Chypre : la faillite évitée, un sauvetage à haut risque

Si, comme on pouvait s'y attendre, Nicosie évite d'être mis en défaut de paiement, elle a du consentir de lourds sacrifices pour obtenir le versement du programme d'aide de la troïka (FMI, Commission européenne, Banque centrale européenne) et le soulagement général cache bien des incertitudes.
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Chypre : la faillite évitée, un sauvetage à haut risque
Chypre : un havre touristique et fiscal
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L'ardoise du casino

L'ardoise du casino
Inscription hostile aux pressions de la Troïka
photo afp
C'est un ouf général, à défaut d'y voir encore très clair. Chypre évite le défaut de paiement et reste dans l'euro. La règle internationale de garantie sur les dépôts jusqu'à 100 000 € est préservée. Les petits et moyens épargnants ne sont pas directement ponctionnés comme l'envisageait le plan concocté le 16 mars avec les ministres des finance européens et rejeté par le parlement chypriote. La chancelière allemande Angela ,Merkel se déclare « très satisfaite ». Le président de la Commission européenne, Jose Manuel Barroso, précise que cet accord a été conclu "avec le soutien total du président chypriote", Nicos Anastasiades, qui l'a négocié dimanche pied à pied pendant près de 12 heures à Bruxelles. Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, appelle lundi à son application "le plus vite possible". "Nous devons tous travailler dur pour réduire l'impact social de la crise à Chypre", a-t-il ajouté. Pour peu compromettante qu'elle soit, cette dernière formule n'est pas de trop, tant le coût réel de ce plan B risque en définitive de se révéler plus lourd encore que sa version initiale pour une économie très dépendante de la finance (qualifiée de "casino" par le ministre français Pierre Moscovici) dotée d'un secteur bancaire évalué à huit fois son Produit intérieur brut. Ainsi la deuxième banque du pays, la Laiki Bank (Popular Bank en anglais), sera t-elle mise en faillite de manière ordonnée. Elle sera scindée entre une "bad bank", entité résiduelle amenée à disparaître progressivement, et une "good bank", où seront regroupés les dépôts inférieurs à 100.000 euros, qui bénéficient d'une garantie publique dans l'Union européenne. La première banque du pays, la Bank of Cyprus, reprendra à terme les dépôts garantis de Laïki Bank. Elle reprendra aussi les dettes de celle-ci envers la Banque centrale européenne (BCE), qui s'élèvent à 9 milliards d'euros. Les titulaires de comptes dépassant 100.000 euros auprès de la Bank of Cyprus vont aussi subir une ponction de l'ordre de 30% de leurs avoirs, a indiqué M. Styliades.

Les Russes à contribution

Chypre : la faillite évitée, un sauvetage à haut risque
Queue aux distributeurs après la fermeture des banques
Outre la restructuration du secteur bancaire, les autorités chypriotes vont également signer dans les prochaines semaines avec la troïka (UE, Banque centrale européenne et FMI) un protocole d'accord prévoyant des réformes structurelles, des privatisations et une hausse de l'impôt sur les sociétés qui passera de 10 à 12,5%. Parmi les efforts demandés à Chypre figurera aussi la lutte contre le blanchiment d'argent, en fonction des résultats d'un audit imminent. En échange, une aide allant jusqu'à 10 milliards d'euros sera fournie essentiellement par le pare-feu de la zone euro, le Mécanisme européen de stabilité (MES), mais comprendra un apport du Fonds monétaire international qui reste à chiffrer. Premiers "épargnants" étrangers de l'île (avec près de 19 milliards de dépôts sur un total de 70 milliards), les investisseurs russes qui avaient violemment réagi à l'accord initial du 16 mars paraissent cette fois se résigner à sa nouvelle version pourtant plus sévère à leur endroit, soulagés finalement de voir s'éloigner le spectre d'une faillite pure et simple qui semblait se préciser au fil de la crise. Si le Premier ministre, Dmitri Medvedev a ironisé "On continue de voler l'argent volé", le président russe Vladimir Poutine a de son côté demandé au gouvernement d'étudier "les conditions d'une restructuration" du prêt de 2,5 milliards d'euros accordé par Moscou à Chypre en 2011, comme le demandait Nicosie. "Compte tenu des décisions qui ont été prises par l'Eurogroupe, M. Poutine estime possible de soutenir les efforts du président de Chypre et de la Commission européenne pour résoudre la crise", a déclaré le porte-parole du Kremlin. Nicosie va toutefois restreindre les mouvements de capitaux, pour éviter leur fuite et la réouverture mardi des banques de l'île, fermées depuis le 16 mars, restait incertaine.

