Nicos Anastasiades, candidat de la droite semblait avoir remporté dimanche soir l'élection présidentielle dès le 1er tour. C'est à lui que reviendra la tache de négocier un prêt international pour sauver l'économie de l'île. L'Eurogroupe s'est déjà réuni lundi 11 février 2013 sous la présidence du Néerlandais Jeroen Dijsselbloem pour discuter du sauvetage financier de Chypre qui devrait avoir lieu en mars prochain. Mais sauver les banques chypriotes peut vouloir dire renflouer des milliards de capitaux douteux. De quoi déranger les dirigeants européens.
Quel plan d'aide pour Chypre ?
13.02.2013Par Pascal HérardC'est le magazine allemand Der Spiegel qui a lancé le pavé dans la mare en novembre dernier : les services secrets allemands auraient chiffré à 26 milliards d'euros les avoirs russes placés dans les banques chypriotes. Une somme plus importante que le PIB de l'île qui était de 24,6 milliards d'euros en 2011. Cette annonce serait sans doute restée inaperçue si Chypre n'était pas dans une situation financière critique au point d'en appeler à une aide d'urgence de l'Union européenne. Comme l'Islande ou le Portugal l'ont fait en leur temps. La crise bancaire chypriote, additionnée à celle des dettes souveraines, amplifiées par une récession qui perdure, inquiète beaucoup les dirigeants de la zone euro. Pourtant, Chypre ne représente que 0,2% du PIB européen. Oui, mais…
Blanchiment, crise immobilière et banques en perdition
Même si les autorités chypriotes s'en défendent, l'argent en provenance de Russie n'est pas seulement le fruit des affaires légales de riches entrepreneurs russes : une fois passé dans les banques chypriotes, il repart en Russie, puisque Chypre est devenu… le premier investisseur sur le territoire Russe ! A quoi bon faire passer l'argent par Chypre si ce n'est pour le blanchir ?
L'Espagne a d'ailleurs récemment démantelé un réseau de blanchiment de la mafia russe transitant par Chypre. Pour sa défense, face à ces accusations, la petite république argue du fait que les entreprises apprécient son régime fiscal très avantageux. Mais le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Oli Rehn a conditionné l'aide possible de 10 milliards d'euros à venir, à des garanties sur le non-blanchiment de la part de Chypre. Difficile de croire que le commissaire obtiendra gain de cause quand on sait que Chypre est un pur paradis fiscal. La situation financière de Chypre est donc critique, et plus particulièrement celle de ses banques qui sont fortement liées à la Grèce. La dette hellénique a été massivement rachetée par les institutions financières chypriotes qui ont beaucoup perdu lors de la fameuse restructuration de mars 2012, et ces dernières sont aujourd'hui déclarées au bord de la faillite. Henri Sterdyniak, Directeur du Département économie de la mondialisation à
l'Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE) estime que la situation actuelle de Chypre est intenable mais tout à fait logique : "Chypre a créé un système financier hyper développé, ce système financier est alimenté par des fonds dont on pense qu'ils sont d'origine douteuse, puisque Chypre est un paradis fiscal. Il y a donc un système bancaire surdimensionné qui a perdu beaucoup d'argent en ayant investi dans les dettes publiques grecques, avec une bulle immobilière qui a implosé. Le système bancaire est en difficulté, donc les marchés ont spéculé contre la dette publique chypriote, les taux d'intérêts ont grimpé, le pays est rentré en récession, le déficit public s'est creusé et la dette avec…" La boucle est bouclée, mais les solutions de sauvetage par l'eurogroupe semblent plus qu'improbables à mettre en œuvre dans le cas de Chypre.
Sauver l'argent sale ou couler la population ?
Les choix pour sauver Chypre de la faillite bancaire sont cornéliens pour les responsables de la zone euro. Henry Sterdiniak affirme son pessimisme sur le plan de sauvetage envisagé par l'eurogroupe en mars prochain : "Les banques chypriotes n'ont plus de fonds propres, elles ne sont plus capitalisées, elle devraient être fermées. Mais il faut que quelqu'un assume ces pertes. On évalue ces pertes à 8 milliards dues à la restructuration de la dette grecque, ce n'est pas tant que ça, mais à l'échelle d'un pays comme Chypre, c'est presque la moitié du PIB, et quand on sait que les banques représentent au total huit fois le PIB du pays, et bien avec 10% de pertes, c'est 80% du PIB qui manque. On a une histoire de fous et pour en sortir on ne sait pas quoi faire. Quand on a accepté que la Grèce fasse défaut sur sa dette il a été dit qu'on ne le ferait plus par la suite. Et personne n'avait pensé à Chypre. Le problème c'est qu'on doit le faire à nouveau. Enfin, on se pose la question: "est-ce qu'on va le faire ?" Sans restructuration de la dette, comme en Grèce, quelles sont les autres possibilités ? "On peut aller vers une solution à l'islandaise en choisissant de ne pas rembourser une partie des dépôts, en faisant payer les créanciers, donc les gens qui ont placé de l'argent dans les banques chypriotes. Mais du coup, cela fragilise l'union bancaire, puisqu'il a été dit au niveau européen qu'il fallait garantir les dépôts. La troisième solution est de dire, ce n'est pas un problème, on donne 20 milliards à Chypre. Qu'est-ce que c'est, après tout 20 milliards d'euros à l'échelle de l'Union Européenne ? Mais ce sera difficile de faire accepter cela, parce que rembourser l'argent des mafia russes avec l'argent des contribuables européens va faire très mauvais effet. Et puis il sera alors démontré qu'un petit pays peut faire n'importe quoi, et que l'Europe viendra toujours à son secours", résume le spécialiste de l'OFCE.
