Fil d'Ariane
L'espionnage et la surveillance de masse des populations par leurs gouvernements ont de beaux jours devant eux avec les technologies développées par l'entreprise chinoise Semptian. Des technologies revendues par une "société vitrine" (appartenant au même dirigeant) : iNext. Semptian — créée en 2003 — a en effet réussi à développer des systèmes d'écoutes, d'espionnage et de censure, tant matériels que logiciels, à des échelles, qui — jusque là — semblaient encore difficilement atteignables. Le magazine en ligne The Intercept (créé par les journalistes Greenwald et Poitras ayant révélé l'affaire Snowden) vient de dévoiler la plateforme mise en place par Semptian à la demande du gouvernement chinois : des matériels et logiciels permettant de suivre à la trace 200 millions de citoyens chinois connectés, d'aspirer les mails, textos ou toute autre donnée de leurs terminaux informatiques . Ce nombre de 200 millions a été donné aux journalistes de The Intercept par un employé de l'entreprise.
Dans de nombreux cas, il semble que le système puisse collecter l'intégralité du contenu d'une communication, telle que l'enregistrement audio d'un appel téléphonique ou le corps écrit d'un message texte (…)
Extrait de l'article de The Intercept, par Ryan Gallagher : "How U.S tech giants are helping to build China's surveillance state" — "Comment les géants américains de la technologie aident la Chine à créer une société de surveillance".
Les capacités de traitements informatiques massifs de cette infrastructure ont été possibles grâce à la collaboration d'au moins deux entreprises américaines de technologie de pointe : Xilinx et IBM. Et potentiellement Google…
Avec le savoir-faire de Google en matière de machine learning — particulièrement dans le développement de logiciels prédictifs — la firme californienne pourrait donc être impliquée dans la conception d'Aegis. Contactés par The Intercept, aucun des responsables de Google n'a souhaité répondre.
La fondation OpenPower ne s'implique pas et ne cherche pas à être informé des stratégies, objectifs ou activités individuelles de ses membres.
Communiqué de la fondation OpenPower à propos de la participation de ses membres aux systèmes de surveillance de Semptian
Les matériels utilisés par Semptian ne peuvent pas parvenir à traiter en temps réel les données de 200 millions d'utilisateurs s'ils sont équipés de processeurs standards. C'est pourquoi l'entreprise chinoise est en partenariat avec Xilinx, une firme américaine spécialiste de l'assemblage de semi-conducteurs depuis 1984. Les cartes "d'accélération processeurs" des matériels de surveillance de Semptian sont donc des des cartes… Xilinx. Cette entreprise n'a pas non plus souhaité répondre aux questions de The Intercept.
Restent les responsables d'OpenPower et d'IBM. Pour les premiers, un communiqué de la fondation a déclaré que celle-ci "ne s'implique pas et ne cherche pas à être informé des stratégies, objectifs ou activités individuels de ses membres". Quant à IBM, un porte-parole de la firme a fait savoir que sa société "n'a pas travaillé avec Semptian sur le développement de technologies conjointes", mais a refusé de répondre à d'autres questions.
Aegis a été vendu à d'autres pays que la Chine, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et couvre l'ensemble de chaque pays concerné.Un employé de Semptian, répondant par mail à un journaliste de The Intercept
Semptian a développé trois autres systèmes d'espionnage et de surveillance, en plus d'Aegis : Owlet (interceptions des communications GSM pour les téléphones mobiles), HawkEye (reconnaissance faciale), et Falcon (Un "IMSI Catcher" et traqueur de mobile : une "valise" permettant de suivre des usagers à la trace et d'espionner leurs conversations en se faisant passer pour une antenne-relai 2G/3G/4G).
Tous ces outils sont vendus à des gouvernements, principalement à des services de sécurité gouvernementaux au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, comme un journaliste se l'est fait confirmer par courrier électronique, alors qu'il prétendait être un client potentiel : "Le système de surveillance de masse Aegis a été vendu à d'autres pays que la Chine" écrivait alors l'employé de Semptian, qui a confirmé au journaliste qu'"Aegis couvre l'ensemble [de la population] de chaque pays concerné". L'employé a malgré tout refusé de citer les pays concernés, arguant que, "le système [Aegis] étant extrêmement sensible, nous sommes soumis à un accord très strict de confidentialité sans divulgation".
La surveillance numérique de masse à l'échelle d'une nation est connue depuis 2011 avec les révélations des affaires Amesys et Qosmos. Ces deux entreprises françaises ont vendu des systèmes similaires à celui de Semptian, respectivement à la Libye de Khadafi et la Syrie d'Assad. Tous étaient basés sur le "Deep Packet Inspection" ou DPI : une technologie française conçue à l'origine au sein d'un projet universitaire lancé par trois professeurs de l’Université Pierre et Marie Curie, en 2000. Amesys est poursuivie pour complicité de torture après que son système de surveillance "à l'échelle d'une nation" eut été découvert en Libye, quand Qosmos est elle soupçonnée d'avoir vendu sa "solution DPI" à Bachar El Assad…
Etrangement, si ces deux pays — comme leurs voisins dans la région — n'ont aucune législation pour restreindre ce type de technologies "d'inspection du contenu des communications", il n'en est pas de même en Chine : L'article 66 de la "Régulation de télécommunications de la République populaire de Chine", promulguée en 2000, stipule que : "La liberté et la vie privée des utilisateurs légaux des télécommunications sont protégées par la loi. Aucune organisation ou personne ne peut inspecter le contenu des communications pour n'importe quelle raison."
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