Fil d'Ariane
La question de l'avenir de Wagner est posée après la mort de son chef Evguéni Prigojine. La Russie a tout intérêt à ce que continuent les activités protéiformes du groupe en Afrique, un de ses principaux champs d'opération, estiment les experts.
Des supporters du Capitaine Ibrahim Traore paradent avec un drapeau russe dans les rues de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 2 octobre 2022.
La Russie a sous-traité depuis 2014 à Wagner une partie de son action en Afrique. Sécuritaire avec le déploiement de combattants aux côtés des armées nationales en Libye, puis en Centrafrique et au Mali, politique avec des campagnes de désinformation et de déstabilisation, mais aussi commerciales avec l'exploitation de ressources minières.
Le Kremlin n’a aucun intérêt que cela cesse, estiment les analystes. Avec ou sans Wagner, "la Russie veut conserver ses intérêts économiques et sécuritaires en Afrique, c’est un objectif prioritaire", estime Rama Yade, directrice Afrique du groupe de réflexion américain Atlantic Council.
Parmi les dernières images d'Evguéni Prigojine vivant figurent celles diffusées lundi où, en tenue de camouflage avec un fusil d'assaut, il disait se trouver en Afrique et travailler à la grandeur de la Russie. C'étaient sa première apparition face caméra depuis son éphémère rébellion contre le Kremlin en juin.
Avant la disparition d'Evguéni Prigojine, de son bras droit Dmitri Outkine et d'autres responsables de Wagner dans le crash mystérieux de leur avion mercredi, le think-tank new-yorkais Soufan Center sondait déjà les conséquences de la mutinerie. "Il est presque certain que Wagner, ou une entité similaire sous un nouveau nom, va continuer à mettre en œuvre la même stratégie, identifier des États fragiles auxquels apporter un appui sécuritaire, au sens large, en échange de l’accès aux ressources minières".
Wagner était soutenu financièrement par l’État russe, mais en retour "c’était aussi une entreprise lucrative pour Moscou", disait-il. L'Afrique est le théâtre d'une âpre bataille stratégique entre puissances et le Kremlin y dispose d'autres vecteurs d'influence que Wagner : ambassades, acteurs économiques, chaînes de télévision, églises orthodoxes...
Wagner est le véhicule du néocolonialisme russe et il n'y a pas de raison que cela s'arrête.
Joseph Bendouga, opposant centrafricain
"Les succès de Wagner en Afrique sont aussi relativement soutenus par d’autres réseaux russes", rappelle Lou Osborn, membres de l’ONG All Eyes On Wagner, co-auteur d’un livre sur le sujet qui doit sortir en septembre. "Wagner est le véhicule du néocolonialisme russe et il n'y a pas de raison que cela s'arrête", dit l'opposant centrafricain Joseph Bendounga.
Le président Vladimir Poutine lui-même a récemment admis que le Kremlin n’avait pas une compréhension totale du système complexe mis en place par Evgueni Prigojine.
Soufan Center
Reprendre en main une organisation aussi complexe, qui a tissé autant de réseaux, s’annonce ardu. "Le Kremlin n’a aucune intention d’abandonner les activités initiées par Prigojine en Afrique, mais le transfert de ces opérations vers un successeur sera une affaire délicate", estime Peter Rough, analyste au Hudson Institute. "Le président Vladimir Poutine lui-même a récemment admis que le Kremlin n’avait pas une compréhension totale du système complexe mis en place par Evgueni Prigojine", notait le Soufan Center.
"Remplacer le personnel de Wagner en Afrique nécessite de trouver de nouveaux candidats disposant de suffisamment de réseaux et d’expérience", abonde John Lechner, chercheur indépendant et auteur d’un livre à paraître sur Wagner. Dans un pays comme la Centrafrique, où le groupe n’a cessé de gagner en influence depuis son arrivée en 2017 jusqu’à soutenir l’organisation d’un référendum constitutionnel en juillet, "il est très probable que certaines figures clefs de l’organisation conservent leurs postes", prédit-il.
La figure d'Evguéni Prigojine à elle seule laisse un vide. "Il y aura sûrement beaucoup de personnalités qui chercheront à exprimer leur volonté de s’occuper de ces activités difficiles, à condition d’avoir un financement approprié, mais elles seront sûrement inférieures à Prigojine, par leur ampleur et par leur importance", pointe Denis Korotkov, journaliste russe d’investigation.
L'enjeu peut être considérable pour certains partenaires africains de Wagner. Les détracteurs de sa présence en Afrique, comme la France ou les Etats-Unis, l'accusent de servir d'assurance-vie à des régimes comme les militaires au pouvoir au Mali. Pour les gouvernements africains qui ont besoin d’une alternative aux partenaires occidentaux, "Wagner reste l’unique option disponible", assure John Lechner. Les autorités de transition maliennes n'ont jamais admis avoir recouru aux services de Wagner. Elles n'ont pas réagi à la mort de son chef.
Fidèle Gouandjika, en revanche, ne se dit guère inquiet pour l'avenir. Ce ministre conseiller spécial du président centrafricain Faustin Archange Touadéra, arborant des insignes du groupe sur son tee-shirt, assure que la disparition d'Evguéni Prigojine "ne changera rien ici sur le terrain". "Nous avons un accord de défense avec la Fédération de Russie et c'est dans le cadre de cet accord que la fédération de Russie a sous-traité avec les paramilitaires de Wagner", dit-il.