Congrès du Parti communiste à Pékin : "La position chinoise se radicalise progressivement sur Taïwan"

En Chine, le vingtième congrès du Parti communiste a marqué une nouvelle étape dans l'opposition frontale de Pékin à toute velléité indépendantiste taïwanaise. Cette opposition fera désormais partie de la charte du PCC, tout comme le "rôle central" du président Xi Jinping.  Que représentent ces changements ? Réponses du chercheur Antoine Bondaz, spécialiste de la Chine contemporaine. Entretien.

 
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Congrès PCC Chine
Le vingtième congrès du Parti communiste chinois renforce le pouvoir du président Xi Jinping, célébré pour son "rôle central". AP/ Andy Wong.
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TV5MONDE : Ce 22 octobre, le Parti communiste chinois (PCC) a décidé d’inclure dans sa charte l’« opposition résolue » de Pékin à l'indépendance de Taïwan. Que représente cette nouveauté ?
 
Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste de la Chine : On n’assiste pas à un tournant avec cette révision, mais à une évolution progressive. Elle ne fait que renforcer la dynamique qui existe depuis de nombreuses années. Et cette dynamique avait déjà été fortement soulignée au mois d'août, dans le dernier « livre blanc » sur Taïwan. [Ce document sur la « réunification » chinoise entre Pékin et Taïwan affirmait entre autres que l’emploi de la force restait une option de dernier recours contre les partisans taïwanais de l’indépendance, NDLR]. 
 
Il n'y a donc rien de surprenant, même si on a une position chinoise qui se radicalise progressivement. L'objectif final n'évolue pas. Il reste de prendre le contrôle de Taïwan, et il l'a toujours été. 

(Re)voir : Chine : fin du 20ème congrès du PCC, "rôle central" pour Xi Jinping
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Ce qui change par contre, ce sont premièrement les capacités chinoises et deuxièmement, la capacité de la Chine à assumer de plus en plus ouvertement que la conquête de Taïwan se fera par la coercition et non par la conviction.
 
TV5MONDE : Pourquoi inclure désormais cette question dans la charte du PCC ?
 
Antoine Bondaz : Il était assez logique, en réalité, de faire cette révision, parce que dans ce fameux livre blanc d'août 2022, il est mentionné que la "réunification pacifique" est la mission historique du parti - ce qui n'avait pas été le cas dans les livres blancs publiés en 1993 et en 2000. Donc à partir du moment où le livre blanc en parle, c'est cohérent qu’on aille encore plus loin dans la charte.
 

L'objectif pour la Chine est de prendre le contrôle de Taïwan sans qu'il n’y ait à avoir une guerre.

Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste de la Chine.

TV5MONDE : Ces derniers temps, plusieurs responsables militaires ou politiques aux États-Unis ont affirmé se tenir prêts à défendre Taïwan en cas d’attaque chinoise dans un futur très proche. Est-ce que cette révision de la charte ou d’autres déclarations des autorités chinoises renforcent la probabilité d’une invasion ?
 
Antoine Bondaz : À très court terme, je dirais que le risque d'invasion est extrêmement faible. L'objectif pour la Chine est de prendre le contrôle de Taïwan sans qu'il n’y ait à avoir une guerre. Pour l'instant, la dynamique est du côté de la Chine. Les capacités du pays continuent de croître. 
 
Si, par contre, une crise économique par exemple fait que le différentiel de puissance, le rapport de force entre la Chine et Taïwan n'évolue plus aussi favorablement pour la Chine, peut-être qu’elle choisira une autre stratégie. Mais pour l'instant, Pékin a tout intérêt à attendre davantage. Plus Pékin attend, plus ses capacités militaires, sa résilience économique, son poids international sont importants, plus une conquête de Taïwan sera « facile ». Donc dans la dynamique actuelle, la Chine n'a pas d'intérêt à aller le plus rapidement possible. 
 
Ce n’est pas pour autant qu'il ne pourra pas y avoir de tensions. Avec les élections présidentielles à Taïwan en janvier 2024, on peut s'attendre à ce que, fin 2023 et même durant l'année 2023, il y ait de nouveau des tensions provoquées par la Chine.

(Re)voir : Taïwan : fête de l'Indépendance sous menace de Pékin

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TV5MONDE : Donc si la Chine se trouve en situation de crise, cela accentuerait selon vous la probabilité qu’elle opte pour une invasion ?
 
Antoine Bondaz : Si la Chine est en crise, si le parti a besoin de renforcer certains leviers de sa légitimité - notamment le levier nationaliste parce que l'économie ne pourrait plus être le levier principal - alors le scénario, même s'il reste peu probable, le deviendrait davantage. La situation intérieure en Chine, l'évolution du rapport de forces, etc. ont évidemment un impact sur la perception chinoise et, in fine, potentiellement sur la prise de décision.

La croissance économique ne peut plus être utilisée aussi puissamment qu'avant. Le nationalisme, et donc la question de Taïwan, prennent donc encore plus d’importance.
Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste de la Chine.

TV5MONDE : Qu'est-ce qui explique cette radicalisation accélérée de la position chinoise sur la question taïwanaise ? 
 
