Bakounine naît en 1814 dans la province de Tver au sud est de Saint Petersbourg, alors capitale de l’Empire russe, au sein d’une famille de petits nobles, de ceux qui seront dépossédés, de fait, de leurs prérogatives après l’abolition du servage en 1865, et qui donneront naissance à une génération de déclassés, prêts à grossir les rangs des Narodniki, ceux qui allaient au peuple, plus commodément appelés les populistes, révolutionnaires du XIXème siècle russe, parfois terroristes, souvent emprisonnés, déportés en Sibérie ou exilés, avides de tout changer, du pouvoir politique, aux rapports économiques, en passant par la famille ou la sexualité. Bakounine est leur aîné, mais de peu, et il passera lui aussi par tous ces désirs, sans toujours les assumer.
Triangle amoureux
Il a 11 ans lorsqu’éclate la révolte des Décembristes (ou décabristes), première tentative de briser l’absolutisme du Tsar et de sa cour, fomentée par de jeunes nobles, déjà. Il a 18 ans quand il décide d’abandonner la carrière de fonctionnaire ou de militaire à laquelle il était « naturellement » destiné… Il part pour Moscou, intègre l’université où il rencontre Alexandre Herzen, l’un des « pères » du mouvement révolutionnaire russe. Le philosophe et romancier publiera le premier des romans cultes de cette jeunesse en attente : « Qui est coupable ? », question consubstantielle à l’histoire de la Russie, indissociable de « Que faire ? », posée par l’autre « père », Nicolaï Tchernychevsky. Dans ces deux livres, les deux penseurs proposent une révolution totale, passant entre autres par un nouvel arrangement matrimonial, le triangle amoureux – toujours deux hommes, une femme – qu’eux mêmes mettront en pratique, tout comme Bakounine. L’idée soutenant cette nouvelle figure géométrique étant qu’on ne peut penser (écrire, créer, inventer, commercer, diriger, etc) si l’on s’adonne aux batifolages sexuels ou quotidiens du mariage. Tchernychevsky et Bakounine furent donc tout heureux de laisser leurs épousées folâtrer avec des amants de passage. Celle de Bakounine s’appelait Antonia Kviatowska, elle était fille d’un exilé polonais, relégué à Tomsk, au cœur de la Sibérie occidentale, un choix en harmonie avec l’épisode qui avait conduit le futur anarchiste en cette relégation septentrionale…