Fil d'Ariane
Eric Fournier, ancien ambassadeur de France en Géorgie : L'un de mes souvenirs les plus frappants en Géorgie, c’est évidemment l’émotion que tout le monde a ressenti lorsque la guerre s’est déclarée le 7 août 2008. Quand un conflit de cette envergure démarre, c’est assez prenant, assez saisissant. Et je suis surtout heureux que l’on ait réussi à mener une négociation dans les jours qui ont suivis pour calmer ce conflit qui n’a duré que cinq jours.
Patrice Paoli, directeur du Centre de crise et de soutien et ancien ambassadeur de France à Beyrouth : Quand j’étais en poste au Caire, j’ai traité des dossiers de mères dont les enfants avaient été enlevés par leur père et dont il fallait obtenir la restitution à leur mère. Ce sont les rares cas qui font que l'on ne parvient pas à trouver le sommeil. On imagine le diplomate dans la réflexion politique, mais parfois nous sommes confrontés à des situations extrêmement douloureuses. Elles m'ont énormément touché.
Jean-Marc Grosgurin, ambassadeur de France au Yémen. Pays qu'il a dû quitter en février 2015 pour se replier à Djeddah : Le plus récent souvenir, ce sont les 48h de préparation au départ que j'ai vécu en février dernier. Il y a avait un vide politique au Yémen, on était dans une situation de déliquescence de la chaîne sécuritaire, nous avions un niveau de menace élevé avec un ciblage particulier sur la France et le personnel de l’Ambassade. Ces trois facteurs réunis nous ont fait quitter le pays à la suite de nos collègues américains et britanniques. En 48h, nous avons dû détruire les équipements sensibles, les documents confidentiels...Cela a été un travail sans relâche. (...) Nous couchions sur des matelas de fortune dans l'ambassade. La toute dernière soirée, nous avons fait quelque chose de "festif"pour décompresser car c’était vraiment nécessaire : des agents de sécurité ont même pris une guitare… C’est important de se ménager des moments de cohésion comme cela dans une telle situation.
La journée du 7 janvier a été une journée terrible pour moi. J’ai appelé cela les "condoléances croisées"
Jean-Marc Grosgurin
Les autres souvenirs marquants se sont déroulés le 6 et le 7 janvier derniers. Le 6 janvier, j’avais rendez-vous avec le ministre de l’Intérieur et mon convoi a été coincé par des manifestants. Je n’ai jamais pu repartir, j'ai dû être exiltré dans une autre voiture de police yéménite, non blindée. Le lendemain, le 7 janvier, à la même heure se produisait un attentat qui a fait une quarantaine de morts. Les manifestants étaient des manifestants d’Ansar Allah et l’attentat avait été revendiqué par Al-Qaïda. Cela s'est passé le 7 janvier au matin.
Le 7 janvier dans l’après-midi se produisait la tragédie de Charlie Hebdo. Cette journée du 7 janvier a donc été pour moi une journée terrible. J’ai appelé cela les "condoléances croisées" car les autorités yéménites de l’époque m’offraient leur condoléances pour l’attentat de Charlie Hebdo et moi, en retour, je leur offrais les miennes.
La deuxième expérience, c’était lors de l'éruption du volcan islandais en 2010 (qui avait perturbé le trafic aérien mondial durant plusieurs jours, ndlr). J’étais ambassadeur à Kuala-Lumpur à l'époque et 300 Français sont restés bloqués en Malaisie. Donc il a fallu organiser leur assistance, c'est-à-dire parler aux autorités malaisiennes et à la compagnie aérienne malaisienne pour les persuader de mettre en place un système pour renvoyer les gens chez eux. Il y a eu beaucoup de désorganisation à ce moment là car les Malaisiens n’étaient pas habitués à ce genre de problème. A l'aéroport de Kuala-Lumpur, l'ambassade de France était la seule a être représentée, nous avions même ouvert un guichet. Finalement, grâce à notre action, chacun à pu rentrer chez lui.
Patrice Paoli, directeur du Centre de crise et de soutien et ancien ambassadeur de France à Beyrouth : La fonction évolue, sans évoluer. Beaucoup de choses restent les mêmes : l’économie dans la diplomatie, la culture. C’est un métier passionnant car il nous met en contact avec l’autre. Nous devons établir une relation de confiance, être capable de parler à tout le monde sans rompre le dialogue. L’ambassadeur est quelqu’un capable de s’adapter. La question n’est pas de savoir s’il fait ou s’il ne fait pas, mais comment il fait pour remplir toutes les missions. Il est une sorte de caméléon.
Marc Baréty, ambassadeur de France en Irak : La fonction d’ambassadeur possède à la fois une permanence et un changement. La permanente c’est la représentation des intérêts français, la défense et la protection de nos ressortissants, la promotion de nos intérêts, l’observation politique, la préservation de la sécurité… Et puis, il y a des missions qui sont relativement nouvelles comme la diplomatie économique qui est chère au ministre Laurent Fabius. Les ambassades exerçaient déjà une action économique, mais aujourd’hui, cette action est déterminée et guidée.
Ce qui est nouveau également, c'est le fait de vivre dans un monde où l’action se passe immédiatement, nous sommes dans le temps réel
Marc Baréty
Ce qui est nouveau également, c'est le fait de vivre dans un monde où l’action se passe immédiatement, nous sommes dans le temps réel, à la fois dans le contact avec nos interlocuteurs et dans la communication via les réseaux sociaux et Internet. Tout va très vite. Lors de catastrophes naturelles ou d'attaques terroristes, vous voyez cela immédiatement sur votre écran. Il y a trente ans, cela n'avait rien à voir. Aujourd'hui, la gestion d’urgence est aussi devenue une composante essentielle de notre métier.
En images : TV5MONDE à la rencontre des ambassadeurs et du public :