Conflit israélo-palestinien : "certains pays arabes vont devoir mettre un bémol aux actes trop visibles de normalisation avec Israël"

L'irruption de violences et les échanges de tirs et de frappes entre les territoires palestiniens et Israël font remonter à la surface les idéologies pro-palestiniennes des pays arabo-musulmans ayant récemment normalisé leurs relations avec Israël. Les relations vis-à-vis d'Israël pourraient-elles être remises en cause pour un certain nombre d'États ? Élements de réponse avec Joseph Bahout, directeur de recherche à l'Université américaine de Beyrouth.
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Image prétexte. En Afrique du Sud, des manifestants ont protesté devant le parlement de la ville du Cap, contre les attaques israëliennes sur la bande de Gaza, mercredi 12 mai 2021. La violence s'est intensifiée entre Israël et les Palestiniens ces derniers jours et s'est cristallisée sur l'attaque faite par les forces israëliennes de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem.
AP Photo/Nardus Engelbrecht
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TV5Monde : Les pays arabes et musulmans ayant normalisé leurs relations avec Israël (Bahreïn, Émirats arabes unis, Soudan...) sont-ils aujourd’hui en porte-à-faux vis-à-vis de l’opinion publique dans leur pays ? 

Joseph Bahout : Ils sont un peu en porte-à-faux par rapport à l’opinion arabe et par rapport au climat général, c’est évident. Maintenant, par rapport à l’opinion de la société dans leur propre pays, c’est à voir au cas par cas. Certains États ont une opinion populaire extrêmement limitée. Quand on pense au Bahreïn ou par exemple aux Émirats arabes unis, on parle d’un pays où le nombre d’habitants réel est très faible par rapport au nombre de résidents et où la population n’est pas très politisée. Évidemment, il y a un sentiment pro-palestinien mais il s’est beaucoup amenuisé ces derniers temps.
Au Maroc, le gouvernement est lui en total porte-à-faux. En témoignent les manifestations de mercredi matin.
L’Arabie Saoudite est un cas particulier. Le roi Salmane avait mis un frein à sa politique de normalisation qui se fait désormais en sous-main, avec des échanges d’informations entre les services de renseignements ou des visites et des rencontres avec Benyamin Netanyahu. Il a la crainte d’un retour de bâton dans l’opinion : la société saoudienne est une vraie société, grande, diversifiée, stratifiée et où il y a un fort sentiment anti-sioniste. Des normalisations avaient eu lieu un tout petit peu à la hâte dans les derniers mois du mandat de Donald Trump.

Aujourd’hui, je pense que beaucoup de ces pays sont en train de se demander si au fond, ils avaient quelque chose à gagner dans cette affaire. D’autant qu’aujourd’hui, une partie de ces pays-là va très probablement devoir mettre un petit bémol aux actes trop visibles de normalisation des relations avec Israël. Ne serait-ce que pour calmer un tout petit peu la fièvre dans leur propre société sur la question palestinienne. Mais il est encore trop tôt pour savoir s’ils vont réviser leur position sur la normalisation et pour le Barheïn et les Émirats arabes unis sur les accords d’Abraham. 

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Pourquoi cette vague de normalisation des relations entre des pays comme le Soudan, le Bahreïn et Israël en 2020 ? 

C’était un peu le cadeau de retour fait au mandat de Donald Trump. Il a été le président le plus bienveillant par rapport aux pétromonarchies du Golfe. Et puis il y avait surtout la question iranienne, ce n’est d’ailleurs que cela qui les intéressait. D’autre part, c’était une anticipation au mandat de Joe Biden dans la mesure où l’anti-iranisme de tous ces pays-là les poussait à vouloir resserrer les liens avec Israël pour se prémunir contre un deal iranien à venir. C’était une petite police d’assurance. Ils avaient pris des risques calculés. Le conflit israëlo-arabe, dans ces pays-là, n’est plus vraiment une dimension importante, pas seulement en terme d’opinion populaire mais aussi dans leur posture géopolitique. La question palestinienne n’est plus une vraie question. C’est un conflit résiduel et marginal. Sauf quand apparaissent des irruptions de violence. Ces derniers jours rappellent que ce conflit reste encore le point nodal de beaucoup d’autres différents dans la région.

Qu’apporte la normalisation des relations du Soudan, du Barheïn, des Émirats arabes unis, avec Israël… un front contre l’Iran ?

En effet. Ils s’échangent beaucoup d’informations. Il y a probablement des collaborations sécuritaires secrètes sur des questions de cyber sécurité, de connaissance sur l’état d’avancement du programme nucléaire iranien… Des coups tordus ici et là à travers des opérations un peu spéciales. Ces accords ont aussi déclenché beaucoup d’échanges économiques, d’investissements de part et d’autres dans les secteurs de la haute technologie, de l’énergie, des gazoducs. C’était aussi une façon de donner une sorte de bonus supplémentaire à certains lobbys aux États-Unis, qui servent à protéger certains pays du Golfe de l’ire de certaines branches du législatif américain.

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Le fait que Trump ne soit plus au pouvoir peut-il à terme changer les relations entre Israël et les pays du Golfe ? 

Il y a moins d’avantages à pouvoir marquer le coup de la normalisation avec l’administration américaine actuelle. Certes, cette dernière est contente que le rapprochement ait eu lieu mais elle n’encouragera rien. Par ailleurs, les Américains ne vont pas demander une révision de ces questions-là, les Saoudiens ne vont pas non plus le faire. Tout va rester dans l’état, dans le non dit.
Une fois que les choses se seront calmées, quand il y aura une reprise des négociations sur la question palestinienne, les américains pourront au contraire utiliser la relation qu’ils ont avec Israël pour explorer différents canaux. Joe Biden a hérité de ces relations et il ne va pas leur dire non. 

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