La "baisse" du taux d'inscrits en catégorie A, au long du trimestre, est donc en partie accentuée par ces défauts d'actualisation de janvier, cumulés à ceux de mars.
La "demande d'emploi non satisfaite" en question
Toute la problématique de calcul du chômage réside dans la définition de ce qu'est un demandeur d'emploi. Pour le gouvernement, il est avantageux de ne parler que de la catégorie A de pôle-emploi, catégorie bien plus facile à réduire puisqu'il suffit d'une heure travaillée, une formation, un congé maternité pour retirer les personnes de cette catégorie et communiquer ainsi sur la baisse du "taux de chômage". Les personnes en catégorie B et C ne sont pas comptabilisées dans les succès gouvernementaux, et pourtant ces personnes sont toujours des demandeurs d'emploi.
Le BIT (Bureau International du Travail) définit le demandeur d'emploi de la manière suivante : "
Être sans emploi, ne pas avoir travaillé une seule heure dans le mois, être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ; avoir recherché activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de 3 mois". Ce système international basé sur des sondages mensuels n'est pas appliqué en France, au profit du calcul des inscrits en catégorie A et de sondages - trimestriels - de l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques).
La question posée en France est celle de la "demande d'emploi non satisfaite", et si pôle-emploi comptabilise 3,5 millions de personnes en catégorie A, le BIT, lui, compte 4,3 millions de "chômeurs" dans le pays, selon sa définition.
La bataille de communication politique à l'oeuvre aujourd'hui sur la baisse significative ou non du chômage n'a pas lieu d'être :
la Dares, dans une note d'aide à l'interprétation, indique qu'il est souvent impossible de se fier aux résultats d'un mois seul : "(...)
lorsqu’une évolution mensuelle est de signe différent de celles des mois précédents, il est toujours très difficile de l’interpréter comme un changement de tendance au moment où ce chiffre est disponible."
En février, le nombre de demandeurs de la catégorie A a augmenté de 1,1%, ce qui est donc un "signe différent" du mois suivant (-1,7%) et qui ne permet pas d'établir un changement de tendance en mars, selon la Dares. Il semble donc nécessaire d'attendre de nouveaux résultats - constitués d'importantes reprises d'emploi, sur au moins un trimestre - pour parler d'une baisse effective du chômage en France.