Antoine Bondaz : Cette accélération a lieu pour plusieurs raisons. Premièrement, encore une fois, les capacités de la Chine continuent de s'accroître. La Chine a des capacités aujourd'hui qu'elle n'avait pas il y a ne serait-ce que dix ans. 
 
Deuxièmement, cela s'explique par un besoin au sein du parti d'avoir des nouveaux relais de légitimité, en tout cas de renforcer certains relais de la légitimité. Et très clairement, la croissance économique ne peut plus être utilisée aussi puissamment qu'avant. Le nationalisme, et donc la question de Taïwan, prennent donc encore plus d’importance. 
 
Troisièmement, il faut envoyer des messages extrêmement forts à Taïwan, aux États-Unis, et à leurs partenaires. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la question de la crédibilité de la menace chinoise, de la détermination de la Chine, mais aussi de Taïwan, des États-Unis et des partenaires, se pose. Donc la Chine essaye de démontrer sa crédibilité, sa détermination ; de convaincre la communauté internationale qu'il y a une asymétrie dans les priorités. Pour la Chine, c'est une question prioritaire alors qu'elle ne l’est pas forcément pour les autres pays. 
 
TV5MONDE : En dehors de la question taïwanaise, lors de ce Congrès, l’ancien président Hu Jintao a été « escorté » vers la sortie pendant la cérémonie de clôture. Comment peut-on analyser cette séquence inhabituelle ? 
 
Antoine Bondaz : C’est un évènement extrêmement marquant. C’est très étonnant. On n'a pas d'explications pour l'instant. Et c'est "le black out" côté chinois, c'est-à-dire que personne ne communique, c'est censuré. 

Certains disaient que l’ancien président a dû faire un malaise. Si c'était le cas, je pense que la scène, et la réaction des membres du parti, auraient été différentes. Il n'y aurait pas forcément eu de censure. Le scénario d’un incident médical est pour l’instant très peu probable, mais on verra. 
 
Pourquoi le retirer à un moment important, juste avant les votes ? Est-ce que c'était parce qu'on pensait qu'il allait voter contre ou s'abstenir ? Pour l'instant, il y a énormément d'hypothèses. Il faudra attendre plusieurs jours ou plusieurs semaines pour avoir des réponses.
 
Personnellement, ça m’a fait penser à une scène. C'est la scène où Jang Song-thaek, l'oncle de Kim Jong-Un est arrêté en décembre 2013 devant les dirigeants du parti. On a eu alors une mise en scène avec non seulement une humiliation, mais surtout un message au reste du parti. On verra si cette hypothèse se confirme. Si c'était le cas, ce serait un message extrêmement fort envoyé au reste du PCC : il faut tenir la ligne.

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TV5MONDE : Est-ce que le départ de certaines figures du Comité central du PCC représente un changement important, ou un simple renouvellement ?
 
Antoine Bondaz : Il n'y a pas de choses extrêmement surprenantes. Quatre personnes du Comité permanent le quittent. Deux avaient atteint la limite d'âge et deux s'en vont, notamment le Premier ministre Li Keqiang, alors qu'il a 67 ans. Donc il va y avoir un renouvellement important, pour au moins la moitié du Comité permanent. Ce qui sera vraiment important, ce sont les noms qui seront donnés dimanche 23 octobre, c'est-à-dire ceux du Bureau politique et du Comité.
 
On s'attend à ce que les personnes nommées soient plus proches de Xi Jinping. Mais sur le fond, on n'attend pas pour l'instant de virage politique. La stratégie zéro Covid continue. La croissance se ralentit, ils en ont parfaitement conscience. Il y a la nécessité de continuer à construire le parti, c'est-à-dire à assurer la cohésion en son sein. 
 
Les dynamiques à l'œuvre depuis plusieurs années, c'est-à-dire le focus sur la sécurité, notamment la sécurité politique, ou la lutte contre la corruption, vont se poursuivre. S'il y a un indice de ce qui pourrait se passer dans les années à venir, c'est que le terme de corruption n'avait jamais été autant prononcé au cours d'un congrès. Ça peut laisser penser qu'il pourrait y avoir de nouveau une campagne anti-corruption, tout comme celle, massive, lors de l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012-2013.
 
On attend donc les dernières nominations, puis les premiers discours de Xi Jinping aux nouveaux cadres, à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine. Ce sera extrêmement important de les analyser. On verra les orientations législatives en mars 2023, avec les nominations du Conseil des affaires d'État. C'est encore un peu trop tôt. 

(Re)voir : Xi Jinping, le dernier empereur de Chine ?
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TV5MONDE : Ce Congrès, avec notamment l’intégration dans la charte du PCC du « rôle central » de Xi Jinping au sein du parti, consacre-t-il un renforcement du rôle du président chinois ? 
 
Antoine Bondaz : Bien sûr, mais cette dynamique a maintenant dix ans, c'était attendu. Ça reste significatif parce qu’il va faire plus que deux mandats, il va casser une pratique de ses prédécesseurs. Mais il n'y a rien de surprenant non plus. C'est une étape dans le processus de renforcement de Xi Jinping dans le parti. Et plus largement, - parce qu'on a tendance à beaucoup personnifier ce qui se passe en Chine - c'est aussi le signe d'un renforcement du parti dans la société. C'est fondamental ; c'est presque ça qui compte avant tout.