Fil d'Ariane
Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a franchi une étape majeure en demandant l'émission de mandats d'arrêt contre des hauts responsables d'Israël et des dirigeants du Hamas. Mais que signifie-t-elle concrètement ? Quelles sont les chances de voir ces personnes sur le banc des accusés à La Haye ?
La Cour pénale internationale (CPI), à La Haye, au Pays-Bas, le 30 avril 2024. Le procureur général de la CPI a déclaré, lundi 20 mai 2024, qu'il demandait des mandats d'arrêt à l'encontre des dirigeants d'Israël et du Hamas en rapport avec leurs actions durant la guerre à Gaza.
Le procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) Karim Khan a porté des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité contre deux hauts responsables israéliens : le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant. Elles comprennent "le fait d'affamer délibérément des civils", l'"extermination et/ou meurtre".
(Re)voir CPI : un mandat d'arrêt demandé pour Netanyahu
Trois responsables du Hamas sont également visés trois : le chef de ce mouvement islamiste dans la bande de Gaza Yahya Sinouar; son leader politique Ismaïl Haniyeh; et son stratège militaire Mohammed Deif. Parmi les accusations portées contre eux, "l'extermination", "le viol et d'autres formes de violence sexuelle" et "la prise d'otages".
"C’est la première fois qu’un ami de l’Occident se retrouve dans cette situation", relève Iva Vukušić, professeure adjointe à l'université néerlandaise d'Utrecht, à propos de la demande visant les responsables israéliens, dénoncée par Israël et ses alliés.
"L’impact actuel (...) est déjà visible : de nombreux États ont déjà publié des déclarations s’exprimant en faveur ou contre l’annonce du procureur", souligne Kyra Wigard, chercheuse en justice internationale à l'université belge KU Leuven. "Mais le véritable impact ne se produira qu’une fois – et si – la chambre préliminaire décide d’émettre des mandats d’arrêt", dit-elle.
Que va-t-il se passer ensuite ?
- La demande est désormais entre les mains d'un panel de trois juges qui décideront si les preuves répondent aux normes requises pour délivrer des mandats.
- Une telle décision requiert généralement au moins un mois pour être prise - mais pourrait prendre plus longtemps étant donné le caractère sensible de l'affaire.
- Iva Vukušić note que l'émission de mandats d'arrêt se faisait sur la base de "motifs raisonnables", qui est, selon elle, "assez faible".
- "Je m'attends absolument à ce que le procureur franchisse cet obstacle", les membres du parquet "ne sont pas stupides", déclare-t-elle.
- "C'est sûr qu'ils ont rendu leur dossier infaillible, sinon ce serait un énorme embarras pour le bureau du procureur".
La CPI ne dispose d'aucune force de police. Si ses juges décident d'émettre ces mandats d'arrêt, cela signifie qu'en théorie, n'importe lequel des 124 États membres de cette juridiction serait alors obligé de les arrêter s'ils se rendaient sur leur territoire. Or, ceux-ci ne l'ont pas toujours fait, en particulier dans les affaires contre un chef d’État en exercice.
Pourtant, visé par un mandat d'arrêt de la CPI, l'ancien dirigeant soudanais Omar el-Béchir s'est par exemple rendu dans plusieurs États parties, dont l'Afrique du Sud et la Jordanie. Bien qu’il ait été évincé du pouvoir en 2019, le Soudan ne l’a pas encore remis à la Cour.
Le président russe Vladimir Poutine, contre lequel a également été émis un mandat d'arrêt de la CPI, s'est rendu à l'étranger, notamment au Kirghizistan, en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis – qui ne sont toutefois pas membres de cette instance. Cependant, Vladimir Poutine a évité une réunion des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à Johannesburg, qui aurait dû exécuter le mandat.
(Re)voir Russie : la Cour pénale internationale émet un mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine
Israël, comme les États-Unis et la Chine, ne sont en outre pas membres de la juridiction. Mais il pourrait être par exemple particulièrement difficile pour les individus visés de se rendre dans un pays de l'Union européenne, note Iva Vukušić.
L’histoire a vu plusieurs dirigeants politiques et militaires jugés pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. La CPI a condamné en 2012 Charles Taylor, un ancien chef de guerre libérien devenu chef de l'État, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. L'ex-président serbe Slobodan Milosevic est mort dans sa cellule à La Haye en 2006 tandis qu'il comparaissait pour génocide devant le tribunal pour l'ex-Yougoslavie.
(Re)voir François Hollande est-il visé par un mandat d’arrêt international ?
L'ancien dirigeant serbe de Bosnie Radovan Karadzic a été capturé en 2008 et reconnu coupable de génocide par ce même tribunal. Son chef militaire Ratko Mladic a été arrêté en 2011 et condamné à la réclusion à perpétuité. "Le processus judiciaire est long et des choses qui ne sont pas possibles aujourd’hui pourraient bien le devenir à l’avenir", souligne Iva Vukušić.