Compétitivité : la survie des plus aptes

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Compétitivité : la survie des plus aptes
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En France, à la faveur du rapport Gallois, le débat politique tourne autour de la compétitivité. Si le mot est martelé par l’opposition de droite depuis l'élection de François Hollande, la gauche est plus réticente à l'employer. La « compétitivité » est-elle la solution miracle à la crise et aux effets pervers de la mondialisation ? Que se cache-t-il réellement derrière ce leitmotiv sportif ? Explications.
Compétitivité : la survie des plus aptes
«Nous allons convaincre le président Hollande et le gouvernement socialiste qu’il est absolument indispensable qu’il accepte enfin d’admettre que la compétitivité de la France est un objectif majeur» affirmait le président de l’UMP Jean-François Copé cet été, alors que le tour de France battait son plein. Un leitmotiv repris depuis mainte fois, et pas seulement par l'UMP. On imaginait déjà chaque pays sur son vélo de course, l’Allemagne en maillot jaune et la Grèce en sueur sur sa bécane usée, suivie de près par la voiture balais. C’est sûr, la compète, ça parle. Mais en économie, ça veut dire quoi ?   A l’origine, la notion de compétitivité s’applique exclusivement aux entreprises. Elle désigne la différence des prix de revient de produits comparables entre les entreprises. Deux entreprises se battent pour des parts de marché au détriment l’une de l’autre, et leur compétitivité se mesure en fonction de leurs coûts - en capital, en travail, en impôts etc. Entre deux entreprises, tout autre facteur constant, la plus compétitive sera donc celle dont la main d’œuvre est la plus flexible et la moins chère.
Compétitivité : la survie des plus aptes
Le prix Nobel d'économie 2008 Paul Krugman
La concurrence des nations
Face à la mondialisation, la logique a imposé qu’on pense le monde comme un tissu d’entreprises, qui sont autant de régions et de nations concurrentes. A cet égard, le prix Nobel (2008) d’économie Paul Krugman s’interroge . «Ne serait-ce pas un tant soit peu utile d’envisager les Etats-Unis sous la forme d’une Amérique S.A., qui se doit d’être compétitive sur le marché mondial ? Non.»   L’économiste propose un exemple simple : «on dit qu’un dirigeant d’entreprise réussit quand il accroît ses profits en supprimant des postes. Et bien, c’est plus ou moins ce qui se passe en Amérique depuis peu : l’emploi est au plus bas, mais les profits atteignent de nouveaux records. Qui, au juste, considère cela comme un succès économique ?» Tout se passe comme si l’on considérait que les intérêts des entreprises correspondaient aux intérêts de la nation qui les héberge. Or «ils sont maintenant plus éloignés que jamais» nous dit Paul Krugman.
Compétitivité : la survie des plus aptes
Herbert Spencer, le père de l'évolutionnisme en économie.
Si c’est bon pour l’entreprise, c’est bon pour tout le monde   L’idée selon laquelle la logique entrepreneuriale s’applique aussi bien aux nations qu'aux individus n’est pas nouvelle. Elle est l’héritage direct des théories évolutionnistes de l’un des fondateurs du libéralisme, Herbert Spencer. Le philosophe anglais du XIXème siècle opère une extension du principe de la division du travail à l’ensemble des réalités physiques, biologiques, et humaines, et il en fait un principe de la marche universelle de la matière et de la vie elle-même. On connaissait le "conflit père de toute chose", Spencer impose la concurrence comme principe vital. Partant de cette idée, il réinterprète la théorie darwinienne de la sélection naturelle à sa manière et l’intègre dans sa synthèse évolutionniste.   Ce parallèle le conduit tout droit à une déformation profonde de la théorie de la sélection, dans la mesure où ce n'est plus l’héritage sélectif des caractères les plus adaptés à la survie de l’espèce qui importent, mais la lutte directe entre races et entre classes qui était interprétée en termes biologiques. D’où l’assimilation de la concurrence économique à une lutte vitale générale, qu’il faut laisser se développer pour ne pas arrêter l’évolution. Ce naturalisme extrême a fait passer la conception du moteur du progrès de la spécialisation à la sélection. Entendez par sélection, la « survie des plus aptes » (survival of the fittest). 
L’évolutionnisme spencérien conclut abruptement que le progrès de la société et, plus largement, de l’humanité, suppose la destruction de certaines de ses composantes. Une idée sur laquelle s'est largement appuyé le néolibéralisme, alors même que l’évolutionnisme biologique a été abandonné depuis longtemps. Et c’est bien dans l’idée de compétitivité, intrinsèquement liée à celle de concurrence, que se joue aujourd’hui l’évolutionnisme spencérien. Malheur aux vaincus de la compétition économique ! 
Compétitivité : la survie des plus aptes
Joseph Stiglitz est le président de la “Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social“
Une autre compétitivité   Investir publiquement dans le soutien à l'innovation, dans une éducation de qualité, sont autant de facteurs qui pourront réconcilier les intérêts de nations et ceux de leurs entreprises. Au contraire, sacrifier certaines règles de protection de l'environnement ou des salariés risque de voir se creuser le fossé entre les nations et les entrepreneurs au profit, de court terme, des seconds. 
En fait, la compétitivité est avant tout une affaire de facteurs. Reste à accepter que ceux qui alimentent la compétitivité d’une entreprise ne sont pas les mêmes qui enrichissent une nation. La commission Stiglitz , du nom de son président, le prix Nobel d’économie (2001) Joseph Stiglitz, a élaboré de nouveaux indicateurs de richesse, avec l'appui de l'OCDE qui tente aujourd'hui de les développer et de les appliquer. A cet égard, un territoire, un pays, peut être compétitif en mettant en avant les énergies renouvelables, l’accès à la culture, la qualité des services publics, le respect des personnes… Ces facteurs qui renouvellent la manière dont on évalue le bien-être peuvent être des soutiens actifs de nouvelles formes de concurrence entre les entreprises. En effet, le recours au travail des enfants, la contribution à la pollution sont autant de "décotes" pour la compétitivité de certaines entreprises alors même que leurs coûts sont très compétitifs. Ils inscrivent un renouvellement de la pensée de la concurrence et la nécessité de "voir plus loin" que les simples profits à court terme. Une revanche finalement, des théories Darwinistes pour lequel la prévalence d’ « instincts sociaux » capables de neutraliser les aspects éliminatoires de la sélection naturelle, et le sentiment de « sympathie » était appelé à s’étendre indéfiniment.
Compétitivité : la survie des plus aptes