Environnement

Comment la forêt québécoise peut-elle résister au réchauffement climatique ?

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FORET Québec

Vue aérienne de la fôret Mont Orford au Québec.

AP
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Le premier septembre, le Forestier en chef du Québec, Louis Pelletier, a remis au gouvernement québécois un rapport qui recommande d’enclencher rapidement une réflexion pour préparer les forêts de la province au réchauffement climatique. Il y a urgence, estime le Forestier en chef, surtout après ce terrible été où un million et demi d’hectares sont partis en fumée dans des feux d’une ampleur exceptionnelle.

Des feux de forêt, il y en a chaque été dans les forêts du nord du Québec mais cette année, ils ont été d’une ampleur inégalée avec un potentiel destructeur exceptionnel, puisqu’en plus d’avoir dévasté des forêts entières, ils ont menacé des municipalités qui ont dû être évacuées par leurs habitants pendant des semaines.

«Les feux de forêt, c'est naturel, il y en a toujours eu et il va toujours en avoir en forêt boréale, cela fait partie de la dynamique naturelle des forêts, et c’est même bon d'avoir une certaine proportion de feu, souligne Christian Messier, professeur en aménagement forestier et biodiversité de l’Université du Québec en Outaouais et membre du Centre d’Études sur la Forêt.

"Ce qui est différent, cette année, c'est la quantité, l'ampleur des feux, c'est du jamais vu. On s’est retrouvé avec des incendies qui sont sortis de leur zone naturelle et qui ont brûlé des forêts mal adaptées au feu. Cela a été un signal d’alarme parmi tant d'autres, comme les insectes et les maladies exotiques qu'on a de plus en plus, ici et en Europe, le dernier c'est l’agrile du frêne, mais avant on avait la maladie corticale du hêtre, on avait la maladie hollandaise de l'orme, pis là y a un petit insecte qui s'en vient, qui va tuer toutes nos pruches. Sans oublier les sécheresses importantes que l’on nous prédit. On se retrouve donc avec des perturbations de toutes sortes, d'ampleur inégalée et qui font que la forêt qu'on a actuellement, même la forêt naturelle, est de moins en moins adaptée à ces conditions-là", estime Louis Pelletier.

LOUIS PELLETIER FORESTIER EN CHEF

 Louis Pelletier est le Forestier en chef du Québec.

Capture AFPTV

Louis Pelletier est le Forestier en chef du Québec. Le Forestier en chef a pour mission principale de déterminer les possibilités forestières des forêts publiques du Québec.

On s’est retrouvé avec des incendies qui sont sortis de leur zone naturelle et qui ont brûlé des forêts mal adaptées au feu.

Louis Pelletier, Forestier en chef du Québec.

 

Foret boréale Québec

Image de la forêt boréale au Québec dans la vallée de la rivière Broadback?

Capture AFPTV

Le Forestier en chef du Québec, Louis Pelletier, abonde : « Vous voyez, nous voyons que le climat change. Le climat d'aujourd'hui n'est pas celui d'hier, le climat d'aujourd'hui ne sera pas celui de demain. Les feux de cet été au Québec ont attaqué les forêts publiques du Québec d’une façon exceptionnelle, et même celles au nord du 50ème parallèle. Dans le million et demi d’hectares qui a brûlé, il y en a un million sur lequel il y a de l'aménagement forestier et sur lequel nous intervenons ».

Il va falloir adapter nos forêts aux changements climatiques, aux insectes, aux maladies.

Christian Messier, professeur en aménagement forestier et biodiversité.

Louis Pelletier estime que cette année exceptionnelle soulève de nombreuses interrogations, qu’il énumère dans son rapport remis au gouvernement : "Est-ce que nos pratiques d'aménagement forestier, qu'on utilise depuis de nombreuses années, sont toujours à propos pour faire face aux défis du futur, au climat du futur ? Il faut se poser la question pour chacune des régions forestières du Québec. Sinon, qu'est-ce qu'on doit faire pour les améliorer ? Et est-ce qu’il y a des nouvelles pratiques qui peuvent être introduites pour assurer la pérennité de notre ressource dans le climat de demain ?"

