Conflit au Proche-Orient : Joe Biden est-il en train de perdre l'aile gauche des démocrates à un an de la Présidentielle ?

Le conflit au Proche Orient entre Israël et le Hamas fracture une parti de l'opinion publique aux États-Unis. Une partie du camp démocrate reproche à la Maison blanche une politique jugée trop proche d'Israël. À un an tout juste de l'élection présidentielle, la réélection de Joe Biden à la Maison-Blanche est-elle menacée par l'aile gauche de son parti ? Pour l'heure, l'état-major démocrate semble assez serein. Nous avons interrogé Jean-Éric Branaa, biographe de Joe Biden.

 

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Biden à la Maison-Blanche

À tout juste un an de la Présidentielle, au pic de l'automne, Joe Biden arpente les jardins de la Maison-Blanche à Washington

AP Photo | Susan Walsh
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Ce mercredi 15 novembre 2023, dans la soirée, ils portaient des T-shirts noirs sur lesquels apparaissait l'inscription au pochoir et en lettres blanches, du slogan "Cease Fire Now" (Cessez-le-feu maintenant). C'est leur mot d'ordre. Des dizaines de manifestants pro-palestiniens se sont violemment opposés à la police de Washington. Postés devant le siège du parti démocrate, leur présence a entrainé la fermeture des bureaux du Congrès américain situé à proximité.

Encore très marqués par l'assaut du Capitole du 6 janvier 2021, certains élus démocrates présents dans le bâtiment public ont d'ailleurs eu quelques inquiétudes. "Merci aux policiers qui les en ont empêchés et qui nous ont aidés, moi et mes collègues, à sortir sains et saufs," a écrit l'élu californien, Brad Sherman sur X.

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Sean Casten, élu démocrate de l'lllinois a lui, reproché aux manifestants d'avoir "bloqué toutes les entrées d'un bâtiment où se trouvaient plusieurs membres du Congrès". L'opération s'est soldée sur quelques arrestations avec, à la clé, six blessés légers dans les rangs des forces de l'ordre.

Le vote Biden ? Plus jamais !

Cela fait, en tout cas, quelques semaines que la colère montre contre le parti démocrate et contre une politique jugée pro-israélienne de la Maison Blanche.

Selon un récent sondage relayé par nos confrères de RFI, moins de 17% des électeurs américains arabes ou musulmans soutiennent encore Joe Biden. En 2020, ils étaient 65% à soutenir le président démocrate. Une photographie de l'instant tempérée par le politologue Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis, maître de conférences à l’université d’Assas. Selon lui l'arbitrage de la Maison Blanche a été vécu comme un "camouflet" par les électeurs musulmans. 

"Ils se sont sentis trahis. Moi-même j'ai été interpellé par des musulmans américains qui m'expliquaient que plus jamais ils ne voteraient Biden, parce qu'il avait décidé d'écarter les musulmans." dit-il.

Le président Joe Biden a réitéré sa demande aux Israéliens de ne pas se «laisser aveugler par la rage» et de tirer les leçons d'une «Amérique qui a vécu l'enfer du 11-Septembre» et «a commis des erreurs». Washington milite pour la mise en place de pauses humanitaires dans la bande de Gaza mais ne soutient pas la mise en place d'une cessez-le-feu.

Mais à un an de l'élection présidentielle, Jean-Éric Branaa estime qu'il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives. "La mémoire est assez courte, même dans les plus grosses crises". Ce spécialiste de la politique américaine, parle de réactions  plus "émotionnelles" que "politiques". Il fait le pari que "dans un an, la population musulmane sera largement apaisée". "La situation va se retourner," selon lui, car Joe Biden devrait maintenant davantage pousser pour "la solution à deux états" au Proche-Orient.

Jean-Éric Branaa ajoute enfin que le programme de Donald Trump, le rival le plus crédible pour l'instant, de Joe Biden est aussi un grand repoussoir pour un vote dit "musulman". Cette perspective d'un retour aux affaires de Donald Trump en janvier 2025, serait synonyme du retour de la stigmatisation.

