Potion amère pour Chypre. Finalement, Union Européenne et FMI ont adopté samedi 16 mars un plan de sauvetage pour l'économie de l’ile. Il prévoit d'apporter un maximum de 10 milliards d'Euros. En contrepartie, tous les dépôts bancaires seront taxés...
Chypre devient le cinquième pays de la zone euro à bénéficier d'un programme d'aide internationale. Et pour l'occasion, l'île expérimente une mesure nouvelle : la taxation des dépôts bancaires. Le plan adopté à Bruxelles prévoit une aide directe d'un maximum de 10 milliard d'Euros, mais, pour réduire leur participation, les bailleurs de fonds ont demandé à Nicosie d'instaurer une taxe exceptionnelle de 6,75 % sur les dépôts bancaires en-deçà de 100 000 euros et de 9,9 % au-delà de ce seuil. Il y aura aussi une retenue à la source sur les intérêts de ces dépôts. Ces prélèvements devraient rapporter au total 5,8 milliards d'euros. A ces taxes s'ajoutent des privatisations et une hausse de l’impôt sur les sociétés qui passera de 10 à 12,5 %. Chypre demandait depuis juin dernier une aide financière pour l'aider notamment à renflouer ses deux principales banques plombées par la crise grecque. Néanmoins, l'Allemagne s'est montrée réticente, en partie du fait de la mauvaise réputation du système financier chypriote accusé de servir au blanchiment d'argent de la mafia (voir ci-dessous). Finalement Nicosie a accepté de se soumettre à un audit, les premières conclusions sont attendus à la fin mars. Le Président conservateur Nicos Anastasiades doit encore faire accepter ce plan au Parlement. La session prévue dimanche a été reportée. Finalement, il s'exprimera lundi matin devant les députés. Certains médias rapportent qu'il aurait du mal à trouver une majorité. L'annonce de ce plan a semé la consternation chez les Chypriotes dont certains se sont précipités pour retirer de l'argent aux distributeurs automatiques. Certains économistes s’inquiètent de l'impact de ce plan sur l'économie du pays qui repose largement sur les services financiers et commerciaux.
Chypre : le plan de l'eurozone va-t-elle sauver l'argent des mafia russes ?
13.02.2013Par Pascal HérardC'est le magazine allemand Der Spiegel qui a lancé le pavé dans la mare en novembre dernier : les services secrets allemands auraient chiffré à 26 milliards d'euros les avoirs russes placés dans les banques chypriotes. Une somme plus importante que le PIB de l'île qui était de 24,6 milliards d'euros en 2011. Cette annonce serait sans doute restée inaperçue si Chypre n'était pas dans une situation financière critique au point d'en appeler à une aide d'urgence de l'Union européenne. Comme l'Islande ou le Portugal l'ont fait en leur temps. La crise bancaire chypriote, additionnée à celle des dettes souveraines, amplifiées par une récession qui perdure, inquiète beaucoup les dirigeants de la zone euro. Pourtant, Chypre ne représente que 0,2% du PIB européen. Oui, mais…
Blanchiment, crise immobilière et banques en perdition
Même si les autorités chypriotes s'en défendent, l'argent en provenance de Russie n'est pas seulement le fruit des affaires légales de riches entrepreneurs russes : une fois passé dans les banques chypriotes, il repart en Russie, puisque Chypre est devenu… le premier investisseur sur le territoire Russe ! A quoi bon faire passer l'argent par Chypre si ce n'est pour le blanchir ?
L'Espagne a d'ailleurs récemment démantelé un réseau de blanchiment de la mafia russe transitant par Chypre. Pour sa défense, face à ces accusations, la petite république argue du fait que les entreprises apprécient son régime fiscal très avantageux. Mais le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Oli Rehn a conditionné l'aide possible de 10 milliards d'euros à venir, à des garanties sur le non-blanchiment de la part de Chypre. Difficile de croire que le commissaire obtiendra gain de cause quand on sait que Chypre est un pur paradis fiscal. La situation financière de Chypre est donc critique, et plus particulièrement celle de ses banques qui sont fortement liées à la Grèce. La dette hellénique a été massivement rachetée par les institutions financières chypriotes qui ont beaucoup perdu lors de la fameuse restructuration de mars 2012, et ces dernières sont aujourd'hui déclarées au bord de la faillite. Henri Sterdyniak, Directeur du Département économie de la mondialisation à
l'Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE) estime que la situation actuelle de Chypre est intenable mais tout à fait logique : "Chypre a créé un système financier hyper développé, ce système financier est alimenté par des fonds dont on pense qu'ils sont d'origine douteuse, puisque Chypre est un paradis fiscal. Il y a donc un système bancaire surdimensionné qui a perdu beaucoup d'argent en ayant investi dans les dettes publiques grecques, avec une bulle immobilière qui a implosé. Le système bancaire est en difficulté, donc les marchés ont spéculé contre la dette publique chypriote, les taux d'intérêts ont grimpé, le pays est rentré en récession, le déficit public s'est creusé et la dette avec…" La boucle est bouclée, mais les solutions de sauvetage par l'eurogroupe semblent plus qu'improbables à mettre en œuvre dans le cas de Chypre.
