Comment réagir face à l'effondrement du nombre d'animaux sauvages en 50 ans ?

Dans son dernier rapport, le Fonds mondial pour la nature (WWF) indique que la planète a perdu en moyenne près de 70% de ses populations d'animaux sauvages en une cinquantaine d'années. Le lien entre perte de biodiversité et réchauffement climatique est aussi de plus en plus observé. Entretien avec Yann Laurans, directeur de la biodiversité terrestre au WWF France.

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Tortues LUTH
95% des tortues Luth qui se trouvent dans le détroit du fleuve Maroni à la frontière entre la Guyane et le Suriname ont disparu.
WWF
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TV5MONDE : Dans ce rapport, vous pointez une "baisse dévastatrice" des populations de vertébrés (poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles) au travers d’un indice, l’IPV (Indice Planète Vivante). Celui-ci est passé de 68% à 69% en deux ans. Un écart "colossal" a commenté Arnaud Gauffier, le directeur des programmes au WWF France. Pouvez-vous nous expliquer comment cet indice a été construit ? 

Yann Laurans, directeur de la biodiversité à WWF France : L'indice Planète Vivante rend compte de l'abondance sur la planète des individus des populations sauvages. À la différence de la "liste rouge" des espèces qui, elle, renseigne seulement sur les disparitions. Là, on parle du nombre d'individus. Cet indice est établi à base d'observations, qui renseigne de la taille d'une population pour une espèce donnée.

Vous pouvez d'ailleurs en établir un chez vous. Par exemple, en sortant de votre maison, vous observez le nombre d'hirondelles de fenêtre que vous voyez. Vous notez ce chiffre et dix ans plus tard vous refaites la même chose et vous comparez les deux tailles de population. C'est ce que nous on a fait, mais à l'échelle de 5000 espèces et pour lesquelles on a réalisé 32 000 observations. 

Un IPV à 69% signifie donc que 69% de la population d'animaux sauvages vertébrés a disparu, ici entre 1970 et 2018.

Avec une augmentation de 1,5 degrés, on perd 95% des coraux des zones inter-tropicales. Avec deux degrés en plus, on en perd 99%. Il n'y en aura donc plus du tout. Yann Laurans, directeur de la biodiversité à WWF France

TV5MONDE : La revue scientifique Nature avait remis en cause cet indice dans une étude publiée en 2020. Après avoir eux-mêmes examiné 14 000 populations de vertébrés depuis 1970, ils en avaient conclu que seul 1% étaient victimes d'un déclin extrême et que si on les enlevait de l'équation, l'ensemble des populations restantes ne montrait aucune tendance à la hausse ou à la baisse. Qu’en pensez-vous ? 

Yann Laurans : C'est en partie vrai et en partie faux. L'indice IPV est une moyenne et peut donc être significativement modifié par des extrêmes. Cependant, nous maintenons que cette moyenne donne une image fidèle de ce qui se passe mondialement. Il y a bien un effondrement du nombre d'animaux. Il suffit pour cela de se rendre compte ne serait-ce qu'en France, de la réduction du nombre d'hirondelles. C'est facile à vérifier.

Deuxième chose, nous avons augmenté de 30% cette année le nombre d'observations, de manière à avoir un thermomètre plus précis. Le passage de 68% à 69% confirme de fait cette tendance à l'effondrement, à partir d'encore plus de données.

TV5MONDE : ​ Vous observez que la hausse de la température globale moyenne entraîne déjà « des phénomènes de mortalité massive, ainsi que les premières extinctions d’espèces ». La crise climatique et la crise de la biodiversité ne seraient donc au final que « les deux faces d'une même pièce ». Le lien n’était-il pas déjà établi ? 

Yann Laurans : C'était clair déjà avant mais la nouveauté ici c'est que le changement climatique commence à avoir des impacts d'autant plus significatifs que d'autres facteurs déjà connus comme le changement d'usage des sols ou la surexploitation des ressources.

Non pas que ces deux facteurs diminuent mais le changement climatique, lui, s'accélère. Les effets sont de plus en plus perceptibles chaque mois. Il y a de plus en plus de tempêtes, de sécheresses, d'inondations... C'est ce qui fait que c'est en train de monter dans la hiérarchie des causes de la chute de la biodiversité. 

Avec une augmentation de 1,5 degrés, on perd 95% des coraux des zones inter-tropicales. Avec deux degrés en plus, on en perd 99%. Il n'y en aura donc plus du tout. Tout ce qu'on peut encore voir depuis la mer Rouge jusqu'aux Seychelles en passant par les côtes du Sri Lanka , tout cela sera mort. 

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TV5MONDE : ​ Quelles sont les autres espèces en sursis ? 

