Échappant à la persécution, onze chrétiens irakiens ont atterri ce jeudi 7 août en France, munis d’un visa d’asile. Et ce, à peine quelques jours après que les plus hautes autorités se soient dites prêtes à accorder l’asile à la communauté chrétienne d’Irak. Leur arrivée relance l’épineux débat sur l’exil de cette minorité religieuse et les conditions d’accueil en Europe.
Les onze membres de cette famille irakienne sont arrivés tôt à l’aéroport de Roissy (près de Paris) et ont été accueillis par des militants associatifs. Ce sont des parents de Faraj Raho, archevêque de Mossoul (deuxième ville d’Irak), enlevé et assassiné en 2008. Depuis, ils bénéficiaient de la protection du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés(HCR)en Syrie, où ils étaient réfugiés, puis à Bagdad,où ils résidaient depuis six mois. C’est la première famille à bénéficier d’un visa d’asile depuis le début de l’offensive des combattants de
l’État Islamique (EI). « Ils avaient déposé leur demande de visa il y a plusieurs mois, mais l'annonce du gouvernement a peut-être accéléré le traitement de leur dossier », a précisé à l’AFP Elish Yako, secrétaire général de l'Association d'entraide aux minorités d'Orient(AEMO)et membre de la Coordination chrétiens d'Orient en danger(Chredo).
L'exode Selon le patriarche chaldéen (voir encadré) Louis Sako, 100.000 chrétiens ont été poussés sur les routes « avec rien d’autre que leurs vêtements sur eux ». « C ’est un désastre humanitaire. Les églises sont occupées, leurs croix enlevées et plus de 1.500 manuscrits ont été brûlés », a-t-il déploré. Cet exode a été provoqué par l’arrivée des djihadistes ce jeudi 7 août, à Qaraqosh. Ils se sont emparés de la plus grande ville chrétienne d’Irak située entre Mossoul,(la deuxième ville du pays, tenue par l’EI) et Erbil, la capitale autonome du Kurdistan. Elle compte en général 50.000 habitants, mais avait également accueilli nombre de chrétiens chassés de Mossoul.
L’EI contraint les chrétiens à se convertir ou à payer un impôt mensuel par tête. Si les Irakiens n’obtempèrent pas, ils risquent leurs vies. D’autres minorités sont également persécutées comme les yazidis, minorité kurde et non musulmane), les shabaks (à dominante chiite) ou encore les turcomans. Même les musulmans sunnites commencent à avoir peur et sont victimes d’exactions s’ils ne s’adaptent pas aux règles de l’État islamique.
07.08.2014Récit de L. de Matos, B. MartineauLa prise de Sinjar et des villages environnement notamment a poussé les Yézidis à fuir. A 200km de là, certains ont trouvé refuge dans le camp de Duhok. Les autres seraient au moins 50 000 coincés dans les montagnes désertiques.
«Il faut trouver une solution pour rester chez nous» C’est dans ce contexte que les onze réfugiés venant de Bagdad ont franchi les portes de l’aéroport. «La situation pour les chrétiens d'Irak est désastreuse. On nous traite de mécréants», a témoigné Nabeel Yonan Yousif, 53 ans. Lui et sa famille doivent maintenant demander le statut de réfugié. «Nous sommes heureux que cette famille puisse venir en France. Il faut comprendre qu’il y a 400.000 chrétiens en Irak et ce n’est pas l’exil qui permettra de résoudra leur problème. Nous ne pouvons pas tous les accueillir», estime monseigneur Pascal Gollnisch, directeur général de l’association d’aide aux chrétiens L’Oeuvre d’Orient. Originaire de Mossoul et évêque chaldéen de Kirkouk (nord de l’Irak), Monseigneur Youssef Thomas est du même avis : «Que représentent onze personnes devant des milliers qui sont contraints à partir ? Il faudrait trouver une solution pour rester dans ce pays, qu’on aime et qui est le nôtre. Il ne faut pas céder à la violence. On ne fuit pas la maladie, on la combat !» Le clergé chaldéen n’est pourtant pas unanime face à cette question. Ceux qui sont en faveur de l’exil évoquent des massacres dont les arméniens, les syriaques, les assyriens et les chaldéens ont été victimes en 1915. Les chrétiens et d’autres minorités sont donc tiraillés entre l’instinct de survie et le désir de rester. Beaucoup de familles ayant quitté, à pied, Mossoul et les villages chrétiens du nord n’ont pas demandé l’asile. Ils attendent que les conditions soient favorables pour pouvoir retourner chez eux. Même « s’ils ont été dépouillés des économies de toute une vie en traversant les check-points », explique monseigneur Youssef Thomas. D’autres ont vu leurs papiers d’identité détruits par les djihadistes, y compris les certificats de baptême indispensables à une demande d’asile. Beaucoup sont pourtant tentés par le départ, surtout s’ils peuvent rejoindre des proches, partis avec les précédentes vagues d’exil. Pour l’instant, fidèle à sa tradition, seule l’Hexagone s’est clairement prononcé en faveur de l’accueil des chrétiens d’Irak. Ainsi, les autorités ont annoncé qu’elles allaient débloquer 400.000 euros d’aide exceptionnelle.