Les principales étapes de la crise financière

25.03.2013AFP
Chypre a conclu in extremis un difficile accord avec ses bailleurs de fonds internationaux pour éviter la faillite et rester dans la zone euro après une semaine de crise qui a paralysé l'économie de l'île méditerranéenne et fait vaciller la monnaie unique européenne.  - 16 mars: neuf mois après avoir demandé 17 milliards d'euros d'aide, Nicosie accepte un plan de l'Union européenne et du Fonds monétaire international prévoyant que ces derniers apportent dix milliards d'euros en échange d'une taxe sur les dépôts bancaires à Chypre censée rapporter 5,8 milliards. Pour amortir l'impact sur les gros déposants, notamment russes, une proposition vise à répartir la taxe sur tous les dépôts (6,75% jusqu'à 100.000 euros, 9,9% au delà), brisant le tabou de la protection des petits épargnants. C'est l'option "la moins douloureuse", affirme le président chypriote élu trois semaines auparavant, Nicos Anastasiades (conservateur). Mais la colère éclate à Chypre, le vote nécessaire du Parlement est repoussé et les files d'attente s'allongent devant les distributeurs des banques fermées pour un week-end prolongé. - 18: les bourses européennes dévissent et l'euro chute face au spectre d'une perte de confiance dans le système bancaire. Moscou dénonce la taxe. De nouvelles négociations s'engagent, la zone euro réclame à Chypre, membre depuis 2008, d'exonérer les dépôts jusqu'à 100.000 euros. Nicosie propose un seuil à 20.000 euros mais le vote du Parlement est encore reporté et la fermeture des banques prolongée. - 19: le Parlement chypriote rejette le plan européen, liesse à Chypre. Le ministre des Finances Michalis Sarris part quêter un soutien à Moscou. Il rentrera bredouille le surlendemain. - 20: Chypre cherche un "plan B". La puissante Eglise orthodoxe propose ses richesses en gage. La fermeture des banques est prolongée jusqu'au 26. - 21: la Banque centrale européenne donne jusqu'au 25 mars à Chypre pour s'accorder avec ses bailleurs sous peine de la priver de liquidités. La crise fait peser un "risque systémique" sur la zone euro, prévient le chef de file des ministres des Finances de la zone euro Jeroen Dijsselbloem. Standard and Poor's dégrade la dette chypriote d'un cran, à CCC. - 22: la chancelière allemande Angela Merkel avertit Chypre de ne "pas abuser de la patience" de la zone euro. Le Parlement vote une restructuration du secteur bancaire, son feu vert ne sera plus nécessaire pour le nouveau plan de sauvetage. - 23: officialisation d'une réunion des ministres des Finances de la zone euro le lendemain à Bruxelles, poursuite de négociations-marathon alors que l'horloge tourne. - 24/25: dans la nuit, accord à Bruxelles sur un nouveau plan de sauvetage après 12 heures d'âpres discussions. Nicos Anastasiades met sa démission en balance. Chypre récoltera 4,2 milliards d'euros en ponctionnant les dépôts supérieurs à 100.000 euros et réduira son secteur bancaire en fermant sa deuxième banque, Popular (Laïki) Bank. En échange les bailleurs (UE, BCE, FMI) apporteront jusqu'à 10 milliards d'euros. L'accord, salué par les marchés, "met fin aux incertitudes concernant Chypre et la zone euro", assure M. Dijsselbloem. Moscou l'étudie. La réouverture des banques le 26 mars reste toutefois incertaine.