"Comment établir une nouvelle vision de notre foresterie ? Quelle est la forêt de demain que nous désirons ? Quels sont les moyens à prendre pour y parvenir ? On voit que l'augmentation de la température en 2100 est constante, mais la capacité d'adaptation de nos forêts est moins importante que les changements climatiques Voilà pourquoi j’ai rédigé ce rapport dans lequel je conseille à la ministre d'amorcer rapidement une réflexion profonde sur notre aménagement forestier".

Québec insect

Au Québec, les épidémies d'insectes s'attaquent aux arbres.

Capture AFPTV

 

Des questions que les spécialistes posent depuis plusieurs années déjà, fait valoir Christian Messier, Professeur en aménagement forestier et biodiversité. "Nous, les scientifiques, ça fait au moins une dizaine d'années, qu'on dit, qu’on écrit, qu'on répète qu’il va falloir adapter nos forêts aux changements climatiques, aux insectes, aux maladies. Il faut transformer nos façons de faire de la foresterie, je pense même que la foresterie pourrait devenir un outil puissant pour adapter nos forêts aux changements qui sont nécessaires pour lutter contre les changements climatiques", estime l'universitaire.

La diversification des espèces, la solution à mettre en place rapidement

Pour Christian Messier, le premier geste à poser rapidement, c’est de diversifier les espèces dans les forêts québécoises : "Il faut tout d’abord évaluer au niveau régional quelle est la vulnérabilité des forêts actuellement : est-ce que les espèces sont bien adaptées au feu ? Est-ce qu’elles sont adaptées à la sécheresse ? Est-ce qu’elles sont bien adaptées à une dizaine, une quinzaine de maladies qui risquent d’arriver ? Et une fois qu'on a fait ce diagnostic-là, se poser la question : est-ce qu'on ne devrait pas commencer à augmenter le nombre d'espèces avec lesquelles on reboise pour essayer d'augmenter la résilience de nos forêts ? Puisque la science est très claire là-dessus : la meilleure arme pour faire face à toutes ces perturbations, c'est la diversité, donc favoriser une diversité d'arbres qui ont des caractéristiques différentes".

Christian Messier poursuit : "Il faut favoriser une panoplie d'espèces qui vont être capable de répondre positivement à une panoplie de perturbations et de cette façon-là, on va avoir des forêts qui vont être capable de récupérer après n'importe quelle perturbation. Cette année on a eu des feux. Et l'erreur qu'on devrait éviter, c'est de seulement planter des espèces adaptées au feu ou qui résistent au feu. La prochaine perturbation, ça peut être des insectes, ça peut être la sécheresse, ça peut être des vents très violents comme on a eu de plus en plus et donc il faut une diversité d'espèces : je pense que c'est l'approche qu'on doit utiliser dans le futur".

Mais attention, nuance le spécialiste, cette diversification, il faut la faire de façon intelligente : "ça veut dire qu'il faut vraiment évaluer les caractéristiques écologiques des espèces et là, c'est une nouvelle approche en science qui s'est développée depuis une dizaine d'années. On parle de diversité fonctionnelle. Ce n'est pas seulement la diversité des espèces qui est importante, parce qu'on peut avoir une forêt avec cinq, six espèces, mais qui ont à peu près toutes les mêmes caractéristiques écologiques, donc qui vont être affectées de la même façon par les mêmes perturbations. Donc, il faut vraiment caractériser les espèces pour avoir une diversité de fonctions, c'est ce que je préconise".