Une expérience en demi-teinte Ce n’est pas la première fois que la France se propose comme terre d'accueil. En 2010, notamment, un attentat avait été perpétré par Al-Qaida contre la cathédrale de Bagdad, tuant quarante-quatre fidèles et deux prêtres. La France ouvre alors ses portes à quelques centaines de chrétiens irakiens. Le bilan est contrasté. Les conditions d’accueil laissent beaucoup à désirer et l’intégration ne se fait pas sans peine avec un apprentissage lent du français. Seuls les plus jeunes réussissent à se reconstruire. Mais leurs aînés ne retrouvent pas un emploi à la hauteur de leurs qualifications et bien d’autres souhaitent revenir dans leur pays d’origine. Malgré cette expérience en demi-teinte la solidarité reste au rendez-vous. La ville de Sarcelles dans le Val-d’Oise, où réside la plus importante communauté de chrétiens chaldéens de l’Hexagone, se dit prête à mettre à disposition des logements pour les nouveaux arrivants. Cette ville compte déjà environ 6000 de ces chrétiens, pour la plupart originaires de Turquie et une centaine de familles venues d’Irak. Les onze Irakiens qui sont arrivés ce jeudi seront hébergés dans un premier temps au foyer de France terre d'asile à Créteil (Val-de-Marne) puis dans un Centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada), peut-être à Toulon (Var), où ils ont de la famille.
Quelle réponse des Occidentaux ? Ce sont aussi les liens familiaux qui déterminent le pays de choix. Détroit concentre une importante communauté de chrétiens irakiens, leur « vraie capitale ». En Europe, l’Allemagne peut se prévaloir d’une politique efficace. Les réfugiés y sont répartis entre les Länder en fonction de leur population. Le pays, qui compte déjà une importante diaspora irakienne, accueillera cette année 175.000 réfugiés. Les Chrétiens d’Irak pourraient bien en bénéficier. La Suède, pour sa part, a mis en place des structures d’accueil avec le soutien de l’ONU auprès des réfugiés. Ceux qui sont originaires d’Irak pourraient aussi se tourner vers la Belgique ou encore le Royaume-Uni où l’Église anglicane exhorte les autorités à emboîter le pas de la France, qui propose des visas au compte-gouttes. Mais ces cas d'accueil restent encore limités. Pour l’instant, certains pays occidentaux refusent d'accorder l’asile à ces réfugiés et préfèrent verser une aide aux pays avoisinant l’Irak et la Syrie, comme la Turquie, la Jordanie et le Liban qui accueillent des milliers de déplacés.
« Il faut stopper l'avancée de l'Etat Islamique » Ce que certains représentants religieux attendent des pays occidentaux c’est un soutien plus musclé. Selon monseigneur Pascal Gollnisch, « il faut stopper les activités et l’avancée de l’EI » et aider les chrétiens à rester en envoyant des moyens de logement d’urgence et en mettant en place des micro-crédits pour travailler. « Il faut couper leurs sources de financement et leurs sources d’armement. La communauté internationale doit réagir plus fortement.» Monseigneur Youssef Thomas va plus loin : « En tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU la France devrait tout mettre en œuvre pour mobiliser les autres pays pour qu’ils nous viennent en aide.» Les observateurs considèrent cette crise comme la plus grave dans l’histoire récente des chrétiens en Irak, bien que depuis les années 90 leur sort soit menacé. Ils étaient encore un million au moment de la première guerre du Golfe en 1991, et 800.000 lors de l'invasion américaine de 2003. Depuis onze ans, un millier de chrétiens ont été tués et environ 400.000 ont quitté le pays. En dix ans, soixante et une églises ont été attaquées et un millier de chrétiens tués. Mais dans la région, ils ne sont pas les seuls persécutés. Comme les coptes en Egypte, tous les chrétiens d’Orient sont sur la sellette. « Si les chrétiens ne peuvent pas rester c’est toute une région qui est fragilisée. Ce sera la guerre, s’alarme monseigneur Pascal Gollnisch. Nous devons comprendre qu’il ne s’agit pas seulement de la présence d’un groupe religieux qui nous serait cher parce qu’une partie des Français est attachée à cette influence chrétienne. C’est l’équilibre politique de cette région qui est en question. S’il n’y a plus de chrétiens ce sont toutes les minorités qui vont disparaître. Il y aura des raidissements nationalistes qui entraîneront une guerre. »
BONUS WEB : L'interview intégrale de monseigneur Youssef Thomas
07.08.2014Propos recueillis par Sémiramis IdeJoseph Alichoran : “un drame humanitaire sans précédent dans l'histoire de l'Irak“
Interview par Estelle MartinJoseph Alichoran, spécialiste des Chrétiens d'Irak, était l'invité du 64' de TV5MONDE ce samedi 09 août. La récente progression des jihadistes en Irak a entrainé des centaines de milliers de personnes sur les routes. Vendredi 8 août, l'armée américaine a procédé à des frappes aériennes dans le Nord du pays. Parallèlement, elle a envoyé, par avion, des vivres aux populations civiles fuyant l'avancée de l'Etat islamique. Quant aux peshmergas kurdes, ils tentent ce samedi de reconquérir le terrain. Joseph Alichoran fait le point sur la situation humanitaire et militaire sur place. Quitter la plaine de Ninive ou rester au péril de leur vie, quelle solution pour les chrétiens d'Irak et les autres minorités ?
Les chrétiens d'Irak, un socle commun et des courants bigarrés
Le rite chaldéen ou "syrien oriental" est le courant dominant en Irak. Il partage la dévotion des fidèles avec cinq autres rites : le latin, l'alexandrin, l'arménien, le byzantin, et l'antiochien ou syrien occidental. Des orthodoxes et une minorité de protestants sont également présents dans le pays.