Par Clément SABOURIN
PORT-AU-PRINCE, 10 avril 2010 (AFP) - Lenteur des déblaiements, retard dans la livraison des matériaux de construction, déplacés qui ne veulent plus partir: malgré les centaines d'ONG et les millions de dollars envoyés, trois mois après le séisme, les abris de fortune se pérennisent à Port-au-Prince.
Le torse à l'air, Louis Josephal somnole en ce début d'après-midi brûlant. A côté des ruines de sa maison, ce maçon est allongé sur un drap, sous le toit de l'abri temporaire dont la construction a été stoppée, faute de matériaux.
"Tout est importé et le port a été durement touché par le tremblement de terre", s'excuse Pierre Jodel Joseph. Cet ex-instituteur haïtien élancé, reconverti chef de projet pour l'ONG américaine CHF, dirige la construction de plusieurs maisonnettes dans le quartier Pernier, à l'est de la capitale.
Mais en attendant, Louis Josephal passe ses nuits dans une bicoque de tôles rouillées, en face du grand terrain aride où vivent 1.600 personnes sous des cabanes en plastique.
Sans eau, ni présence d'une ONG... comme c'est le cas dans plus de 60% des quelque 1.400 camps qui ont fleuri en Haïti après le séisme qui a jeté à la rue 1,3 million de personnes, en grande majorité à Port-au-Prince et sa région.
Et tous les sinistrés de Pernier regardent avec grand intérêt le projet de CHF qui consiste à construire des abris en bois, plastique et tôle de 18 m2.
"Ca nous suffira pour vivre", dit à mi-voix le maçon, qui vit avec sa femme et leurs sept enfants.
Quelque 150.000 abris de ce type ont été planifiés par les Nations unies. Mais "on ne pense pas pouvoir y arriver avant la saison des pluies", reconnaît la porte-parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU, France Hurtubise.
Les raisons de ces retards sont multiples. Il faut déblayer les gravats. Planifier la reconstruction. Importer les matériaux. Inspecter les maisons encore debout... puis convaincre les habitants de regagner leur domicile, lorsqu'il est habitable.
Mais beaucoup s'accrochent aux camps: seulement 5% des sinistrés seraient enclins à partir pour un abri temporaire, selon des estimations d'ONG. ONG et ONU disent même voir de plus en plus de personnes quitter leurs bidonvilles et venir gonfler les camps.
Car ici, ces indigents disposent de services que beaucoup n'avaient pas auparavant: eau potable, nourriture, soins de santé. C'est aussi là que, avec leurs compagnons d'infortunes, ils ont commencé à soigner le traumatisme du séisme qui a fait 220.000 morts.
"Et il y a un sentiment de peur que des gens soient encore pris sous des décombres", note Mme Hurtubise.
C'est d'ailleurs pour éviter que le provisoire ne se pérennise qu'Architectes de l'urgence a opté pour une autre approche: aider la rénovation des domiciles quand c'est possible, ou construire des abris plus solides et adaptés à la taille du foyer.
A Gressier, une ville située à 20 km de la capitale, l'ONG française a formé pendant six semaines 24 Haïtiens pour aller inspecter près de 2.200 maisons.
Accompagnés du pasteur et d'un élu local, ils arpentent cette commune de 60.000 âmes, leurs carnets à la main. "Ici on a des fissures, là s'il y a des secousses sismiques, tout s'écroule", dit Jean-Marcel Zenon en inspectant une maison.
La propriétaire des lieux vit depuis trois mois dans une hutte bricolée avec des matériaux hétéroclites qu'une coulée de boue ou un cyclone emporteraient en quelques instants.
L'ONG va leur fournir expertise et matériaux pour rendre l'habitation sûre. "Sinon, au prochain séisme, il y aura une autre catastrophe", explique, pédagogue, M. Zenon. Tout sourire, la femme opine.
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