Conférence de Lugano : une reconstruction ukrainienne sous conditions

La conférence de Lugano sur la reconstruction de l'Ukraine vient de s'achever ce mardi 5 juillet. Ukrainiens et pays occidentaux se sont accordés sur les principes généraux  de la future reconstruction du pays. Les besoins de l'Ukraine sont aujourd'hui estimés à 750 milliards de dollars.  
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Conférence de Lugano
Les participants à la réunion de reconstruction de l'Ukraine en Suisse posent pour une photo de famille avant de se réunir pour élaborer un "plan Marshall" pour reconstruire le pays déchiré par la guerre.
AFP
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Durant deux jours les responsables ukrainiens et leurs alliés ont négocié les contours de la future reconstruction du pays. Selon l'AFP, un nouveau fonds d'un montant de 100 milliards de dollars aurait été mis sur la table par la Banque européenne d'investissement (BEI). Le Royaume-Uni et la Suisse viennent d'annoncer également de nouvelles aides bilatérales. La Suisse promet ainsi une aide de 100 millions de francs suisse d'ici fin 2023. Ces aides restent conditionnées par les donnateurs occidentaux. L'Ukraine s'engage ainsi à lutter contre la corruption, engager des réformes économiques et sociales et "décentraliser" le processus de reconstruction. 

Le Premier ministre Ukrainien Denys Chmygal accompagné du président du parlement Rouslan Stefantchouk et d’une délégation d’une centaine de personnes étaient présents autour de la table. Le président ukrainienVolodymyr Zelensky était  lui présent en vidéo-conférence.

Côté européen la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen était accompagnée du premier ministre Tchèque, Petr Fiala, dont le pays vient de prendre la présidence de l'Union pour six mois. Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, dont le pays accueille de loin le plus grand nombre de déplacés ukrainiens, avait également fait le déplacement.
 

Lugano n’est pas une simple conférence de donateurs.

Des investissements massifs devront être réalisés. Mais pour maximiser leur impact et favoriser la confiance des entreprises, ils devront être associés à une nouvelle vague de réformes.
Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission européenne.

La conférence de Lugano était planifiée bien avant la guerre. Initialement cette conférence devait porter sur les réformes nécessaires en Ukraine et notamment la lutte contre la corruption. L’ancien État soviétique a longtemps été classé parmi les pays les plus corrompus du monde par l'ONG Transparency International. Les conférences annuelles qui se sont succédés à Londres en 2017, à Copenhague en 2018, à Toronto en 2019 et à Vilnius en 2021 avaient, entre autres, pour objectif de traiter ce sujet.

Cette année les bouleversements dus à la guerre ont largement modifié l’ordre du jour. La reconstruction s’est imposée comme la thématique principale de la conférence.
Pourtant, cette fois encore les Européens ont profité de l’événement pour insister sur les réformes nécessaires aux institutions Ukrainiennes. Pour eux, la conférence de Lugano était l’occasion de conduire l’Ukraine sur le chemin de l’adhésion. 

Dans un discours prononcée devant la Chambre parlementaire Ukrainienne ce vendredi 1er juillet, Ursula Von Der Leyen a déclaré : "L’Ukraine a désormais une perspective européenne claire et est candidate à l’adhésion à l’Union européenne. […] Des investissements massifs devront être réalisés. Mais pour maximiser leur impact et favoriser la confiance des entreprises, ils devront être associés à une nouvelle vague de réformes".

La conférence de Lugano fut donc l’occasion de clarifier ces réformes voulues par la Commission. Les donateurs occidentaux ont insisté sur un point, l’argent de la reconstruction ne sera pas sans contrepartie.

Cette conférence n’est qu’une première étape et d’autres sommets doivent permettre de suivre la reconstruction et les réformes en Ukraine. Londres et Berlin se sont déjà porté volontaires pour accueillir les conférences de 2023 et 2024.