D’autres mesures à envisager

Le Forestier en chef du Québec estime de son côté que la diversification des espèces est effectivement une solution à prendre en considération attentivement mais qu’il y en a d’autres : "Il y a aussi de maintenir un accès au territoire le plus possible, bien sûr, notamment un réseau routier fonctionnel et opérationnel, tant pour aménager nos forêts que pour récupérer les bois qui seront en perdition à la suite d’une perturbation naturelle. Est-ce qu'on peut introduire des espèces plus résilientes comme le pin gris, une essence qui se régénère bien après un feu ? Est-ce qu'on peut avoir une introduction de feuillus pour agir de coupe-feu ? On peut faire aussi une migration assistée vers le nord d'essences qui sont plus adaptées au sud. Il y a plein de gestes comme ça qui peuvent être mis à contribution pour contrer les changements climatiques. Tous ces outils devront être mis en commun pour déterminer quelle forêt on veut avoir pour demain et il faudra les adapter en fonction de chacune des régions du Québec, parce que chacune a sa particularité climatique, de sol, d'essence..."

Mais surtout… une nouvelle loi

Christian Messier parle carrément d’un « Plan Marshall » pour les forêts du Québec : "Il faut modifier totalement notre approche de la foresterie, parce qu'il faut savoir qu’aujourd'hui, quand on coupe des forêts, la loi nous force à planter les mêmes espèces ou les mêmes types d'espèces qu'on a coupées. Donc, la loi nous force à maintenir les forêts comme elles étaient avant, sans se soucier de d'adaptation. Et c'est ça qu'il faut changer, c'est ce que le Forestier en chef demande au gouvernement, de changer la loi pour que les forêts puissent être transformées, avec des nouvelles espèces".

Cette nouvelle loi, c’est la principale recommandation du Forestier en chef : "Dans mon rapport, je recommande de réviser les cadres légaux et réglementaires pour mettre en place les changements. Parce qu’une fois qu’on aura fait cette réflexion globale sur notre aménagement, avec la réalité de chacune des régions, qu'on va statuer ou s'entendre pour développer puis déployer un aménagement forestier qui va être adapté aux défis du futur, il va falloir se donner les moyens, les outils, donc réviser les cadres légaux et réglementaires pour mettre en place les changements requis".

Christian Messier croit que les acteurs de l’industrie forestière sont prêts à ce changement : "Cela fait deux ans que je rencontre les grandes compagnies forestières au Canada, j'ai rencontré à peu près tous les départements qui touchent à la foresterie au Canada pour leur expliquer cette approche de la diversification des espèces, et tout le monde semble être d'accord pour dire que c'est une approche à privilégier. D'ailleurs, je viens d'avoir une subvention de recherche financée par les gouvernements, l'industrie et le conseil de recherches du Canada, huit millions de dollars sur cinq ans, pour tester cette nouvelle approche. Parce que je pense qu'on est rendu là, les forestiers s’en rendent compte : on doit changer notre façon de faire les choses, on doit diversifier la forêt et on attend après le gouvernement pour changer la loi, parce que même si les compagnies voulaient faire ça, ça serait illégal de le faire. Donc on doit absolument avoir un changement au niveau de la réglementation".

La balle est dans le camp du gouvernement québécois

Clairement, la balle est maintenant dans le camp du gouvernement québécois, plus spécifiquement Maïté Blanchette Vézina, ministre des Ressources naturelles et des Forêts, pour lancer ce processus de réflexion et décider qui y participera, puis pour rédiger une nouvelle loi sur l’exploitation des forêts publiques de la province afin d’appliquer les mesures qui vont permettre d’adapter ces forêts aux changements climatiques.

"Ce n’est pas une loi qui va se faire du jour au lendemain", estime Christian Messier. "C’est une grosse remise en question, car dans le développement de la foresterie, le principe a toujours été de maintenir la forêt le plus naturel possible. C’était le principe de la dernière loi, adoptée en 2010 et appliquée en 2013, essayer de garder les forêts les plus naturelles possible, comme elles étaient avant. Mais là, avec les changements climatiques, ce n'est plus possible. Les gouvernements ne sont pas habitués à changer les lois comme ça tous les dix ans, habituellement, ils font ça tous les 25, 30 ans. Mais je pense que c'est absolument nécessaire de faire une révision en profondeur, j'ai espoir que ça va arriver".

C’est ce qu’il va aller plaider devant la ministre courant octobre. Le Forestier en chef du Québec, lui, l’a déjà fait.