L'armée russe vient d'annoncer un renforcement de ses infrastructures militaires dans l'océan Arctique. Moscou compte développer l'exploitation commerciale du dangereux passage maritime du Nord-Est. La fonte des glaces ouvre peu à peu ce nouveau raccourci stratégique entre l'Europe et l'Asie, convoité par de nombreux autres pays.
L'événement a eu lieu l'été dernier. En juillet 2017, le navire commercial russe "
Christophe de Margerie", affrété par Total, traverse l'océan Arctique. Pour la première fois, un méthanier transportant du gaz naturel liquéfié emprunte ce passage par le Nord-Est, le long de la Sibérie, habituellement pris par les glaces, sans être escorté par un brise-glace. Le navire en question est, en l'occurence, équipé pour fendre lui-même la glace de cette région hostile. Mais l'événement marque peut-être le début de l'exploitation régulière d'une route maritime très convoitée.
Avec le réchauffement climatique et la fonte des glaces, ce passage s'ouvre peu à peu. D'ici à 2030, il pourrait devenir une voie navigable comme les autres à certaines périodes de l'année. Un long corridor de 5 700 km de long qui permettrait de relier l'océan Atlantique et l'océan Pacifique, devenant le chemin le plus court entre l'Europe et l'Asie, faisant gagner plus de 10 jours de navigation aux navires commerciaux, promettant aux armateurs privés des gains de temps et de carburant considérables.
Selon l'Institut Arctique, une organisation indépendante à but non lucratif basée à Washington, l'emprise de la glace s'est réduite de 40% depuis les premières observations satellites en 1979. Alors qu'aujourd'hui, 90% des échanges mondiaux transitent par la mer, l'importance de trouver de nouvelles routes se fait sentir. Voilà pourquoi la région devient stratégique.
Moscou revendique sa souveraineté
Principal pays concerné : la Russie. Il y a quelques jours, le 3 novembre 2017, l'armée russe a annoncé le renforcement de ses infrastructures militaires dans l'Arctique et prévoit d'y déployer de nouveaux systèmes de défense antiaérienne. Selon Moscou, toutes les îles russes dans cet océan sont désormais capable d'accueillir "
tout types d'avions, en toute saison".
En 2015, la Russie avait revendiqué sa souveraineté devant les Nations Unies sur 1,2 million de km². Un peu plus tôt, le 2 août 2007, Moscou avait envoyé une équipe de scientifiques planter un drapeau russe en titane au fond de l'eau, à la verticale du pôle Nord, par 4 261 mètres de fonds. Selon le droit international, cette région du globe n'appartient pourtant à aucun pays et est administrée par l'Autorité internationale des fonds marins, sous l'égide de l'ONU.
Pour le pays, s'assurer le contrôle de cette nouvelle voie navigable simplifiera sensiblement la livraison de gaz et de pétrole vers l'Asie du Sud-Est. Plus globablement, une large partie des échanges commerciaux par voie maritime pourrait désormais emprunter ce chemin.
Le changement climatique fournit des conditions plus favorablesVladimir Poutine, président russe
En mars 2017, Vladimir Poutine lui-même vantait les mérites de l'ouverture de ce passage, se félicitant des effets du dérèglement du climat : "
Le changement climatique fournit des conditions plus favorables pour développer le potentiel économique de cette région, avait affirmé le président russe lors du Forum sur l'Arctique organisé dans un grand port du nord du pays.
Si ces tendances se poursuivent, imaginez ce qui va se passer. Actuellement, le long de la voie du Nord, 1,4 million de tonnes de marchandises sont transportées par cargo ; en 2035, ce chiffre sera de 30 millions. Cela vous donne une idée de la croissance dont je parle."
Dispute géostratégique
Le problème est que la Russie n'est pas seule à convoiter l'utilisation de l'Arctique. Fin septembre, par exemple, un cargo chinois est arrivé au Danemark après avoir, lui aussi, traversé l'Arctique. Une "route glacée de la soie" que Pékin compte développer. Le pays cherche à installer un port dans le nord-ouest de la Russie, près d'Arkhangelsk.
La zone est en réalité au coeur d'une dispute géostratégique. Tous les pays qui entourent le pôle ont des vues, non seulement sur les routes maritimes, mais aussi sur les hydrocarbures que renferment le sous-sol Arctique. Canada et Russie contrôlent les trois quarts du littoral mais les Etats-Unis, le Danemark, l'Islande et la Norvège possèdent aussi certaines zones de la région. Ces nations veulent leur part des importantes réserves en hydrocarbures et même en minerais que renfermerait le sous-sol de l'océan Arctique. Au Groenland, par exemple, le sous-sol contiendrait l'équivalent de 25% des réserves mondiales de "terres rares", aujourd'hui quasi monopole de la Chine. Une course à l'extension du territoire le plus au nord possible est donc lancée.
La mutation de la région du pôle Nord est déjà depuis plusieurs années au menu de discussions internationales. Les pays limitrophes sont regroupés au sein du Conseil Arctique. Et d'autres nations montrent leur intérêt : en 2012, six nouveaux membres ont adhéré en tant qu'observateurs : l'Italie, l'Union européenne, la Corée du Sud, le Japon, Singapour, l'Inde et la Chine.
Risques majeurs pour l'environnement
L'opportunité de l'ouverture de cette route maritime suscite malgré tout quelques scepticismes. Les spécialistes rappellent qu'aucun scénario climatique ne prévoit la disparition totale des glaces en hiver dans l'Arctique. Difficile donc d'assurer à un navire commercial l'absence d'iceberg sur son trajet. Les compagnies d'assurance se montreront toujours réticentes à prendre en charge un tel parcours, semé d'embûches glacées et mouvantes, même s'il coûte moins cher à l'armateur.
Par ailleurs, les risques pour l'environnement sont majeurs. La perspective d'une marée noire dans les eaux froides de l'océan Arctique est un scénario catastrophe. Les opérations d'urgence et de nettoyage seraient particulièrement complexes du fait du climat de la région et de l'éloignement des infrastructures et des équipes de secours.