Cinq questions sur le CETA : un traité funeste ou une chance pour l’Europe ?

L’Assemblée Nationale française a adopté ce 23 juillet la ratification du très controversé CETA, traité commercial entre l’Union européenne et le Canada. L’exécutif et le parti d’Emmanuel Macron sont assez seuls pour le défendre - contre, entre autres, leur ancien ministre emblématique Nicolas Hulot - mais ils disposent de la majorité. Pourquoi ce traité, en discussion depuis près de dix ans, revêt-il une telle importance ? Cinq questions, cinq réponses.

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Manifestation contre le CETA devant le Parlement de Strasbourg, en février 2017.
(AP Photo/Jean-Francois Badias)
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Qu‘est-ce que le CETA ?

À ne pas confondre avec le TAFTA (traité projeté entre les Etats-Unis et l’UE, aujourd’hui en panne), le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) est un traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne destiné à doper le commerce entre ces deux puissances économiques, respectivement 35 et 510 millions d’habitants.

Fruit de sept années de négociations, il a été approuvé en février 2017 par le Parlement européen. Il est déjà appliqué, en théorie provisoirement. Pour être définitivement reconnu, il doit cependant être validé par les 38 assemblées nationales et régionales d'Europe, d'où son examen au Palais-Bourbon mercredi 17 juillet pour un vote finalement repoussé au 23 juillet, puis au Sénat à une date qui n’est pas encore fixée. Treize États dont l'Espagne et le Royaume-Uni l'ont déjà ratifié.
 

Qu’apporte le CETA ?

Supposé accroître les échanges entre les deux ensembles de 25 %, il supprime les droits de douanes de part et d’autre sur 98 % des marchandises, manufacturées comme agricoles. L’accès au marché nord-américain s’en trouvera facilité pour les exportateurs européens et donc français, mais la réciproque est vraie.

Il vise également à simplifier les procédures administratives et unifier les normes respectives des deux parties.

Le CETA permet la reconnaissance au Canada de 143 produits d'origine géographique spécifique (AOP), dont 42 françaises (Roquefort, Saint-Nectaire, pruneaux d'Agen…). Leur appellation y sera désormais protégée. L'agriculture canadienne gagne à l'inverse un accès accru au marché européen.

Les différends seront traités par des juridictions d’exception, hybrides entre justice publique des États et arbitrage privé. Quinze juges-arbitres seront nommés pour des mandats de cinq à dix ans par le Canada et les États européens, avec des mécanismes censés prévenir les conflits d’intérêts.
 

Qui est contre le CETA ?

En France l’immense majorité des partis politiques et de la société civile. Ancien ministre d’État d’Emmanuel Macron, Nicolas Hulot en est un adversaire farouche.

L'un de ses proches, le député ex-LREM (parti macroniste) Mathieu Orphelin demande le report de sa ratification. La Parti Socialiste, qui soutenait le CETA lorsqu’il était au pouvoir, y est aujourd’hui hostile. Il en est de même du Parti Républicain (droite), l’unanimité en moins. À l’extrême-droite, le Rassemblement National le dénonce. EELV (Verts) s’y oppose depuis le début, de même que la France Insoumise et le Parti Communiste.
Alliés inattendus : 7 députés canadiens de gauche de la Chambre des communes du Canada et de l’Assemblée nationale du Québec appellent leurs homologues français à « ne pas ratifier » cet accord, qui représente, selon eux, un danger pour l'agriculture, la santé, et l'environnement.

«  L’accord, écrivent-ils, s’appuie sur un projet de commerce qui donne des droits trop importants aux entreprises, que ce soit en ce qui concerne la protection des investissements, les brevets, la privatisation progressive des services publics, l’harmonisation réglementaire. Sans oublier qu’on ne trouve rien de contraignant en matière de droits du travail ou de protection de l’environnement dans l’accord. Des deux côtés de l’Atlantique, il y aura d’importantes pertes pour les agriculteurs. La gestion de l’offre sera menacée au Canada, alors que les normes agricoles européennes pourraient être réduites sous la pression de l’agro-industrie ».

Les principaux syndicats ouvriers et agricoles rejettent le Traité en l'état, dont le puissant et fort peu gauchiste syndicat d’agriculteurs FNSEA (Fédération Nationale des Exploitants Agricoles) ainsi que la plupart des organisations non gouvernementales impliquées dans l’environnement.

Le soutiennent en revanche les milieux économiques libéraux ou le patronat exportateur. Le principal parti important à soutenir le CETA en France reste la République en Marche d’Emmanuel Macron. C’est assez pour faire passer la ratification et le parti majoritaire, fort de son nombre à l’Assemblée, a toujours jusqu’à présent ignoré les oppositions parlementaires comme celles de la société civile.

Hors de France, une moitié seulement des États de l’Union l’ont à ce jour ratifié. Parmi les réticents explicites, on trouve l’Italie mais aussi la Wallonie. Son Premier ministre socialiste, Paul Magnette en a été dès 2016 un adversaire résolu, parvenant même un moment à bloquer à lui tout seul son application provisoire.
 

