Un effet du confinement ? Les éditeurs francophones n'ont jamais reçu autant de manuscrits, à tel point que la prestigieuse maison française Gallimard a publié un avis sur son site internet priant les aspirants auteurs de ne pas envoyer leurs écrits. Un constat qu’on fait également des éditeurs suisses et canadiens qui ajoutent que quantité ne rime pas forcément avec qualité.
Plus de 40% de textes nouveaux à relire depuis le début de la crise sanitaire. L'Harmattan, maison fondée par Denis Pryen et Robert Ageneau en 1975, reçoit des centaines d'écrits supplémentaires chaque semaine d'une qualité trés inégale. Parfois, une même personne soumet jusqu’à sept ébauches du même texte !
On ne s’invente pas écrivain. Les manuscrits reçus étaient d’une qualité excessivement moyenne.
Xavier Pryen, directeur général de l'Harmattan au micro de France Inter.
L’éditeur accepte désormais les manuscrits numériques, afin de faciliter le télétravail "On ne s’invente pas écrivain. Même s’il y a eu quelques pépites… Les manuscrits reçus étaient d’une qualité excessivement moyenne", confiait Xavier Pryen le directeur général de la maison d'édition à nos confrères de la radio France Inter.
"Prière de ne pas envoyer de manuscrits"
L'Harmattan accepte encore l'envoi des manuscrits. La prestigieuse maison d'édition française Gallimard a décidé de dire non. Ainsi sur la page
"contact" de son site, l'éditeur demande aux prétendants écrivains de cesser d'envoyer leur manuscrit.
Les quelque 30 manuscrits par jour ouvré reçus à son siège rue Gaston-Gallimard sont en effet passé à 50, depuis près d'un an. Les responsables de collection ne peuvent plus suivre le rythme. "Nous tenons à accorder la même attention à tous les manuscrits que nous recevons et nous répondons à tous les envois. C'est un travail considérable qui demande de la minutie et de la disponibilité d'esprit. C'est pour toutes ces raisons que nous avons demandé de suspendre, tout à fait momentanément, l'envoi des manuscrits", expliquait Gabrielle Lécrivain, éditrice, à l'Agence France Presse.
Nous tenons à accorder la même attention à tous les manuscrits que nous recevons. C'est pour toutes ces raisons que nous avons demandé de suspendre, tout à fait momentanément, l'envoi des manuscrits.
Gabrielle Lécrivain, éditrice chez Gallimard, à l'Agence France Presse.
Chez Grasset on ne veut pas freiner les ardeurs littéraires des apprentis romanciers.
"Nous, on ne coupe pas le robinet. Nous avons des programmes ultra chargés, et nous ne pouvons quasiment rien prendre qui vient de la Poste: un ou deux titres par an. Mais j'ai vu ce message de Gallimard avec étonnement", expliquait Juliette Joste de chez Grasset auprès de l'AFP. Grasset a reçu plus de 1.000 manuscrits à la mi-mars. En 2018,année record, l'éditeur en avait reçu plus de 5000.
Les nouveaux auteurs s'auto-éditent
Face à l'embouteillage devant les maisons d'éditions, les auteurs néophytes se tournent vers l’auto-édition. Cela consiste pour un auteur à prendre lui-même en charge la publication de ses ouvrages, sans passer par l'intermédiaire d'une maison d'édition classique.
Charlotte Allibert, directrice générale est co-fondatrice de la maison Librinova. Sa maison aide les auteurs dans leur projet d'auto-édition. "
En 2020, nous avons auto-publié 40% de livres de plus qu’en 2019, et jusqu’à 90% de plus au mois d’avril. C’est là que nous voyons vraiment l’impact énorme du premier confinement", expliquait-elle au micro de
France cultureCharlotte Allibert explique aussi ce phénomène par les circonstances psychologiques du moment :
"Pour écrire et publier, il faut avoir l’esprit libre. Donc, les périodes de stress, au début du confinement par exemple, n’étaient pas des moments où les gens se consacraient à l’écriture. En revanche, au moment où ils étaient prêts, par exemple au mois d’avril, ils se sont lancés."Un tsunami qui touche aussi la Suisse
Cette envie d'écrire atteint également les Suisses francophones. Dix grandes maisons d’édition romandes ont constaté une augmentation sans précédent dans l’arrivage de manuscrits.
S'il n'y pas de statistiques précises à ce sujet, certaines maisons d'édition romandes estiment avoir reçu 30% de manuscrits supplémentaires depuis mars 2020. Certaines ont vu le nombre de manuscrits tripler. Ivan Slatkine, directeur des Editions Slatkine, resume bien le sentiment des maisons d'éditions romandes.
"J'ai presque envie de vous parler d'un tsunami qu'on est en train de constater en ce début d'année. On reçoit beaucoup de journaux du Covid", décrit l'éditeur interrogé par nos confrères de la
Radio télévision suisse romande.
Comme leurs homologues français, les éditeurs suisses estiment que la qualité n’est pas souvent au rendez-vous ! Une grande partie de ces manuscrits ne se verront ainsi pas publiés.
"Cela peut être intéressant d'écrire sur le coup mais je préfère les textes qui émergent d'une situation. Et la qualité des textes écrits sur le coup n'est pas souvent au rendez-vous", confiait
Jean Richard, responsable des Editions d'En bas auprès de nos confrères de la RTS.
Les Québécois ont eu plus de temps pour écrire
Les Canadiens francophones avec cette pandémie ont eu du temps pour lire et pour écrire. Là aussi, les éditeurs francophones n'ont jamais reçu autant de manuscrits
Stéphane Cormier éditeur chez la maison d'édition Prise de parole confirmait cette impression auprès de nos confrères franco-ontariens d'
ONFR+.
"C’est une année où on a reçu quand même beaucoup de propositions alors ça peut indiquer que des gens ont profité du contexte de la pandémie pour se mettre à l’ouvrage ou finir un manuscrit qui était en chantier", confiait l'éditeur.
En attendant, le
salon international du livre de Québec, prévu initialement du 7 au 11 avril, a dû être reporté à une date ultérieure pour cause de pandémie.