D’ici là, l’Ukraine s’engage à lutter avec détermination contre la corruption endémique, à favoriser l’État de Droit et à reconstruire en tenant compte de l’environnement. La reconstruction doit également être décentralisée. Par exemple, des institutions européennes comme des hôpitaux ou des universités sont appelées à s’allier avec des institutions similaires du côté ukrainien pour soutenir leur reconstruction. Le message est donc clair, la reconstruction ukrainienne sera structurelle ou ne sera pas. 

Vers un nouveau Plan Marshall ? 

[La reconstruction] signifie une reconstruction massive, bien sûr cela signifie un financement énorme et des investissements colossaux

Volodymyr Zelensky, président Ukrainien. 

Pour l’heure cependant l’urgence semble à la mobilisation de fonds. Lors de son intervention le Président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est montré aussi clair qu’insistant : « Reconstruire l’Ukraine signifie restaurer les principes de la vie, restaurer l’espace de la vie, restaurer ce qui rend les gens « humain ». Bien sûr cela signifie une reconstruction massive, bien sûr cela signifie un financement énorme et des investissements colossaux ».

La Kyiv School of Economics (KSE) évalue les dommages causés jusqu'à présent aux bâtiments et aux infrastructures Ukrainiennes à près de 104 milliards de dollars américains. Le Premier ministre ukrainien estime quant à lui à 750 milliards le cout total de la reconstruction. 

Pour faire face à ces besoins urgents les alliés de l’Ukraine s’organisent. En Mai dernier le Congrès Américain a débloqué une enveloppe de 40 milliards de Dollars en faveur de l’Ukraine. Dans un document récemment publié, la Banque européenne d’investissement (BEI) rappelle avoir débloqué 4.7 milliards d’euros depuis le début du conflit pour soutenir les besoins du pays en liquidité. Selon certaines sources relayées par l’AFP, la création d’un nouveau fonds d’un montant de 100 milliards de Dollars supplémentaire serait envisagé. 

 La ministre britannique des Affaires étrangères Elizabeth Truss a profité de la conférence pour présenter un nouveau programme de soutien à la reconstruction de Kiev et de sa banlieue. Genève annonce églement doubler son aide à l’Ukraine pour atteindre 100 millions de francs d’ici 2023. 

Pour qualifier cette mobilisation massive de fonds internationaux à destination de l'Ukraine, le Chancelier Allemand Olaf Scholz et le Président du Conseil européen Charles Michel n'hésitent pas à parler de "plan Marshall". Une référence au programme d’investissement massif lancé par les Etats Unis en 1947 pour soutenir la reconstruction d’une Europe détruite après la seconde guerre mondiale. Le Plan Marshall avait alors atteint les 13.35 milliards de dollars de l’époque (soit l’équivalent de 160 milliards de dollars américains aujourd’hui). 

Cette fois encore les montants sont importants, mais ils peinent à faire oublier qu'à l'est de l'Ukraine les combats continuent.

Penser à l’après-guerre durant la guerre  


À Boutcha, ville-martyre dans la banlieue de la capitale ukrainienne on recommence progressivement à planter des fleurs au pied des immeubles.  "Tout le monde est revenu, commence à réparer les maisons, beaucoup posent de nouvelles fenêtres" explique Vera Semeniouk, 65 ans. Mais personne n’ose encore parler de reconstruction alors que l’issue des combats est si incertaine. "Ce serait terrible si ça recommençait et qu'il faille à nouveau tout quitter". 

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Aujourd’hui encore les combats restent intenses dans l’est du pays. L'Etat-major des forces armées Ukrainiennes a annoncé dimanche soir son retrait de la ville de Lyssytchansk, dernier bastion tenu par les Ukrainiens dans la région de Lougansk.

Cet important bassin industriel du Donbass, largement russophone est en parti contrôlé par des séparatistes pro russes depuis 2014. Les autorités ukrainiennes appellent désormais les habitants à quitter la région tandis que les armées russes concentrent leurs efforts sur les villes de Sloviansk et Kramatorsk plus à l’ouest.

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Selon l’état-major Ukrainien "l'effort principal de l'ennemi [...] vise à un débordement progressif" des forces sur cet axe, preuve s’il en faut que la guerre est loin d’être terminée.