Qu’est-il reproché au CETA ?

Venant d’un peu partout, les critiques sont multiples. Elles touchent à la menace concurrentielle, à celle sur l’emploi et surtout sur l’environnement et les normes sanitaires.

Ses adversaires voient dans le CETA un « cheval de Troie », permettant aux entreprises américaines très implantées au Canada d’envahir le marché européen. D’une façon générale, si les grandes entreprises exportatrices de l’Union peuvent gagner à la suppression des droits de douane, les industries et filières fragiles risquent en revanche d’en sortir perdantes.

Les agriculteurs, de leur côté, se sentent menacés. Ils redoutent la concurrence des géants canadiens face à une agriculture française qui demeure largement familiale. Ils s’inquiètent en particulier pour les filières porcine et bovine. Cette dernière, estime la FNSEA serait « particulièrement affectée » par l'entrée sur le marché européen de morceaux nobles ; les produits canadiens sont « en deçà de nos standards ». Et de citer l'autorisation au Canada de « la culture d'OGM, les rations à base de farines animales et d'antibiotiques activateurs de croissante, (...) ainsi que l'utilisation, en routine, de 46 substances phytosanitaires strictement interdites en Europe ».

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Bovins au paturage en Auvergne. La crainte de la concurrence de l'élevage intensif canadien et de ses normes sanitaires.
(Photo Lola Loscos)

Après la crise de la « vache folle » des années 1995, l’UE a en effet interdit non seulement les farines animales d’origine bovine mais aussi celles issues de volailles et de porcs. Or, ces deux dernières sont autorisées au Canada et le bétail ainsi nourri pourra donc désormais entrer en Europe.

Le Canada autorise également l’utilisation d’« antibiotiques de croissance ». Et si l'importation dans l’UE de bœuf traité aux hormones ou de porc dopé à la ractopamine reste interdite, le contrôle, comme l’ont montré des scandales récents, pourrait être difficile.

Une fois n’est pas coutume, en tout cas, les réticences du monde agricole rejoignent le combat des défenseurs de l’environnement. Un sujet, remarquent-ils, qui n’occupe que treize pages sur les 1596 du traité.

Outre l’inquiétude de voir les normes en la matière tirées vers le bas, ces derniers pointent le coût écologique du développement de ces échanges trans-continentaux, à rebours des engagements de la COP21 et de la recherche de « circuits courts ». « La mondialisation débridée emporte l'Europe dans une vague d'accords de commerce incompatibles avec la lutte contre le dérèglement climatique, la préservation de la biodiversité, la justice sociale, une alimentation saine et un élevage de qualité qui permette aux producteurs de vivre dignement de leur travail », écrit Nicolas Hulot dans une tribune.

Enfin, la procédure d’arbitrage du CETA – applicable après adoption définitive du traité - soulève de vives critiques car elle crée une nouvelle juridiction contraire aux souverainetés nationales. Elle peut permettre à des entreprises d’attaquer des normes environnementales, sociales ou sanitaires au motif qu’elles faussent la concurrence et lèsent leurs intérêts, ainsi que l’a fait récemment au Québec, une société gazière, mécontente d’une interdiction d’exploiter du gaz de schiste.
 

Que répondent les défenseurs du Traité ?

Ils soulignent ses effets bénéfiques tout en relativisant sa portée. S’appuyant sur les deux années écoulées d’application provisoire, ils font valoir que l’excédent commercial de la France avec le Canada s’est renforcé. Un mouvement, en réalité qui l’avait précédé. L’ouverture au bœuf canadien s’est traduite par une augmentation très minime de son importation en Europe (elle est cependant progressive, étalée sur sept ans).

Sur le plan environnemental, le développement des échanges aura un faible impact et l’accroissement du trafic transatlantique, affirment les partisans du CETA, sera compensée par la diminution identique du trafic routier européen.

D’une façon générale, plaident-ils, la rigueur des normes de l'UE  et l’exigence de ses consommateurs incitera les Canadiens à améliorer leur niveau en la matière. Le traité aura donc un effet vertueux sur la planète.

Sur la question de l’arbitrage, les autorités françaises ont révélé tout récemment l’adjonction au Traité d’une clause de « veto climatique » qui empêcherait d’attaquer une mesure environnementale édictée par un État. Ce dernier dispositif, cependant, reste encore obscur. Soumis au consensus des parties, il semble davantage devoir éclairer les futurs juges que d’empêcher la procédure.

Le Traité, au demeurant, n’est pas amendable puisque le Parlement européen l’a déjà adopté. Seuls certains de ses mécanismes ou interprétations peuvent être retouchés à la marge. En grande partie pour contourner ou calmer les oppositions.

Car, l’acceptation des 38 parlements étant requise, la route du CETA est encore longue, chaotique et incertaine, tant le débat a pris un caractère symbolique qui dépasse l’enjeu économique assez modeste des échanges entre l’Europe et le Canada. « C’est un choix entre deux mondes, entre deux avenirs », résume Nicolas Hulot.