La bourse ou la contagion !
Selon Henri Sterdyniak, "il y a une résonance entre Chypre et l'Espagne, parce qu'il ne faudrait pas qu'en donnant de l'argent de façon inconsidérée à Chypre, ça n'inspire pas les mêmes demandes chez les Espagnols. Mais les Allemands ne veulent pas devenir la vache à lait de l'Europe. D'un autre côté, si l'on fait payer la crise aux créanciers des banques chypriotes, les créanciers des banques espagnoles vont vouloir sortir de ces mêmes banques, et cela mettra l'Espagne dans une situation encore plus difficile." L'impression générale vis-à-vis du sauvetage de l'économie chypriote est celle de choisir entre des voies toutes sans issue, tant les différentes options semblent mener obligatoirement à des conséquences défavorables. Henri Sterdyniak conclut par une analyse lapidaire qui en dit long sur les choix effectués pour créer cette zone euro qui n'arrête pas de s'écrouler : "avoir choisi de faire entrer dans la zone euro un paradis fiscal comme Chypre, qui n'était pas mûr pour ça, était plus que risqué. Nous en payons les conséquences aujourd'hui." Une information est ressortie de la réunion de l'eurogroupe de lundi 11 février : "la zone euro réfléchit à infliger des pertes aux déposants et aux investisseurs dans les banques chypriotes, afin de limiter le montant du sauvetage". Une décision d'entre-deux qui pourrait à la fois faire fuir les créanciers des banques d'autres pays comme l'Espagne et démontrerait que l'Europe paye toujours, même pour renflouer les banques d'un paradis fiscal abritant l'argent des mafia russes. La zone euro est décidément dans un bien étrange état.
Election présidentielle chypriote
Dimanche 17 février 2013 se tiendra le premier tour de l'élection présidentielle à Chypre. Trois principaux candidats sont en lice : portraits. - Le favori : Nicos Anastasiades, 66 ans, Disy, droite Avocat de formation mais politicien de carrière pro-européen, il est membre fondateur du parti de droite Disy qu'il préside depuis 1997. En 2004, il avait apporté son soutien au plan Annan de réunification de l'île, rejeté par 75,8% des Grecs-chypriotes lors d'un référendum. Il est favorable à un plan d'austérité en contrepartie d'un plan de sauvetage international en cours de finalisation et qu'il a soutenu dès le début. - Le novice : Stavros Malas, 45 ans, indépendant, soutenu par les communistes Titulaire d'un doctorat de génétique, il a fait ses premiers pas en politique en 2011, comme ministre de la Santé du gouvernement à majorité communiste, avant de démissionner un an plus tard pour se lancer dans la campagne présidentielle. Il estime que le plan de sauvetage négocié avec le FMI, l'UE et la Banque centrale européenne doit être "respecté", et s'est dit prêt à envisager des privatisations. - L'ancien ministre : Giorgos Lillikas, 52 ans, indépendant, soutenu par les socialistes Député communiste, élu en 1996 puis en 2001, il a également été ministre du Commerce en 2003. Il avait été un fervent partisan du "non" au référendum sur le plan Annan de réunification de l'île en 2004. Devenu ministre des Affaires étrangères en 2006, il a démissionné en 2007 pour soutenir la campagne de M. Papadopoulos. Concernant la crise économique, il est opposé aux mesures d'austérité telles que les privatisations. Il est partisan d'une approche plus conflictuelle avec la Turquie quant aux négociations pour une réunification de l'île et rejette l'objectif d'une fédération bi-zonale et bi-communautaire, qui sert actuellement de base aux négociations de l'ONU.
L'Europe au chevet de Chypre
L'Europe attend l'élection du prochain précédent chypriote pour discuter en mars du plan de sauvetage international qui bénéficierait à l'île plongée dans une grave crise économique où le taux de chômage a plus que doublé ces deux dernières années pour atteindre 14,7% en 2012. Chypre est en discussions depuis juin avec le Fonds monétaire international, l'Union européenne et la Banque centrale européenne sur ce plan. Le pays estime avoir besoin de 17 milliards d'euros dont 10 milliards pour renflouer les banques. Mais les négociations traînent: les autorités ont adopté ces derniers mois des mesures de rigueur comme la hausse de la TVA, mais refusé de procéder aux privatisations réclamées.