Yann Laurans : On peut donner l'exemple de la tortue luth. C'est la plus grande des tortues. On constate aujourd'hui que sa population s'est considérablement dégradée. On pense qu'on a perdu 95% de la population qui se trouve dans le détroit du fleuve Maroni à la frontière entre la Guyane et le Surinam.

La température de l'eau et du sable joue un rôle capital dans la reproduction de cette espèce. Quand l'eau et le sable sont plus chauds, les rares bébés tortues qui naissent -ils sont dix fois moins nombreux qu'il y a 20 ans- sont presque toutes des femelles. 
Le "sex-ratio" mâle femme est alors perturbé. Il y a donc une baisse de la reproduction, en plus des répercussions de la pêche accidentelle. 

TV5MONDE : "Chaque année, nous perdons environ 10 millions d'hectares de forêts, soit une superficie équivalente à celle du Portugal". La déforestation entraine la destruction des habitats naturels, notamment afin d'étendre les terres agricoles. En 2022, l'agriculture reste l'une des principales causes de destruction des habitats naturels alors que la production des produits agricoles est excédentaire à l'échelle mondiale ?

Yann Laurans : Ces cultures que l'on étend et qui détruisent les habitats des animaux sauvages ont pour vocation principale à nourrir du bétail. Le bétail représente aujourd'hui dix fois la population des animaux vertébrés sauvages. Ces nouvelles cultures sont majoritairement du soja et du maïs. 

Ce constat pointe directement l'excès de produits animaux dans notre alimentation. De viande bien sûr mais aussi de lait. On en mange trop pour notre santé et pour la biodiversité. Par ailleurs, quand on pense à la déforestation, on pense à la déforestation tropicale alors qu'on détruit aussi près de chez nous, des zones humides, des prairies, et ce pour les mêmes raisons.

On pourrait ne plus voir de rhinocéros d'ici 15 ans en Afrique au rythme actuel, notamment à cause du braconnage. Yann Laurans, directeur de la biodiversité à WWF France

TV5MONDE : C’est en Amérique latine qu’il y a le plus grand déclin régional de l’abondance de la biodiversité. Pourquoi ? 

Yann Laurans : C'est précisément en Amérique latine que le phénomène d'extension des terres agricoles a le plus progressé. Or, la forêt tropicale est un réservoir de biodiversité incroyable. Sur un hectare de forêt tropicale, on trouve à peu près 400 essences d'arbres différentes, tandis que sur une forêt tempérée, on en trouve en moyenne autour de 40. 

Ce n'est d'ailleurs pas seulement l'Amazonie qui est touchée mais l'ensemble des écosystèmes d'Amérique latine comme les savanes broussailleuses que l'on appelle les cerrados. Elles sont grignotées à toute vitesse en raison de l'extension de cultures d'élevage mais aussi de biocarburants. 

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TV5MONDE :  En Afrique, l'indice "Planète Vivante" évalue la perte à 66% en moyenne...

Yann Laurans : La dégradation de la biodiversité en Afrique est elle aussi causée par les changements d'utilisation du sol. Mais c'est aussi la dégradation de la forêt qui explique ces 66%. On pourrait ne plus voir de rhinocéros d'ici 15 ans au rythme actuel, notamment à cause du braconnage.

La surexploitation des ressources est aussi très forte en Afrique notamment en raison du marché du bois qui part pour l'exportation. Il s'agit de bois précieux mais aussi de bois de chauffage. Tous ces facteurs se conjuguent pour expliquer les effondrements qu'on observe en Afrique. 

TV5MONDE : Que répondez-vous à ceux qui pensent qu'un message catastrophiste invite plus à l'inaction et au désespoir qu'à une prise d'initiative?

Yann Laurans : On entend cette critique mais il y a une différence entre la biodiversité et le climat. La biodiversité relève d'une problématique plus locale. On peut observer des victoires plus rapidement. Ce n'est pas forcément une révolution planétaire qu'il faudrait mettre en oeuvre. Si on laisse la nature se régénérer, que l'on baisse la pression, la nature se restaure assez rapidement. 

Par exemple, dernièrement, les effectifs des tigres remontent. Ceci s'explique en partie par les programmes de conservation. Même s'ils ont beaucoup disparu, ils sont aujourd'hui 5000 à peu près dans le monde. Ils étaient près de 100 000 il y a 100 ans. 

Le gorille des montagnes aussi, dont s'occupe la primatologue Jane Goodall, est en remontée. Ils sont près de 1000 individus aujourd'hui alors qu'ils étaient seulement 400 en 2010. Il ne faut pas donc désespérer, parce que c'est possible. Il ne s'agit pas ici d'un problème technique mais d'un problème de volonté politique.