L'empathie n'est plus aussi exclusivement pour Israël

Mais au-delà du vote dit musulman, il y a une tendance qui s'observe au sein même du parti et qui s'exprime à travers un sondage de l'Institut Gallup du 16 mars 2023. Cette étude d'opinion indiquait que pour la première fois depuis deux décennies, les électeurs démocrates étaient plus nombreux (49%) à se trouver des affinités avec les Palestiniens, qu'avec les Israéliens (38%)

Là, encore Jean-Éric Branaa tempère et évoque la pyramide des âges. "Il y a un problème générationnel et non pas politique sur la question israélienne et palestinienne," dit-il . Et d'ajouter : "La réponse au 7 octobre n'est pas vécue de la même façon par la jeunesse américaine. On parle des 18-24 ans et les plus âgés, en particulier les plus de 35 ans qui sont plus pro-Israël".

Des questions liées qui secouent malgré tout le parti, et provoque quelques regrets. Barack Obama, l'ex-président américain y a été de son couplet lors d'une interview pour "Pod Save America" publiée le 7 novembre 2023.

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"Si vous voulez résoudre le problème, alors il faut prendre en compte la vérité dans son intégralité. Et il faut alors admettre que personne n’a les mains propres, que nous sommes tous complices à un certain degré." dit-il dans cette séquence enregistrée en public.

L'idée d'un "cessez-le-feu" au Proche-Orient reste très populaire aux États-Unis

Allusion à sa propre présidence entre 2009 et 2017, durant laquelle Barack Obama, a eu une "opposition forte à toute la politique israélienne de colonisation", comme le rappelle Jean-Éric Branaa. Une position qui peut paraître diplomatiquement plus nuancée, moins manichéenne, plus facile à défendre pour un président qui n'est plus en exercice.

Il faut prendre en compte la vérité dans son intégralité. Personne n'a les mains propres...

Barack Obama, 44ème président des États-Unis (2009-2017)

Le biographe de Joe Biden ajoute que Barack Obama reste néanmoins dans "la logique de son propre mandat". Il rappelle ainsi que l'ancien locataire de la Maison Blanche a reconnu après son départ "qu'il aurait pu s'opposer plus fortement aux colonisations" israéliennes dans les territoires palestiniens.

Tout cela, intervient dans un contexte où le président Biden vient de dévoiler cinq candidatures à des postes de juge fédéral, dont celle d'un magistrat de confession musulmane. Mais aussi au moment où une lettre, la troisième fois en un mois, a été signée par agents fédéraux pour protester contre le soutien "inébranlable" des États-Unis à l’opération militaire israélienne à Gaza. 

S'ajoute à cela, ce sondage  de Data For Progress, publié le 23 octobre 2023, qui indique que 66% des Américains sont favorables à un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Un chiffre qui monte à 80% chez les démocrates. Un sondage repris au Congrès, par l’aile gauche du parti démocrate.

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Rashida Tlaib, la députée d'origine palestinienne, a d'ailleurs, interpellé publiquement le président Biden, le 3 novembre 2023 dans une vidéo postée sur X (ex-twitter) : "Président, la majorité du peuple américain ne vous soutient pas dans cette démarche là. #CessezLeFeuImmédiat". La parlementaire évoquant même un point de non-retour. "Vous n'aurez pas nos votes" a t-elle lancé en parlant de son état, le Michigan, qui compte une importante communauté musulmane. Sur ce point aussi, Jean-Éric Branaa reste sceptique. Cette population musulmane "ne constitue que 2% de la population américaine et encore moins dans le vote", rappelle t-il.

D'autres députés démocrates de l'aile gauche du parti, comme Gabe Vasquez ou Alexandria Ocasio-Cortez, tout en condamnant les attaques du Hamas du 7 octobre et en demandant la libération des otages, militent pour un cessez-le feu.

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Ces dernières semaines, la représentante démocrate, Rashida Tlaib a été plusieurs fois rappelée à l'ordre au sein de la Chambre des représentants. Elle a notamment été censurée dans l'hémicycle dans une résolution adoptée par 234 votes contre 188, par les républicains ainsi que certaines membres de son propre parti. Il est notamment reproché à la députée sa reprise du slogan “Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre”.

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“Un cri de ralliement propalestinien que beaucoup interprètent comme un appel à la destruction d’Israël et que l’Anti-Defamation League [la principale organisation américaine de lutte contre l’antisémitisme] considère comme antisémite”, écrit le New York Times.