Sauver l'argent sale ou couler la population ?
Les choix pour sauver Chypre de la faillite bancaire sont cornéliens pour les responsables de la zone euro. Henry Sterdiniak affirme son pessimisme sur le plan de sauvetage envisagé par l'eurogroupe en mars prochain : "Les banques chypriotes n'ont plus de fonds propres, elles ne sont plus capitalisées, elle devraient être fermées. Mais il faut que quelqu'un assume ces pertes. On évalue ces pertes à 8 milliards dues à la restructuration de la dette grecque, ce n'est pas tant que ça, mais à l'échelle d'un pays comme Chypre, c'est presque la moitié du PIB, et quand on sait que les banques représentent au total huit fois le PIB du pays, et bien avec 10% de pertes, c'est 80% du PIB qui manque. On a une histoire de fous et pour en sortir on ne sait pas quoi faire. Quand on a accepté que la Grèce fasse défaut sur sa dette il a été dit qu'on ne le ferait plus par la suite. Et personne n'avait pensé à Chypre. Le problème c'est qu'on doit le faire à nouveau. Enfin, on se pose la question: "est-ce qu'on va le faire ?" Sans restructuration de la dette, comme en Grèce, quelles sont les autres possibilités ? "On peut aller vers une solution à l'islandaise en choisissant de ne pas rembourser une partie des dépôts, en faisant payer les créanciers, donc les gens qui ont placé de l'argent dans les banques chypriotes. Mais du coup, cela fragilise l'union bancaire, puisqu'il a été dit au niveau européen qu'il fallait garantir les dépôts. La troisième solution est de dire, ce n'est pas un problème, on donne 20 milliards à Chypre. Qu'est-ce que c'est, après tout 20 milliards d'euros à l'échelle de l'Union Européenne ? Mais ce sera difficile de faire accepter cela, parce que rembourser l'argent des mafia russes avec l'argent des contribuables européens va faire très mauvais effet. Et puis il sera alors démontré qu'un petit pays peut faire n'importe quoi, et que l'Europe viendra toujours à son secours", résume le spécialiste de l'OFCE.
La bourse ou la contagion !
Selon Henri Sterdyniak, "il y a une résonance entre Chypre et l'Espagne, parce qu'il ne faudrait pas qu'en donnant de l'argent de façon inconsidérée à Chypre, ça n'inspire pas les mêmes demandes chez les Espagnols. Mais les Allemands ne veulent pas devenir la vache à lait de l'Europe. D'un autre côté, si l'on fait payer la crise aux créanciers des banques chypriotes, les créanciers des banques espagnoles vont vouloir sortir de ces mêmes banques, et cela mettra l'Espagne dans une situation encore plus difficile." L'impression générale vis-à-vis du sauvetage de l'économie chypriote est celle de choisir entre des voies toutes sans issue, tant les différentes options semblent mener obligatoirement à des conséquences défavorables. Henri Sterdyniak conclut par une analyse lapidaire qui en dit long sur les choix effectués pour créer cette zone euro qui n'arrête pas de s'écrouler : "avoir choisi de faire entrer dans la zone euro un paradis fiscal comme Chypre, qui n'était pas mûr pour ça, était plus que risqué. Nous en payons les conséquences aujourd'hui." Une information est ressortie de la réunion de l'eurogroupe de lundi 11 février : "la zone euro réfléchit à infliger des pertes aux déposants et aux investisseurs dans les banques chypriotes, afin de limiter le montant du sauvetage". Une décision d'entre-deux qui pourrait à la fois faire fuir les créanciers des banques d'autres pays comme l'Espagne et démontrerait que l'Europe paye toujours, même pour renflouer les banques d'un paradis fiscal abritant l'argent des mafia russes. La zone euro est décidément dans un bien étrange état.